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Que reste-t-il d’Act Up ?



Libération, Florian Bardou - 20 août 2017 -Alors que l’influence du collectif s’érode, ses stratégies et modes opératoires inspirent encore d’autres causes et associations. Des fumigènes roses, une banderole noire et ces mots inscrits en anglais : « Macron affame les migrants. Queers contre les frontières. » Il y a un mois, une dizaine de militants du Comité de luttes et d’actions queer surprenaient les badauds du pont des Arts en déployant sur le monument parisien leur grief à l’encontre de la politique migratoire « inhumaine » du gouvernement. Une mise en scène dont les auteurs, activistes trans, pédés, bis et gouines, tirèrent en partie l’inspiration dans les coups d’éclat d’Act Up, tel l’encapotage géant de l’obélisque de la Concorde en 1993. Sur le pont des Arts, certains, issus de différentes organisations LGBTIQ, étaient également vêtus de noir et de rose. Une suite de références esthétiques autant que militantes à l’association de lutte contre le sida  , omniprésente dans les médias et les esprits depuis l’accueil triomphal de 120 Battements par minute à Cannes.

Come-back inattendu

Il faut dire que près de trente ans après l’avènement du mouvement, les années Act Up, noires, colériques, radicales, mais aussi follement fières, jouissent d’un come-back inattendu. Outre le film de Robin Campillo, plusieurs ouvrages, comme les Années sida   à l’écran du critique Didier Roth-Bettoni ou Ce que le sida   m’a fait de l’historienne de l’art, longtemps journaliste au service Culture de Libé et ex-membre d’Act Up, Elisabeth Lebovici, déterrent depuis quelques mois une histoire militante, politique et culturelle oubliée en France. Avec une énigme à la clé : pourquoi cette résurgence, aux atours de coïncidence, là, maintenant ? Pourquoi en 2017, alors que la structure parisienne, toujours en activité malgré des difficultés financières, n’attire plus les caméras ? « Depuis les années 2010, Act Up n’était plus cité de manière explicite comme un acteur modèle des mouvements sociaux, souligne à cet égard l’anthropologue Christophe Broqua, auteur d’un livre de référence, Agir pour ne pas mourir ! Act Up, les homosexuels et le sida  . L’accueil réservé au film révèle que sa capacité de résistance était peut-être enfouie dans la mémoire collective. »

« L’engagement politique est au plus bas depuis le mariage pour tous, avance Didier Lestrade. La colère des LGBT qui s’est manifestée à ce moment-là n’a rien donné : c’est la traduction d’une impatience liée à une sorte d’impasse du militantisme gay. » Ajoutons que, malgré une centaine d’adhérents et des dizaines d’actions menées ces dernières années, l’association n’a fait aucun petit à la hauteur de sa radicalité et de sa force de frappe passées.

Comment l’expliquer ? Par l’ampleur de l’hécatombe et l’énergie déployée pendant des années de luttes d’abord. « La communauté a été décimée et a perdu des forces vives : cela compte quand il s’agit de mobiliser et de transmettre un engagement », souligne à ce propos Gwen Fauchois, militante lesbienne, à Act Up entre 1992 et 1997. Mais aussi, à l’heure de la chronicité de la maladie, par une perte d’influence croissante de l’association sur les lignes de front d’aujourd’hui, particulièrement celle de l’égalité des droits. « Act Up, c’était lié à l’urgence, assure Gwen Fauchois. Or, l’urgence ça ne se décrète pas. » Enfin, le monde militant et les manières de se mobiliser, notamment sur les réseaux sociaux, sont aujourd’hui tout autres. « Ce mode d’organisation très particulier, horizontal et vertical à la fois, avec un président qui a beaucoup de pouvoir, ne convient plus à la situation », estime Jérôme Martin,président du mouvement entre 2003 et 2005.

Du combat d’Act Up, tout n’est cependant pas perdu. Il reste évidemment la légitimité à mettre les premiers concernés, des séropos aux personnes racisées, au cœur des luttes ; la nécessité pour les associations de défense des droits humains de s’organiser en transversalité (conjointement contre toutes les formes d’oppression) ainsi que de produire une expertise militante ; ou encore des modes d’action dont l’efficacité, dans une société de l’image, n’est plus à démontrer. En important les zaps (manifestation visant à embarasser une figure publique), les die-in et les méthodes de la désobéissance civile photogéniques depuis les Etats-Unis dans les années 90, les militants d’Act Up-Paris ont ainsi permis de renouveler avec d’autres associations (Greenpeace, le Droit au logement, etc.) le logiciel des mouvements sociaux hexagonaux : des féministes de La Barbe aux intermittents du spectacle.

« Fournir une expertise »

« Notre manière de mener des réunions et de faire du militantisme médiatique s’est imprégnée du travail d’Act Up, note ainsi la militante lesbienne Yuri Casalino du collectif Oui oui oui, l’un des groupes actifs lors des débats sur le mariage pour tous. Mais on ne l’a pas fait en les copiant, on s’est servi d’une façon de concevoir l’activisme : notamment l’idée qu’il faut donner de l’image aux médias avec des visuels forts et très reconnaissables. » « On est en phase avec ce que faisait Act Up car face au défi climatique, il y a une urgence à agir, souligne Txetx Etcheverry, cofondateur du mouvement écologiste Bizi !, très actif depuis 2009 dans les mobilisations climatiques. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a repris des techniques d’action spectaculaires et humoristiques contre les banques et le tout-voiture tout en bossant nos dossiers pour fournir une expertise. » Car il y a bien entendu un écueil : le risque de faire du symbolique dénué de fond, et devenir une simple vitrine activiste molle et consensuelle.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 22 août 2017



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