OSI Bouaké - Le Rwanda est devenue une histoire française Accueil >>  Et en Afrique, on dit quoi ?

Le Rwanda est devenue une histoire française



Le carnet de Colette Braeckman - 6 Avril 2014 - Indigné par les accusations formulées par M. Kagame, Paris a décommandé la représentation française à la commémoration du génocide, estimant que les propos tenus portaient atteinte à l’honneur de la France. Les griefs en effet sont parmi les plus graves qui soient :préparation d’un génocide et participation à son exécution ! Ces reproches reposent non seulement sur la connaissance des faits par les Rwandais eux-mêmes (les troupes du FPR savaient parfaitement que les canons de 102 mm qui semaient la mort dans leurs rangs étaient actionnés par des artilleurs français) mais sur les révélations qui se multiplient en France même et suscitent une importante production éditoriale. En outre, vingt ans après la tragédie, la « Grande Muette » commence à rompre la règle du silence ; interrogé par France Culture, un officier aujourd’hui retraité explique cette semaine qu’en 1994, dans le cadre de l’opération Turquoise présentée comme « humanitaire », il avait pour mission d’empêcher le FPR de s’emparer de Kigali, de barrer la route aux rebelles en les bombardant et de conduire l’armée hutue en déroute vers le Kivu, dotée de tout son arsenal militaire, afin de préparer une revanche. Sur pression du Premier Ministre Edouard Balladur, qui menaçait de démissionner et s’opposait à l’Elysée, l’opération Turquoise fut finalement ramenée à sa dimension humanitaire. Mais à Bisesero, dans la « zone humanitaire sûre » qu’ils avaient créée et qui abritait les tueurs, les Français, -qui n’étaient pas là pour cela- négligèrent durant plusieurs jours de se porter au secours de milliers de Tutsis assiégés et qui espéraient leur aide. L’armée française, malgré les comités de soutien, les professions de foi et la littérature de commande, ne s’est jamais guérie du Rwanda : elle est malade de ce qu’elle a vu et fait, malade de ceux qu’elle a soutenus, malade aussi des ordres reçus et exécutés, sans oublier certaines « bavures » comme des cas de viol rapportés par des témoins locaux. S’agît il pour autant de la « préparation » d’un génocide et de la « participation » à son exécution ? Il appartiendra à d’éventuels tribunaux ou commissions d’enquête d’en décider mais ce qui est certain, c’est que la cellule africaine de l’Elysée, en soutenant jusqu’au bout les extrémistes hutus, a pris le risque de les voir mettre en œuvre une solution finale et malgré les paravents humanitaires, elle s’est montrée indifférente au calvaire des Tutsis. Une certaine France a donné au « Hutu power » les moyens de son action, elle a soutenu jusqu’au bout ses dirigeants et aujourd’hui encore elle s’obstine dans le déni. Il faudra plus qu’un procès d’assisses et quelques gestes de bonne volonté pour dépasser cette histoire là : comme l’affaire Dreyfus, comme le procès Papon, le Rwanda est aussi devenu un enjeu français.


Publié sur OSI Bouaké le dimanche 4 mai 2014

LES BREVES
DE CETTE RUBRIQUE


vendredi 23 novembre