Le Monde.fr | 20.07.10 | Vienne, Catherine Vincent, envoyée spéciale
C’est une des grandes nouvelles de la Conférence internationale sur le sida , qui s’est ouverte à Vienne, dimanche 18 juillet. Une nouvelle qui fera date dans l’histoire de la lutte contre cette terrible maladie sexuellement transmissible. Pour la première fois, un gel vaginal contenant un produit antirétroviral a montré sa capacité à bloquer la transmission du virus VIH .
Présentés lundi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS ) et de l’Onusida , ces résultats, s’ils se confirment, pourraient déboucher, selon le directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), Jean-François Delfraissy, sur "une large disponibilité de ce gel dès janvier 2011".
Depuis près de vingt ans, une dizaine d’essais de gels "microbicides" ont déjà été réalisés. Sans succès. Au mieux, ils ne protégeaient de rien, au pire ils entraînaient une surcontamination par le VIH . Jusqu’à ce qu’apparaissent, il y a quelques années, des gels de nouvelle génération, contenant non plus des produits toxiques à large spectre mais des substances spécifiquement dirigées contre les rétrovirus.
C’est dans ce contexte qu’a démarré, début 2007, l’essai "Caprisa". Conduit par Salim et Quarraisha Abdool Karim, un couple de médecins chercheurs du Centre pour le programme de recherche sur le sida en Afrique du Sud (Caprisa), il a été mené dans l’Etat du Natal. Les femmes, en majorité zouloues, y sont séropositives dans une proportion élevée : près de 10 % chez les filles de moins de 16 ans, 50 % chez les femmes de plus de 24 ans. Un des taux de prévalence les plus importants du monde dans cette catégorie de population.
L’essai avait pour objet de tester l’efficacité d’un gel microbicide contenant à hauteur de 1 % du ténofovir, un antiviral très utilisé dans le traitement des séropositifs. Ce test randomisé a démarré avec 889 femmes âgées de 18 à 40 ans, toutes séronégatives, sexuellement actives et à haut risque de devenir séropositives.Sur les 843 qui participèrent jusqu’au bout à l’expérience, 422 reçurent du gel avec ténofovir, et 421 un gel placebo. Toutes avaient pour consigne d’utiliser une dose de gel à peu près douze heures avant une relation sexuelle, puis une autre douze après. Elles furent suivies chaque mois pendant trente mois, tant sur l’usage du gel que sur la fréquence de leurs relations sexuelles.
Trois ans plus tard, les résultats sont là. Et ils sont plus qu’encourageants. Publiés en ligne, mardi 20 juillet, par la revue Science, ils montrent que le gel avec ténofovir, comparé au gel placebo, a réduit les infections par le VIH de 39 %. Plus précisément : de 28 % chez les femmes qui l’utilisaient mal, de 38 % chez celles qui l’utilisaient plus ou moins bien, et de 54 % chez celles qui s’en servaient avec régularité. Toutes semblent avoir bien toléré le gel.
"Si ces bons résultats se confirment, on disposera pour la première fois d’un outil de prévention que les femmes peuvent gérer elles-mêmes. C’est très important, notamment pour les pays du Sud", commente M. Delfraissy, qui rappelle que les méthodes préconisées jusqu’alors (préservatif et pratiques sexuelles) étaient pour l’essentiel "entre les mains des hommes". Selon les responsables de Caprisa, ce gel pourrait "remplir un manque important dans la prévention contre le VIH , surtout pour les femmes incapables de négocier avec succès une monogamie mutuelle ou l’usage du préservatif".
"Les femmes représentent la majorité des nouveaux cas d’infection par le VIH dans le monde, ces résultats constituent donc une étape importante pour fournir à une population à risque un outil de prévention sans danger et efficace", estime Anthony Fauci, directeur de l’Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID). Le tout pour un coût abordable : de 8 et 15 centimes d’euros par application.
L’étude qui vient de s’achever était un essai de phase 2, visant à établir l’innocuité et l’efficacité d’un produit sur un échantillon de population relativement réduit. Ses résultats seront-ils validés par un essai de phase 3, portant sur plusieurs milliers de femmes ? Ou bien l’OMS et l’Onusida , qui annoncent vouloir tenir en Afrique du Sud, au mois d’août, une consultation d’experts sur ce sujet, décideront-ils d’accélérer la procédure du fait de la situation d’urgence qui sévit sur le continent ? Les femmes y représentent près de 60 % des cas d’infection par le VIH , et les plus jeunes d’entre elles, dans certains pays, ont trois fois plus de risque de devenir séropositives que les hommes. Dans la majorité des cas, elles contractent le virus à l’occasion d’un rapport sexuel avec un partenaire infecté.