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Portrait du migrant calaisien, par-delà les idées reçues


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Le Monde, 16 Avril 2015 - Sous les barbes d’une semaine et la crasse d’une vie sans douche se cache Abasou l’enseignant, Sam l’ingénieur ou Abdelatif le banquier. Le Secours catholique, une des associations les plus présentes à Calais (Pas-de-Calais), a voulu faire savoir qui sont les 2 000 migrants stationnés dans cette ville. Les humanitaires ont mené 54 entretiens approfondis qui rappellent que 48 % des migrants appartenaient aux classes sociales supérieures de leur société d’origine, et 20 % aux classes moyennes.

Aujourd’hui, la fatigue et la faim ont gommé ce statut d’antan et fait oublier le niveau culturel de cette population reléguée aux confins de la ville, sur une ancienne décharge. Si l’enquête n’a pas une visée scientifique, elle s’est attachée à respecter la démographie des « jungles » calaisiennes. Ainsi, elle reflète les nationalités les plus présentes dans la ville portuaire avec un panel comprenant entre autres 13 Erythréens, 12 Soudanais, 7 Afghans et 4 Syriens.

En moyenne, ces migrants campent depuis 75 jours dans la ville, ont vécu une odyssée de 952 jours et ont déboursé 3 052 euros avant de s’échouer sous les bâches des camps de fortune. Le plus rapide a mis 56 jours pour rallier la France. Le plus lent traîne sur les routes depuis 18 ans (6 898 jours). C’est une exception, certes, mais son parcours illustre comment la moitié des exilés a tenté de s’installer dans des pays voisins du sien avant de se résoudre à tenter l’Europe. Robel, un Erythréen, est ainsi resté trois mois en Ethiopie avant de tenter le Soudan, puis la Libye, puis l’Italie. C’est aussi très souvent le cas des Syriens qui se déplacent dans un premier temps vers le Liban, la Jordanie ou la Turquie avant d’entamer le grand voyage.

En quittant leur maison, seuls 20 des 54 migrants interrogés avaient en tête la Grande-Bretagne comme lieu où poser leur sac. Pour les autres, l’idée s’est installée au fil du voyage, par élimination. Ils ne se décident pas en fonction de la diaspora puisque contrairement aux idées qui circulent, seul un tiers (38 %) des exilés ont une attache familiale outre-Manche. Hamin, qui rêve de passer la frontière, ne cherche qu’« un pays où vivre en paix, où être traité comme un être humain. C’est tout ! »

Le cauchemar du voyage

Pour 46 %, le choix de l’Angleterre s’est fait sur les conseils de leur communauté. Treize l’ont décidé après une « analyse raisonnée » des lieux où leurs compétences seraient le plus utiles, notamment le maniement de la langue anglaise. Deux ont expliqué aux enquêteurs s’être fié à leurs rêves et deux encore ne savent plus trop pourquoi ils poursuivent cet objectif. Aucun n’a resservi le discours stéréotypé qui voudrait que les passeurs soient maîtres du jeu et « survendent » la Grande-Bretagne comme un eldorado. Une version pourtant régulièrement servie quand il s’agit d’expliquer pourquoi ils ne souhaitent pas s’installer en France.

Leur accès à l’Europe s’est fait par la Méditerranée, au départ de la Libye, pour 30 d’entre eux. Un cauchemar sur lequel tous s’arrêtent longuement dans leur récit. Méheret, une mère de famille qui a voyagé avec ses deux enfants se souvient de la peur doublée d’une « obligation de faire confiance ». D’autres racontent les canots pneumatiques qui se dégonflent, les jours entiers passés sur les eaux à errer, ou les passeurs qui surchargent l’esquif jusqu’à l’improbable.

Cette Méditerranée centrale est la voie la plus classique d’entrée sur le vieux continent ; celle qui a amené 170 000 exilés sur les côtes italiennes en 2014. Huit des 54 migrants écoutés ont emprunté une route plus orientale, en longeant les côtes est de la Méditerranée pour débarquer en Grèce. Et 6 sont passés par la route des Balkans qui fait entrer dans l’espace Schengen à pied, par la Hongrie.

Seuls 28 % se disent en bonne santé

Pour les deux tiers d’entre eux (36 migrants sur 54), le départ s’est décidé suite à des persécutions ou par peur d’en être victime. Pourtant, quand ils demandent l’asile en France, à peine un migrant installé à Calais sur deux l’obtient. Et encore les « Calaisiens » ont un meilleur taux d’acceptation que les autres demandeurs. Le Secours catholique analyse ce résultat discordant par le fait que « 33 des 54 personnes interrogées ont de l’asile une représentation insuffisamment poussée pour être en mesure de l’obtenir ».

En réalité, le statut de réfugié est octroyé à partir d’un récit fait à un officier. Il faut être crédible, savoir raconter, convaincre. Dans le panel du Secours catholique, seules 15 personnes vont demander la protection de la France, 29 celle de la Grande-Bretagne. Quelle que soit leur histoire, 5 ne demanderont pas ce statut. Dans ce dernier groupe, certains disposent déjà du statut de réfugiés en Italie ou en Espagne. Ils en sont repartis après de vaines tentatives pour y trouver un travail. Même à 400 euros par mois on ne trouve rien, explique un des migrants.

Au moment de l’entretien, seuls 28 % d’entre eux s’estimaient en bonne santé. Ashraf a perdu dix kilos en deux mois. Adam fouille dans les poubelles parce que le seul repas journalier qu’on lui sert ne lui suffit pas. Khan en a assez d’être pris pour un mendiant, alors qu’il avait dix salariés au Pakistan. Salah, lui, voit des gens devenir fous pendant qu’Ahmed Shah regrette que l’islam chiite interdise le suicide. « L’Europe a son prix » s’était entendu dire Mataï qui « ne s’imaginait pas qu’il serait aussi élevé ».


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 9 mai 2015

 

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