Accueil >>  Zone Franche >>  Pillage des ressources naturelles

Les « diamants de sang » nourrissent les régimes africains corrompus

Le régime de contrôle de Kimberley ne parvient pas à réguler le négoce des gemmes douteuses


Le Monde, 7 Août 2010 - En Afrique, les diamants ne sont plus les amis des seigneurs de la guerre. Nombre des conflits alimentés par le trafic de ces précieuses gemmes sur le continent noir - en Sierra Leone ou au Liberia - sont terminés ou apaisés. En atteste l’actuel procès de l’ancien chef libérien Charles Taylor, jugé pour crimes de guerre et soupçonné d’avoir pris une part active au trafic de « diamants du sang ». En revanche, il ne manque pas de régimes violents ou corrompus pour perpétrer le trafic de ces pierres aux origines douteuses.

Aujourd’hui, leur contrebande alimente les revenus de nombreux gouvernements africains accusés d’atteintes aux droits de l’homme. Une pratique contre laquelle le système de contrôle international - dit Processus de Kimberley - destiné à éviter l’utilisation des pierres par des mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, a montré ses limites.

Deux pays producteurs sont confrontés à cette criminalisation du commerce de diamants : le Zimbabwe et l’Angola.

Les graves violences perpétrées en 2006 par des militaires contre des mineurs, avec la complicité de la Zanu-PF, le parti du président Mugabe, dans les exploitations de Marangue, dans le nord-est du Zimbabwe, mettent en exergue le trafic de pierres acheminées au Mozambique avant d’être « blanchies » à Dubaï. De cette plaque tournante du Golfe, les diamants sont ensuite officiellement exportés vers les centres de taille asiatiques.

En Angola, sous couvert de lutte contre l’immigration illégale venue de la République démocratique du Congo, Luanda a organisé une chasse brutale aux chercheurs clandestins de pierres alluvionnaires de la région de Lunda Norte. La filière d’exportation illicite transite par la République démocratique du Congo, le Rwanda ou l’Ouganda, pour gagner Anvers ou Beyrouth. Les commerçants libanais installés dans toute l’Afrique se servent aussi de la Guinée comme centre ! de transit des marchandises illégales originaires de Sierra Leone, du Libéria, de la Gambie, de Côte d’Ivoire ou du Mali.

Ce nouveau trafic concerne principalement l’Afrique. On y extrait en valeur deux tiers de la production mondiale. Ensuite, l’instabilité des gouvernements, la faiblesse des Etats et la corruption y sont chroniques. De plus, les plus belles pierres (pureté, poids, taille et couleur) proviennent des mines et cours d’eaux du Continent noir.

A l’évidence, ce nouveau négoce des « diamants de sang » se joue du Processus de Kimberley, mis en place en 2003. En vertu de cette convention placée sous l’égide de l’ONU   et signée par 75 pays, chaque diamant brut mis en vente dans le monde doit être accompagné d’un certificat infalsifiable garantissant son origine.

En novembre 2009, le Zimbabwe avait été mis sur la sellette et ses exportations suspendues. Mais après deux missions d’inspection et la promesse faite par Harare de démilitariser la zone minière de Marangue et de procéder à un audit de son stock de diamants, les affaires vont reprendre.

Aux yeux de l’organisation non gouvernementale britannique Global Witness, seule une réforme de fond en comble du Processus de Kimberley permettra d’arrêter les trafics de pierres brutes. « Basé sur les décisions à l’unanimité, ce mécanisme souffre du manque de volonté politique tout comme de l’absence d’un système de surveillance digne de ce nom », souligne Annie Dunnebacke, porte-parole de cette ONG qui défend la transparence dans l’exploitation des ressources naturelles.

Le Processus est gangrené par la lutte d’influence que se livrent pays producteurs et consommateurs de diamants. Les pays du cône sud-africain, refusent d’inclure les atteintes aux droits de l’homme comme motif de suspension ou d’exclusion. Les diamants polis ne sont pas soumis à la certification. Pour ses défenseurs, malgré ses lacunes, ce dispositif a le mérite d’exister.

Comment contrôler des fortunes qui se transportent dans une petite feuille de papier blanc pliée en quatre ? Le cas de la Suisse illustre la complexité de l’application du Processus de Kimberley. Environ 99 % des diamants importés sont entreposés dans les ports francs, en premier lieu à Genève.

Ainsi exemptées de la TVA, les compagnies peuvent procéder au triage des gemmes qui seront ensuite exportées vers différents centres de taillage. Si les certificats Kimberley d’importation sont systématiquement exigés par les douaniers, les lots, eux, sont très rarement ouverts et leur contenu vérifié. La plupart des pays procèdent ainsi, à l’exception de la Belgique qui ouvre tous les envois.

En Suisse, ce n’est qu’en cas de suspicion reposant sur des informations policières ou une analyse des risques qu’un contrôle est mené. Remonter la chaîne est souvent un casse-tête. Franck Notari, directeur de la société GemTechLab, implantée au port franc de Genève, explique qu’il « est scientifiquement impossible d’identifier la provenance géographique d’un diamant, à part quelques cas d’espèces ». D’autant plus que la plupart des lots de diamants arrivent sous la dénomination « mixte ». Des pierres de provenance géographique diverse y sont mélangées, et le certificat Kimberley ne contient alors aucune indication sur les différents pays d’origine.


VOIR EN LIGNE : Le Monde
Publié sur OSI Bouaké le samedi 4 septembre 2010

 

DANS LA MEME RUBRIQUE