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Faire la réconciliation par l’école !


24 Octobre, Korhogo, nord de la Côte d’Ivoire - Quatre ans après le début de la crise politico-militaire qui a déséquilibré le système éducatif entre le nord et le sud de la Côte d’Ivoire, le pays est parvenu enfin à organiser une rentrée scolaire unique cette année sur l’ensemble du territoire national.

Après deux années d’intenses négociations entre le ministère ivoirien de l’Education nationale et les Forces nouvelles (ex-rebelles), à l’initiative des partenaires extérieurs du système éducatif, les deux parties ont fini par s’accorder cette année pour la scolarisation simultanée dans l’ensemble du pays. Les partenaires extérieurs sont notamment le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Les portes des établissements scolaires se sont ouvertes en même temps, la semaine dernière dans le nord et le sud de la Côte d’Ivoire, mais timidement, a constaté IPS. Selon certains parents aussi bien dans la zone gouvernementale que celle contrôlée par les Forces nouvelles, le manque de moyen financier au milieu du mois serait à l’origine de la faible affluence des inscriptions à la rentrée.

"Il n’y a pas d’argent pour acheter les fournitures scolaires et payer les inscriptions. Pour le moment, tout le monde attend la fin du mois", a indiqué à IPS, Korona Tuo, un agent commercial dans une entreprise installée à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. "Nous attendons de percevoir les salaires et les prêts scolaires pour engager les dépenses scolaires".

Cependant, Rébecca Koulibaly et Judicaëlle Blamao, deux jeunes filles élèves au Lycée moderne d’Odienné, dans le nord-ouest du pays, ont exprimé à IPS leur joie de se retrouver après quatre ans de séparation forcée. "Cette rentrée unique est une satisfaction pour nous car elle permettra d’être en conformité avec les enseignements dispensés dans les autres régions du pays sous contrôle gouvernemental. Ensuite, elle permettra aux élèves d’étudier auprès de leurs parents".

En effet, depuis l’annonce de la rentrée unique, de nombreux élèves déplacés dans les zones gouvernementales à cause de la guerre sont revenus massivement pour se réinscrire dans leurs établissements d’origine dans les villes occupées par les rebelles.

"Dans une ou deux semaines, nous serons en mesure de donner les chiffres exacts des élèves inscrits. Mais par rapport aux années précédentes, nous devrions enregistrer une progression", a affirmé Kanigui Soro, responsable du comité "écoles-examens" des Forces nouvelles pour la région nord.

Lors de la traditionnelle réunion préparatoire de la rentrée qui s’est tenue le 13 octobre au Lycée Sainte Marie de Cocody à Abidjan, le ministre de l’Education nationale et de la Formation de Base, Michel Amani N’guessan, s’était réjoui de l’organisation des examens scolaires de l’année académique 2005-2006 dans les zones sous contrôle gouvernemental et des Forces nouvelles.

"Cela a été une motivation supplémentaire pour nous de croire que nous pouvons réussir une rentrée scolaire unique. Aujourd’hui, il est encore possible de faire la réconciliation par l’école", a déclaré N’guessan.

Mais les problèmes de fond demeurent. Depuis le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire est coupée en deux par une rébellion armée qui occupe la moitié nord du pays. Les rebelles estiment avoir pris les armes pour lutter contre l’exclusion présumée des populations de cette partie du pays. Mais, le système éducatif a été particulièrement défaillant dans le nord durant ces quatre années de crise.

A la suite du départ des enseignants titulaires vers les zones gouvernementales, les classes étaient tenues majoritairement dans le nord par des enseignants volontaires sans formation pédagogique pour dispenser des cours aux élèves.

Pour remplacer cette assistance momentanée par une véritable administration scolaire, le ministre de l’Education nationale a autorisé les directeurs régionaux et départementaux, dans les zones nord, centre et ouest du pays sous contrôle des Forces nouvelles, à nommer des directeurs d’écoles. Et pour combler le déficit d’enseignants dans les établissements scolaires, N’guessan a ordonné le lancement d’appels à candidature.

"Un contrat signé précisera qu’il sera rompu avec le volontaire dès que le titulaire du poste sera présent. Ensuite, le volontaire pourra continuer à recevoir les primes dont il bénéficiait du Comité de gestion d’établissements scolaires jusqu’à la fin de l’année", a souligné le ministre.

Le salaire d’un bénévole dans les écoles primaires varie entre 30 et 100 dollars.

Mais cette décision n’est pas approuvée par le Mouvement des enseignants volontaires de Côte d’Ivoire (MEVCI) qui s’étend sur le nord, le centre et l’ouest de ce pays d’Afrique de l’ouest. Ce mouvement réclame plutôt l’intégration de ses membres dans la fonction publique et le paiement des primes promises par le ministre.

Souleymane Traoré, le coordinateur du MEVCI dans le nord, a déclaré à IPS : "Si le ministre veut que cette rentrée unique se déroule normalement, il doit respecter les promesses qu’il nous a faites le 11 août dernier à Bouaké". Selon lui, le ministre aurait promis de recruter 1.951 volontaires en qualité de fonctionnaires parmi les 10.000 volontaires, et d’étudier la réinsertion des 8.059 autres.

Traoré affirme que "tant que l’intégration des 1.951 enseignants volontaires promus par le ministre et le paiement des primes ne seront pas pris en compte, aucune affectation de nouveaux enseignants ne sera possible dans nos zones".

Mais pour Brahima Ouattara, inspecteur de l’enseignement primaire de Korhogo, le problème se trouve ailleurs. "Nos difficultés restent le manque d’enseignants, la détérioration du matériel didactique ; les écoles n’ont jamais reçu d’aide ou de soutien", a-t-il dit.

"Aussi, le nord est une zone à faible taux de scolarisation dû au manque de prise de conscience des parents dont certains préfèrent les champs à l’école pour leurs enfants", a ajouté Salif Kinafo Touré, inspecteur à Niakaramadougou, dans le centre.

Par ailleurs, la scolarisation de la petite fille, initiée par l’UNICEF et relayée par les directeurs d’écoles et les conseillers pédagogiques, a certes porté des fruits, mais beaucoup reste encore à faire, ont expliqué à IPS, Jean François Coulibaly, président d’un Comité de gestion d’établissements scolaires et Karim Touré, professeur de français au Lycée municipal de Niellé, dans l’extrême nord.

"Nous pensons que cette rentrée unique va instaurer la cohésion sociale et permettra de décrisper la situation sociopolitique (du pays) qui joue beaucoup sur l’état psychologique des enseignants et en particulier et des enfants", a affirmé Touré.

"Si les pouvoirs actuels ne prennent garde pour sauver l’éducation en zones rebelles, le handicap   intellectuel qui en résulterait ne se limiterait pas seulement à ces zones, mais pourrait se répandre sur tout le pays", avertit, pour sa part, l’inspecteur Ouattara. "C’est l’éducation et la formation de la jeunesse qui en prendraient un coup".

Aly Ouattara / IPS News


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 21 novembre 2006

 

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