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Le point sur la Côte d’Ivoire : économie et situation humanitaire

Et aussi les positions de l’UE, des Etats-Unis, de la France, des Nations-Unies


Côte d’Ivoire : De mal en pis

Abidjan, 16 février 2011 (IRIN) - Pendant que l’attention du monde entier était tournée vers la mobilisation des foules et les changements de pouvoir historiques à Tunis et au Caire, la crise en Côte d’Ivoire a été reléguée à l’arrière-plan mais l’incertitude demeure. Il n’y a pas eu de rencontre face à face entre Laurent Gbagbo et son rival politique de longue date Alassane Ouattara, et les deux hommes, soutenus par leur camp respectif, continuent de revendiquer la présidence.

M. Ouattara a la reconnaissance internationale de son côté : il est soutenu par la plupart de ses pairs africains, par les Nations Unies et par l’Union européenne (UE  ). M. Ouattara et son premier ministre, Guillaume Soro, ont souligné que le droit de M. Ouattara au pouvoir exécutif ne peut être abandonné et qu’il faut absolument faire preuve d’une forte détermination régionale et internationale ; ils ont ouvertement réclamé un soutien militaire. M. Gbagbo et ses fidèles restent inflexibles : la victoire de M. Ouattara aux élections est irrémédiablement entachée [d’irrégularité] et leur propre soutien populaire, leurs techniques de survie et des alliances tactiques en Afrique leur permettront de venir à bout du défi venant de l’extérieur, qui comprend entre autres une série toujours plus importante de sanctions économiques.

Des points chauds

Pendant ce temps, les problèmes humanitaires continuent, de même que les violations des droits humains. Mais les violences les plus dures sont pour la plupart confinées à deux points chauds désormais familiers : Abidjan a connu des affrontements sanglants dans le quartier nord d’Abobo, où les partisans de M. Ouattara disent devoir se défendre contre les forces de sécurité qui ne cessent de pénétrer dans une zone connue pour être un bastion pro-Ouattara. Des milliers de personnes ont été déplacées à l’ouest, à Duékoué et dans les environs, où de vieilles tensions entre les communautés Malinké et Guéré ont été exacerbées par le conflit.

Une estimation récente de l’ONU   fixe le nombre de victimes depuis les élections à 296, un chiffre qui a relativement peu augmenté par rapport aux chiffres précédents. Mais selon les experts en droits humains, il est impossible d’obtenir des statistiques définitives. Comme l’a fait remarquer un observateur indépendant à Abidjan, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser. « On peut avoir l’impression que dans l’ensemble les tensions se calment un peu, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y a eu une amélioration de la situation. »

Tandis que les instances extérieures continuent de discuter des avantages respectifs de la carotte et du bâton, les deux protagonistes ivoiriens ont jusqu’à présent fait de l’économie leur cheval de bataille. Les exhortations de M. Ouattara à la grève et au boycott ne semblent pas avoir eu beaucoup d’effet, mais la stratégie qui consiste à isoler M. Gbagbo financièrement apparaît plus cohérente. M. Ouattara a travaillé avec le soutien de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (l’UEMOA) pour tenter de couper les fonds à M. Gbagbo ; l’idée étant qu’une fois privée de fonds, l’administration Gbagbo ne tardera pas à imploser. L’UE   et les autres semblent également certains de l’efficacité des pressions financières. Mais pour l’instant, il semble que ce soit les employés de banque et les autres citoyens ordinaires qui aient le plus à perdre.

Fermetures de banques

A la fermeture par la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de ses branches ivoiriennes, s’est ajouté le retrait, ou du moins la suspension des activités, de plusieurs institutions bancaires essentielles. Le géant bancaire international Citibank a fermé son siège d’Abidjan le 14 février.

Le même jour, la deuxième banque du pays, la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie en Côte d’Ivoire (BICICI), qui appartient à la France, a arrêté provisoirement ses opérations. Avec la SGBCI de la Société Générale, une autre banque française, elle contrôle 65 pour cent du marché de Côte d’Ivoire. « Aujourd’hui nous ne sommes plus en mesure de garantir de façon satisfaisante la sécurité juridique et comptable de nos clients, ni la sécurité physique de nos employés, » a déclaré la banque.

Un employé de la BICICI a dit à IRIN que le personnel travaillait dans une ambiance de peur depuis plusieurs semaines et qu’ils n’arrivaient pas à contacter les responsables qui avaient participé à une réunion avec des représentants de M. Gbagbo le 13 février. « Nous savons que nos chefs ont été appelés pour rencontrer les gens de M. Gbagbo au week-end. Depuis, aucun ne décroche son téléphone, » a dit l’employé. « Il y a un grand nombre de factures non payées que l’Etat doit à la banque. Aucune entreprise ne peut fonctionner de cette manière, c’était donc inévitable, » a ajouté l’employé.

Mais toute fermeture prolongée va aussi frapper durement les gens ordinaires. « Cela fait trois jours que j’essaie de retirer de l’argent. Mon mari doit faire sa dialyse, mais nous ne pouvons pas le faire tant que nous n’avons pas retiré de l’argent et maintenant, la banque est fermée, » a dit à IRIN une cliente inquiète de BICICI.

Les sanctions se sont infiltrées dans tous les aspects de la vie des Ivoiriens, leur faisant craindre pour l’économie une spirale descendante qu’ils avaient tendance à considérer comme la plaie des pays pauvres voisins.

Les Ivoiriens se sont précipités pour retirer ce qu’ils pouvaient, craignant la fermeture des banques et les distributeurs automatiques ferment tôt, car les limites journalières nouvellement imposées sont rapidement atteintes.

« Il n’y a plus de liquidités, » a dit à IRIN le directeur financier d’une multinationale. « C’est un grave problème. Les banques ne peuvent pas prêter car elles ne veulent pas lâcher le peu d’argent qu’elles ont. »

Ce n’est qu’une question de temps avant que le plein effet des sanctions ne commence à se faire sentir, a dit ce responsable. « La raffinerie nationale a du mal à payer ses factures. Il leur reste seulement assez de butane pour deux semaines peut-être, et des réserves de fuel pour trois mois tout au plus. J’appartiens à la classe moyenne et c’est la première fois que j’ai à m’inquiéter d’une pénurie de gaz dans ce pays. C’est très inquiétant. »

Des prix qui flambent

Les bidons de quarante litres de gaz butane ont fait un bond de 5 000 francs CFA (10 dollars) la recharge, à 12 000 francs CFA (24 dollars), quand encore ils sont disponibles. Après de longues queues, les acheteurs s’entendent souvent dire qu’ils doivent acheter un « nouveau modèle » de bidon s’ils veulent une recharge, ce qui leur revient au total à 37 000 francs CFA (75 dollars).

La situation est pire en dehors du principal pôle commercial que constitue Abidjan. « Même avant les élections, l’approvisionnement était quelquefois très irrégulier. Mais aujourd’hui, les camions ne font même plus le voyage pour livrer les bidons. Nous sommes obligés d’envoyer quelqu’un à Abidjan pour prendre assez de bidons pour 10 personnes à la fois, » a dit à IRIN un habitant de Tiassalé, à quelque 120 km au nord d’Abidjan.

Sanogo Amidou, qui importe des chaussures du Ghana voisin pour les vendre sur le marché principal très animé d’Adjamé, a cessé d’aller à l’étranger acheter ses marchandises.

« Je ne vends même pas six paires de chaussures par jour, » a dit Sanogo à IRIN. « Les clients sont intéressés, mais à partir du moment où tu leur dis le prix, la seule chose qui leur vient aux lèvres, c’est : "il n’y a pas d’argent, tu sais bien toi-même combien les temps sont durs", » soupire t-il, montrant d’un geste un tas de chaussures en cuir non vendues. « Parmi les gens qui viennent ici, beaucoup sont en réalité sans emploi, même si ce n’est pas dit. Leurs salaires ne sont pas versés, et leur priorité est donc d’acheter l’essentiel. »

L’effet domino est insidieux, dit-il : « En plus de l’électricité, je dois m’assurer de gagner assez pour payer aussi mon assistant. Et les gens ont du mal à payer le loyer de leur place sur le marché, ce qui à son tour pose un problème pour leur famille. »

Gérer ce qui reste de l’économie du pays, avec des ministères chaotiques ou fonctionnant à peine, a un coût évident, dit Sanogo, en montrant les ordures non-collectées qui se sont empilées à hauteur de poitrine, dans la rue à l’extérieur [du magasin]. « Et puis de toute façon, les agents des douanes gardent toutes les marchandises sous clef. Quand tu vas les voir après cinq jours, il te disent de revenir une semaine après. Et quand tu reviens une semaine plus tard, il faut amener de l’argent, sinon tu ne peux pas récupérer tes marchandises, » a t-il dit.

On ne sait pas encore si la colère croissante devant les pénuries de butane, les perturbations des services de transport, la montée des prix et les autres principales sources de désordre se traduiront par des protestations organisées. « On peut penser qu’un sérieux mécontentement va se manifester, mais la question est celle-ci : contre qui sera t-il dirigé ? », a demandé un observateur à Abidjan, faisant remarquer que M. Gbagbo était capable de blâmer M. Ouattara et la communauté internationale pour l’aggravation des problèmes sociaux, tandis que M. Ouattara mettrait le délabrement [du pays] sur le compte de l’entêtement de M. Gbagbo.


Côte d’Ivoire : Le point sur la situation humanitaire

Dakar, 20 février 2011 - IRIN a publié une série de comptes rendus sur la crise qu’ont provoquée en Côte d’Ivoire les élections contestées de novembre 2010. Tandis que Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la présidence, les divisions politiques viennent aggraver le climat de violence.

Alors que les instances régionales et internationales ont à plusieurs reprises exhorté M. Gbagbo à céder la place, les sanctions et les efforts de médiation sont bien incapables de débloquer l’impasse. M. Gbagbo et M. Ouattara ont des administrations rivales et essaient l’un comme l’autre de maximiser leurs ressources et d’isoler l’adversaire. La série de compte rendus mis à jour par IRIN examine comment les Nations Unies, les instances régionales comme l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les gouvernements occidentaux, et l’Union Européenne (l’UE  ), réagissent à la crise, et étudie également les conséquences du délabrement de la situation sur l’économie, les droits humains et les problèmes humanitaires.

La situation humanitaire – Aider les PDIP et les réfugiés

La crise politique en Côte d’Ivoire a contraint les agences des Nations Unies et les organisations non gouvernementales (ONG) à s’adapter rapidement à un scénario qui n’avait pas été anticipé. Avant les élections, les organisations humanitaires avaient réduit leurs opérations d’urgence et s’étaient concentrées sur les programmes de relèvement et de développement. La crise à Abidjan a cependant exacerbé les tensions existantes dans plusieurs régions du pays, notamment dans l’ouest, et provoqué une nouvelle vague de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) et de réfugiés (qui se dirigent principalement vers l’ouest, en direction du Liberia). De nouveaux besoins, souvent inattendus, ont entraîné un changement de priorités et une nécessité de financement.

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres a rappelé la nécessité d’une résolution rapide de la crise. « Une action politique internationale urgente est nécessaire pour sortir de l’impasse et rétablir le calme », a dit M. Guterres aux journalistes à Genève le 10 février. « Tous les citoyens de la Côte d’Ivoire devraient se sentir en sécurité chez eux et ne plus avoir à fuir en quête de sécurité ».

L’Organisation internationale pour les migrations(OIM) a enregistré près de 82 000 personnes déplacées en Côte d’Ivoire et dans les pays voisins à la suite de la crise. Selon l’institution toutefois, il est « fort probable que les chiffres réels soient plus élevés ». On compte notamment 34 500 réfugiés au Liberia et 42 000 PDIP à Duékoué, Man et Danane, dans l’ouest du pays. Dans les deux cas, les femmes et les enfants sont surreprésentés.

L’OIM a également remarqué des mouvements de population importants en direction du Mali. Plus de 2 500 personnes auraient en effet traversé la frontière au cours des dernières semaines : plus de la moitié d’entre eux seraient des Maliens et les autres, des réfugiés ivoiriens et des ressortissants de 10 pays d’Afrique de l’Ouest. Le Burkina Faso, la Guinée et le Ghana ont tous accueilli des rapatriés et des Ivoiriens. Des groupes de défense des droits humains ont indiqué que les ressortissants des pays voisins, y compris de nombreux migrants de longue date, et les Ivoiriens portant des noms qui les identifient comme appartenant aux Malinké ou à d’autres communautés à majorité musulmane avaient été gravement persécutés pendant les violences postélectorales.

« L’expérience passée montre que nous devons nous préparer à une nouvelle crise migratoire dans la région », a dit Eugenio Ambrosi, le représentant régional de l’OIM pour la Côte d’Ivoire et les pays voisins.

Dans l’ouest du pays, les affrontements entre les communautés Guéré et Malinké à Duékoué et dans les environs ont entraîné des incendies et le pillage des maisons et forcé des milliers de personnes à fuir leur foyer. La mission catholique de Duékoué héberge actuellement plus de 12 000 personnes. Parmi les organisations humanitaires qui contribuent à gérer les déplacements de population, on compte notamment le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a mis du chlore dans près de 400 puits dans la région de Duékoué et a fourni, entre autres choses, des tentes, des latrines et des douches.

Pénuries dans le secteur de la santé

Tandis que l’attention de la communauté internationale est tournée vers les violences qui déchirent la ville de Duékoué et l’afflux de réfugiés au Liberia, on s’inquiète sérieusement de l’émergence de problèmes structurels, notamment de graves pénuries de médicaments et de personnel de santé et des risques liés à l’apparition de maladies telles que le choléra, la rougeole et la fièvre jaune.

« Il y a des risques de maladies récurrentes », a dit à IRIN Louis Vigneault, chargé de communication du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). « Nous avons atteint un point où les conséquences humanitaires de la crise sont évidentes. De nombreux travailleurs de la santé ont quitté leur emploi et il est désormais difficile pour la population d’obtenir des soins de santé adéquats ».

Antoine Gnagbo, un infirmier qui travaillait auparavant à Séguéla mais qui est à Abidjan depuis quatre mois, fait partie de ceux qui ont quitté leur poste. « Je ne peux pas m’imaginer retourner travailler avant la fin de la crise. Il n’y a aucune sécurité et je ne sais pas comment je pourrais faire mon travail sans médicaments », a dit M. Gnagbo à IRIN.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS  ) a dit que seulement 20 pour cent du personnel de santé qualifié demeurait en poste dans l’ouest et que l’ensemble du système de santé se détériorait. Un communiqué récent indiquait : « Cinq centres de santé sont fermés. Il n’y a pas eu de surveillance épidémiologique depuis plusieurs mois dans l’ouest. La pharmacie de l’hôpital de Man, qui a été la cible d’actes de vandalisme, n’est que partiellement fonctionnelle. La couverture vaccinale pour la rougeole et le tétanos, déjà très faible, risque de diminuer encore plus ».

« Nous avons besoin d’un plan d’action d’urgence pour remettre en marche le système de santé », a dit le représentant de l’OMS   Mamadou Ball.

Au cours d’une récente campagne de vaccination contre la fièvre jaune dans les villes de Katiola et de Séguéla, dans le nord du pays, l’OMS   et l’UNICEF ont dû recourir aux services de bénévoles d’ONG locales. « Le danger est bien réel », a indiqué M. Vigneault. « Les campagnes de vaccination de routine ont considérablement ralenti. Nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens dont nous disposons, mais ce n’est pas suffisant ».

Selon M. Vigneault, de graves pénuries de médicaments ont été signalées dans plusieurs villes de cette partie du pays.

Nourriture et transport – un impact régional

Si la crise politique en Côte d’Ivoire a entraîné de graves perturbations au niveau de l’approvisionnement en nourriture, elle représente également un coup dur pour ses deux voisins qui ne bénéficient pas d’un accès à la mer. Les factures des importations du Burkina Faso et du Mali ont déjà subi les contrecoups des prix records des denrées alimentaires. Les deux pays du Sahel demeurent extrêmement vulnérables aux sécheresses, et la productivité alimentaire dans certaines régions dépend entièrement de l’unique saison des pluies. S’il ne pleut pas suffisamment, seules les importations de nourriture peuvent permettre de combler le déficit. Par ailleurs, le Mali et le Burkina Faso dépendent tous deux des ports ivoiriens d’Abidjan et de San Pedro pour leurs importations et des terres fertiles situées en Côte d’Ivoire, juste au sud de la frontière, pour les ressources alimentaires.

« La situation en Côte d’Ivoire a un impact sur les pays voisins et perturbe notamment les flux commerciaux au Burkina Faso et au Mali », a dit Jean Senahoun, économiste pour le Système mondial d’information et d’alerte rapide sur l’alimentation et l’agriculture (SMIAR).

« Le prix du riz ou du millet tourne toujours autour de 30 dollars le sac, ce qui est beaucoup trop élevé pour la population », a dit à IRIN Ousseny Savadogo, du ministère de l’Agriculture burkinabé. Il a ajouté que le gouvernement mettait en œuvre des plans pour éviter une répétition des émeutes de 2008, lorsque les prix des denrées alimentaires avaient atteint des niveaux records sur les marchés mondiaux.

« Le problème ici, c’est que s’il ne pleut pas, nous perdons nos récoltes. Peu importe ce que fait le gouvernement, nous perdons de la nourriture que nous aurions eu [si ce n’était pas de la sécheresse]. Cela nous rend la vie très difficile », a dit Oussein Gnamene, un cultivateur de millet d’Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso.

Comme ils l’ont fait au moment de l’éclatement de la guerre en Côte d’Ivoire en septembre 2002, les acteurs économiques burkinabés étudient la possibilité de faire transiter leurs produits par d’autres ports, notamment celui de Lomé, au Togo, ou de Tema, au Ghana. Il est en effet de plus en plus complexe de traverser un pays divisé pour se rendre à Abidjan. Les autorités portuaires de Lomé et d’ailleurs ont ouvert leurs installations et le ministre des Transports burkinabé Gilbert Noël Ouédraogo a approché les autorités sénégalaises pour discuter de la possibilité d’utiliser le port de Dakar.

Le gouvernement burkinabé a mis sur pied un « groupe de surveillance » afin d’évaluer l’évolution de l’impact de la crise en Côte d’Ivoire sur l’économie du pays.

D’après Issoufou Maiga, secrétaire général de l’association nationale des propriétaires de camions, l’Organisation des Transporteurs du Faso (OTRAF), les propriétaires de camions sont désormais extrêmement réticents à envoyer leurs camions en Côte d’Ivoire.


CÔTE D’IVOIRE : Le point sur l’économie

Dakar, 21 février 2011 (IRIN) - IRIN a publié une série de comptes rendus sur la crise qu’ont provoquée en Côte d’Ivoire les élections contestées de novembre 2010. Tandis que Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la présidence, les divisions politiques viennent aggraver le climat de violence.

Alors que les instances régionales et internationales ont à plusieurs reprises exhorté M. Gbagbo à céder la place, les sanctions et les efforts de médiation sont bien incapables de débloquer l’impasse. M. Gbagbo et M. Ouattara ont des administrations rivales et essaient l’un comme l’autre de maximiser leurs ressources et d’isoler l’adversaire. La série de compte rendus mis à jour par IRIN examine comment les Nations Unies, les instances régionales comme l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les gouvernements occidentaux, et l’Union Européenne (l’UE  ), réagissent à la crise, et étudie également les conséquences du délabrement de la situation sur l’économie, les droits humains et les problèmes humanitaires.

L’économie - Une lutte pour le pouvoir

La Côte d’Ivoire vit sous deux administrations rivales depuis décembre. Un observateur a parlé de « bicéphalisme », le fait d’avoir deux têtes. Quoique ce phénomène relève le plus souvent du mythe et soit une des anomalies médicales les plus rares chez les êtres humains, il est aujourd’hui bien établi en Côte d’ivoire. Deux hommes affirmant être président sont emmêlés dans une lutte économique féroce, tandis qu’ils rivalisent pour se faire reconnaître et survivre, à coups de décrets et de déclarations contradictoires.

L’économie - Quels sont les enjeux ?

La Côte d’Ivoire a l’une des économies les plus importantes d’Afrique sub-saharienne : elle représente 40 pour cent du PIB dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et dispose d’une infrastructure commerciale largement supérieure à celle de ses voisins. Dans un rapport publié au printemps 2008, le groupe américain Whitaker déclarait : « La Côte d’Ivoire est ouverte à l’activité économique », soulignant que « l’Accord de Ouagadougou et le processus de paix qui en a résulté a redonné confiance à de nombreux investisseurs nationaux et étrangers pour saisir les opportunités considérables de faire des affaires dans un pays qui est une importante plaque tournante dans l’économie régionale ouest-africaine. » Le Whitaker Group voyait dans le développement d’une nouvelle raffinerie, l’augmentation des investissements indiens et les tentatives pour faire évoluer un secteur du coton peu performant, des signes clairs de relèvement de l’économie.

Si les élections s’étaient terminées de manière pacifique, les perspectives économiques de la Côte d’Ivoire auraient été relativement bonnes, car les résultats auraient levé le frein qui bloquait la confiance des investisseurs. Un taux de croissance de 3,8 pour cent a été enregistré en 2009 et les prévisions d’expansion des revenus issus des exportations de cacao et de pétrole étaient optimistes. La Banque mondiale s’était lancée dans un Programme d’assistance au pays pour 2010-2013, centré sur la bonne gouvernance, le développement des infrastructures, l’amélioration des exportations, le développement agricole et la revitalisation du secteur privé.

L’Association internationale de développement (AID) avait un portefeuille de 10 projets d’investissement d’une valeur de 737 millions de dollars (dont 245 sont encore à verser). Le Fonds monétaire international (le FMI) avait accepté de fournir 565,7 millions de dollars dans le cadre d’un arrangement de Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC), avec le relèvement économique pour objectif. En outre, la Banque mondiale et le FMI avaient accordé à la Côte d’Ivoire une remise de la dette grâce à une initiative renforcée en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE). Les deux organismes ont loué les efforts du gouvernement pour réduire la pauvreté et pour la gestion financière. L’allègement proposé de la dette, quelque 3 milliards de dollars sur une dette extérieure totale d’environ 12,8 milliards, dépendait du succès des élections. Le statut de PPTE permettait à la Côte d’Ivoire de ré-arranger sa dette avec le Club de Paris comme avec le Club de Londres. La France et les Etats-Unis avaient aussi accordé d’importantes mesures d’allègement de la dette.

Cependant, toutes ces rumeurs encourageantes émanant des partenaires et des donateurs étaient accompagnées d’avertissements : le soutien pour le relèvement dépendait de la normalisation politique. Depuis les élections, la Banque mondiale comme le FMI ont suspendu leurs opérations et la crise politique a fait entrevoir des conséquences économiques catastrophiques au niveau du pays et de la région.

M. Gbagbo - une lutte pour la survie

M. Gbagbo continue à faire référence à M. Ouattara et à son équipe ministérielle comme à de prétendus usurpateurs, qui du fin fond de leur complexe hôtelier, font jouer leur influence pour survivre, après avoir trompé la communauté internationale avec une fausse victoire électorale. M. Gbagbo et ses alliés ont répondu à la montée des critiques étrangères par un geste de bravade : [pour eux], « les affaires continuent » ; ils cherchent à exploiter le fait qu’ils sont déjà en place, avec tout l’appareil du gouvernement à leur disposition. Le gouvernement Gbagbo a jusqu’ici ignoré le gel des comptes et l’introduction des sanctions ; il minimise les conséquences des restrictions financières et affirme que l’économie a déjà survécu à huit ans de partition et peut s’adapter à nouveau.

Devant la multiplication des demandes d’action contre M. Gbagbo, le porte-parole du gouvernement, Ahoua Don Mello, a dit aux journalistes : "Nous retirons de l’argent quotidiennement, » dédramatisant les critiques du FMI et des autres, soulignant que M. Gbagbo était prêt à affronter toutes les éventualités et que la campagne d’asphyxie économique menée par M. Ouattara était vouée à l’échec.

Le budget adopté par le Conseil des ministres le 13 janvier et expliqué par M. Don Mello le lendemain à la télévision d’Etat, prévoyait des dépenses publiques de 2 902 milliards de francs CFA (environ 6 milliards de dollars), une légère augmentation par rapport aux chiffres de l’année précédente. M. Don Mello a promis que les salaires seraient payés intégralement, que les dettes intérieure et extérieure seraient honorées, l’emploi garanti, les projets de travaux publics poursuivis et les services publics maintenus. M. Don Mello fondait la continuité de la stabilité économique du pays sur l’expansion de l’agriculture et de l’exploitation minière et sur la croissance des revenus provenant du cacao.

Selon les experts en économie, cette vision des choses est ridiculement optimiste et les réserves de M. Gbagbo diminuent rapidement. Quoiqu’on entende beaucoup de rumeurs sur le fait que M. Gbagbo solliciterait des fonds de ses partisans dans le pays ou à l’étranger, on n’observe encore aucun signe d’une stratégie de survie à long terme.

Dans sa présentation aux journalistes le 3 février à Washington, l’ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire, Phillip Carter, a dit que M. Gbagbo avait pris de dangereuses mesures d’urgence pour se maintenir à flot : « Il a joué les pirates.Il a forcé les entreprises locales à payer leurs impôts d’avance, à payer les marchandises d’avance, les contrats d’avance, accentuant la pression sur un certain nombre d’entreprises liées aux ressources naturelles, que ce soit le café, le cacao, le pétrole, le bois, ou n’importe quoi, il leur faut payer d’avance. Mais celles-ci résistent. Et ce qu’on observe donc, c’est une tentative de sa part pour contrôler autant de ressources que possible pour obtenir l’argent dont il a besoin pour pouvoir payer les salaires, et probablement pour acheter des armes supplémentaires, pour pouvoir continuer son combat. »

MM. Ouattara et Soro - L’avantage de la légitimité

Reconnu de façon internationale comme le président, M. Ouattara affirme avec assurance que le temps et les stratégies vont bientôt manquer à M. Gbagbo ; selon lui, les exportations vont s’effondrer, de même que le PIB. Sa campagne de désobéissance, qui exhortait à la grève, n’a été que très partiellement suivie, mais M. Ouattara et ses partisans semblent convaincus que l’économie Gbagbo va s’écrouler de l’intérieur quand les banques vont être à court d’argent, que la raffinerie va manquer de fuel et que les exportations de cacao vont rester sur les quais.

M. Ouattara est un apparatchik financier hautement qualifié, qui connaît parfaitement les institutions bancaires nationales, régionales et internationales, ainsi que les procédés juridiques. Son ministre des Finances, Charles Koffi Diby, est d’une race similaire : il a été président du Conseil des ministres de l’UEMOA.

Depuis le début de la crise, le Premier ministre de M. Ouattara, Guillaume Soro, tout en réclamant ouvertement une intervention militaire extérieure, n’a cessé de demander que son gouvernement puisse prendre immédiatement le contrôle des commandes de l’économie. Il a menacé d’amendes sévères les banques, les grandes entreprises et les particuliers qu’on verrait négocier avec l’administration discréditée de M. Gbagbo. Par une combinaison de pressions diplomatiques et financières, tout en gardant l’option militaire en réserve, M. Soro a parlé de se débarrasser de M. Gbagbo « en quelques semaines, et non en plusieurs mois. » Un communiqué publié par M. Soro le 7 janvier a souligné le rôle des opérateurs économiques dans le renforcement du gouvernement Gbagbo et a listé 16 particuliers et huit organismes financiers coupables. M. Soro a mis en garde : « Toute autorisation émanant d’une personne non mandatée par le gouvernement est nulle et non avenue, », précisant que les impôts ne devaient être payés qu’aux fonctionnaires des douanes et aux autorités fiscales.

L’UEMOA a largement soutenu M. Ouattara et M. Soro, sans peut-être y mettre la conviction et la rapidité que ceux-ci auraient souhaitées. Un Conseil des ministres de l’UEMOA à Bissau le 23 décembre a clairement donné son appui à M.Ouattara et décidé que seul le gouvernement de ce dernier aurait accès au compte - crucial - de la Côte d’Ivoire à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les rapports ultérieurs révélant que M. Gbagbo avait pu faire d’énormes retraits sans être inquiété par les responsables bancaires, ont provoqué des critiques virulentes de la part de M. Ouattara et la demande de limogeage du Gouverneur de la BCEAO, Philippe Henri Dacoury-Tabley, un Ivoirien proche de M. Gbagbo. M. Dacoury-Tabley a dûment démissionné à la réunion des chefs d’Etat de l’UEMOA à Bamako le 22 janvier, réunion à laquelle participait M. Soro. L’UEMOA a exhorté M. Gbagbo à céder pacifiquement la place et a lancé un avertissement sans détours : le personnel et la propriété de la BCEAO seraient protégés, une façon de dire clairement à M. Gbagbo de "ne pas y toucher".

Le 26 janvier, M. Gbagbo a donné l’ordre de saisir les filiales de la BCEAO en Côte d’Ivoire, un geste rapidement dénoncé comme « illégitime et illégal » par M. Ouattara, qui a ordonné la fermeture de ces filiales. La BCEAO, désormais dirigée par le Burkinabé Jean-Baptiste Compaoré sur une base provisoire, a désactivé son système informatique inter-bancaire pour traiter les compensations, de façon à ce que les autres banques ne puissent l’utiliser pour leurs transactions.

La BCEAO a dit qu’elle verrait à trouver « des réponses adaptées à une situation sans précédent, » et s’est excusée auprès de ses employés de les avoir renvoyés chez eux en attendant la suite des événements.

Au cours d’une réunion extraordinaire qui s’est tenue à Dakar le 1er février, le Conseil des ministres de l’UEMOA a soutenu pleinement la position de la BCEAO et dit qu’il envisageait de nouvelles mesures afin d’assurer la liquidité financière dans la région. L’un des principaux alliés de M. Gbagbo, le président du Front Populaire Ivoirien (le FPI), Pascal Affi N’Guessan, a prévenu que la Côte d’Ivoire pourrait se retirer de l’UEMOA, décrivant son pays comme la « colonne vertébrale » et le « poumon économique » de l’Union.

La « seconde Côte d’Ivoire » - L’économie des Forces Nouvelles

En tant que chef des rebelles des Forces Nouvelles (FN), M. Soro se trouvait à la tête d’un Etat informel à l’intérieur de l’Etat, faisant tourner une économie très improvisée, avec son propre système de taxation et ses routes commerciales, très mal perçue par l’administration centrale d’Abidjan qui se plaignait d’une perte de revenus et de racket avec tout ce cacao, ce coton et ces matières premières qui quittaient le pays sans être taxées.

Même si l’idée d’une partition a été écartée par les deux côtés, MM. Ouattara et Soro gardent en réalité le contrôle de vastes territoires offrant un accès facile aux pays voisins comme le Mali, le Burkina Faso et la Guinée. Des essais hésitants ont été faits, suite aux Accords de Ouagadougou de mars 2007, pour établir une administration commune dans le nord et dans les autres régions où les FN imposaient leur pouvoir depuis 2002 ; l’Etat devait renvoyer d’Abidjan des fonctionnaires et les deux parties accepteraient d’utiliser des procédés financiers communs. Mais le Groupe d’Experts et d’autres ont fait remarquer de graves manquements dans ce projet : les FN étaient réticents à céder la souveraineté dans certaines zones et étaient peu disposés à déclarer leurs avoirs et à laisser l’Etat reconquérir l’économie.

Des observateurs indépendants, notamment le Groupe d’Experts nominé par les Nations Unies, ont critiqué les FN pour leur manque de transparence en économie ; ils ont noté le manque de responsabilité en matière d’impôts et exprimé des craintes concernant les exportations illégales de diamants et d’or et le développement de réseaux de contrebande transfrontalière. Ces réseaux, disent les observateurs, sont toujours en place et le trafic de cigarettes est toujours une source majeure de revenus pour les commandants rebelles et leurs associés en affaires, qui s’appuient sur des autorités conciliantes dans les pays voisins.

Etant donné la nature décentralisée du territoire des FN, qui attribuent des zones à des commandants spécifiques, la confusion continue à régner : on ne sait pas bien qui contrôle l’économie dans une bonne partie du territoire qui n’est pas sous la juridiction de M. Gbagbo, ni jusqu’à quel point les chefs des FN sont prêts à rentrer dans le rang sous un gouvernement mené par M. Ouattara. La plus grande mine d’or du pays, la mine de Tongon, exploitée par Rangold Resources, est située dans une zone qui est aux mains des FN, près de la frontière du Mali. Randgold dit que ses activités minières ont continué malgré la crise politique.


CÔTE D’IVOIRE : Le point sur la position de l’UE

Dakar, 24 février 2011 (IRIN) - IRIN a publié une série de comptes rendus sur la crise qu’ont provoquée en Côte d’Ivoire les élections contestées de novembre 2010.

Tandis que Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la présidence, les divisions politiques viennent aggraver le climat de violence. Alors que les instances régionales et internationales ont à plusieurs reprises exhorté M. Gbagbo à céder la place, les sanctions et les efforts de médiation sont bien incapables de débloquer l’impasse. M. Gbagbo et M. Ouattara ont des administrations rivales et essaient l’un comme l’autre de maximiser leurs ressources et d’isoler l’adversaire. La série de comptes rendus mis à jour par IRIN examine comment les Nations Unies, les instances régionales comme l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les gouvernements occidentaux, et l’Union Européenne (l’UE  ), réagissent à la crise, et étudie également les conséquences du délabrement de la situation sur l’économie, les droits humains et les problèmes humanitaires.

L’UE   soutient M. Ouattara et veut le départ de M. Gbagbo

Tandis que la CEDEAO et l’UA se sont efforcées de présenter un front unifié sur le sujet de la Côte d’Ivoire, l’UE   a continué a soutenir M. Ouattara et à encourager l’isolement de M. Gbagbo. La liste des cibles des sanctions ne cesse de s’allonger, mais une terrible confusion règne quant aux implications de ces sanctions.

L’UE   accepte les résultats des élections annoncés par la CEI

Près de deux mois après le second tour des élections en Côte d’Ivoire, la Mission d’ Observation Electorale de l’Union Européenne (MOE UE  ) a publié son rapport sur les élections le 25 janvier à Bruxelles. Dans des conditions normales, le rapport aurait dû être présenté à Abidjan, mais des questions de sécurité ont rendu cela impossible. De plus, comme l’a fait remarquer le député roumain Christian Preda, chef de la mission d’observation de 120 membres : « Nous avons un problème technique : Il nous faut des visas, or nous ne pouvons pas demander des visas à un président que nous ne reconnaissons plus. »

Le rapport, présenté par M. Preda à la conférence de presse de Bruxelles, approuvait sans réserve les résultats émanant de la Commission électorale indépendante (CEI), certifiés par le Représentant spécial des Nations Unies J. Y. Choi. M. Preda a sévèrement critiqué le rôle joué par le Conseil Constitutionnel, affirmant que sa décision d’annuler les élections était irréfléchie. M. Preda a indiqué que les propos de M. Gbagbo et autres, suggérant que la fraude électorale dans le nord avait été très répandue, étaient erronés, et qu’il y avait eu davantage de tentatives d’intimidation dans l’ouest. Se fondant sur la visite de 1 000 bureaux de votes sur un total de 20 000, soit cinq pour cent, M. Preda a conclu que les irrégularités avaient été, dans le pire des cas, mineures et qu’il n’y avait pas eu d’indications de fraude généralisée. « La seule personne à avoir noté des cas de fraude était le président qui refuse de partir, » a affirmé M. Preda. « Et il a vu la fraude après les résultats. La seule fraude réelle est d’avoir obligé le Conseil constitutionnel à agir de façon illégale. » M. Preda a indiqué que les observateurs avaient subi des intimidations venant des deux côtés, quelquefois sous la forme de menaces de mort, ce que les observateurs avaient fini par prendre très au sérieux, surtout à Yamoussoukro. M. Preda a confirmé que les observateurs avaient quitté la Côte d’Ivoire plus tôt que prévu, et ce principalement à cause du climat d’intimidation.

M. Preda a dit qu’il était important de se concentrer sur les résultats de l’UE   et de tirer les leçons du processus électoral. « Notre verdict parfaitement clair sur l’impartialité des élections peut empêcher un président de garder le pouvoir, » a t-il dit.

Tous le même refrain

Plusieurs semaines avant la présentation du rapport MOE UE  , l’UE   avait déjà pris fait et cause pour M. Ouattara. Les premières déclarations faisaient écho à celles des Nation Unies, de l’UA, de la CEDEAO et des Etats-Unis et c’est toujours le cas. Ainsi, deux mois après le début de la crise, les conclusions de la réunion du Conseil de l’Union européenne du 31 janvier étaient plus ou moins la copie conforme de celle du Conseil de sécurité dans la Résolution 1967, adoptée deux semaines auparavant. L’UE   a fermement appuyé l’UA et la CEDEAO, en déplorant les violences, les violations des droits humains, la poursuite du blocus de l’Hôtel du Golfe, les efforts pour déstabiliser l’ONUCI et l’utilisation des médias pour inciter à la haine. Pour l’UE  , il a toujours été très clair que soutenir M. Ouattara signifiait isoler M. Gbagbo. « L’UE   demande à tous les acteurs civils et militaires de reconnaître l’autorité du président démocratiquement élu et de son gouvernement et réaffirme qu’elle ne considérera comme légitimes que les institutions et organes qui se soumettent à son autorité. »

Ayant précédemment fait allusion à des sanctions au cas où M. Gbagbo refuserait de céder la place, l’UE   a publié le 22 décembre une liste de 19 particuliers touchés [par les sanctions]. La liste comprenait Laurent et Simone Gbagbo, plusieurs membres clés du cercle des proches de M. Gbagbo, des chefs des milices pro-Gbagbo et plusieurs personnages éminents des médias.

Les personnes visées ont rejeté les interdictions de visa et les pénalités financières comme injustes et non-pertinentes, mais l’Union européenne a alors publié une liste élargie contenant 59 noms ; beaucoup de ceux qui avaient été ajoutés faisaient partie de l’administration non reconnue et étaient accusés d’« entraver la paix et les processus de réconciliation, et de refuser d’accepter le résultat de l’élection présidentielle, en participant au gouvernement illégitime de M. Gbagbo. »

Les sanctions des acteurs économiques

Etant donné le peu de progrès des efforts de médiation et le maintien des solutions militaires comme option de réserve, les sanctions européennes semblent suivre de plus en plus les stratégies économiques soutenues par MM. Ouattara et Soro. Il s’agit de pénaliser tous ceux qu’on aura vus assister une administration illégale, que ce soit en lui apportant un soutien financier ou tout simplement en fournissant des services courants dans des circonstances que les partisans considèrent comme extrêmement anormales.

La liste des sanctions émise le 14 janvier concernait 85 particuliers et 11 institutions. Cette fois, les personnes visées incluaient les directeurs des plus grandes entreprises d’Etat et des organisations dont ils sont à la tête, accusées les unes comme les autres de « contribuer à financer le gouvernement illégitime de Laurent Gbagbo. » Parmi elles, la Société Nationale d’Opérations Pétrolières de Côte d’Ivoire (PETROCI) et son directeur Fadika Kassoum, le Comité de gestion de la filière café et cacao (CGFCC) et son président, Gilbert Anoh N’Guessan, et les autorités portuaires d’Abidjan et de San pedro au sud-ouest. Il y avait aussi plusieurs banques [sur la liste], et deux autres ont été ajoutées à la liste publiée le 31 janvier. Cette fois, l’UE   visait Philippe Henri Dacoury-Tabley qui avait déjà été relevé de son poste de gouverneur de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Denis N’Gbé, le directeur ivoirien de la BCEAO, et Ibrahim Ezzedine, un homme d’affaires libanais qui détient une majorité du marché du riz ivoirien.

Les réactions face aux sanctions

Les acteurs économiques ainsi sanctionnés ont réagi avec véhémence. Interrogé par la presse ivoirienne, Roland Dagher, homme d’affaire libanais et « conseiller économique et social », a dit qu’il avait déjà mis en route une procédure légale contre l’UE  , avertissant que ceux qui cherchaient à introduire des sanctions « en pensant qu’elles allaient asphyxier M. Gbagbo étaient en réalité en train d’asphyxier les travailleurs. »

Le directeur général du Port Autonome d’Abidjan (PAA), Marcel Gossio, a été encore plus virulent. Dans son adresse aux acteurs économiques, M. Gossio a fait remarquer : « Nous avons du mal à comprendre les attaques contre notre port, attaques qui semblent faire un dangereux amalgame entre une entité économique et la crise politique que traverse le pays. » Selon M. Gossio, la décision de l’UE   de geler les comptes du PAA et d’interdire aux bateaux enregistrés en Europe de faire relâche au port ne réussirait qu’à pénaliser la communauté économique.

Mais le contenu des sanctions, en particulier la façon dont elles sont exprimées et le risque d’une mauvaise interprétation, a provoqué l’inquiétude et la perplexité parmi les acteurs économiques en-dehors de l’Afrique.

Ainsi, dans une déclaration commune publiée le 4 février, la Fédération du commerce du cacao (FCC) basée à Londres et l’Association européenne pour le cacao (ECA) à Bruxelles ont dit avoir demandé des clarifications sur les implications des sanctions de l’UE  , mais qu’elles attendaient encore la réponse. « Nos membres continuent à signaler que les incertitudes liées aux sanctions provoquent non seulement un arrêt des exportations, mais aussi un ralentissement, voire la cessation, de l’activité sur le marché ivoirien, et ce sont les producteurs qui vont être le plus durement touchés, » ont noté la FCC et l’ECA. « Quoique l’UE   ait imposé des sanctions financières à certains individus et certaines sociétés, ces mesures ciblées équivalent à une interdiction de fait pour la Côte d’Ivoire d’exporter les fèves de cacao et les produits dérivés. »

La même confusion entoure les sanctions concernant le transport maritime. La société américaine de conseil juridique Reed Smith a envoyé le 21 janvier à ses clients une circulaire offrant une interprétation des mesures de l’UE  . Reed Smith notait « actuellement une interdiction totale de fournir des fonds ou des ressources économiques aux parties sanctionnées », y compris les autorités portuaires et les compagnies pétrolières, mais faisait remarquer qu’il n’existait pas de directives claires concernant les contrats signés avant la mise en ouvre des sanctions. Tout en suggérant qu’un bateau faisant escale à Abidjan et à San Pedro (capitale de la région du Bas-Sassandra au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, dont elle est le deuxième port) pourrait être considéré comme interdit, Reed Smith a reconnu que les échos reçus sur la façon dont les sanctions de l’UE   étaient appliquées pouvaient être complètement différents : « On entend dire que les "vaisseaux de l’UE  " ont interdiction formelle de faire relâche dans les ports ivoiriens, mais également que les affaires continuent. »

Sources : Parlement européen, Journal Officiel de l’Union européenne, AFP, Soir Info (Côte d’Ivoire), Fédération du Commerce du Cacao, Association européenne pour le cacao (ECA), site Internet de conseil juridique Reed Smith


CÔTE D’IVOIRE : Le point sur les positions des Etats-Unis et de la France

Dakar, 23 février 2011 (IRIN) - IRIN a publié une série de comptes rendus sur la crise qu’ont provoquée en Côte d’Ivoire les élections contestées de novembre 2010. Tandis que Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la présidence, les divisions politiques viennent aggraver le climat de violence.

Alors que les instances régionales et internationales ont à plusieurs reprises exhorté M. Gbagbo à céder la place, les sanctions et les efforts de médiation sont bien incapables de débloquer l’impasse. M. Gbagbo et M. Ouattara ont des administrations rivales et essaient l’un comme l’autre de maximiser leurs ressources et d’isoler l’adversaire. La série de comptes rendus mis à jour par IRIN examine comment les Nations Unies, les instances régionales comme l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les gouvernements occidentaux, et l’Union Européenne (l’UE  ), réagissent à la crise, et étudie également les conséquences du délabrement de la situation sur l’économie, les droits humains et les problèmes humanitaires.

Les Etats-Unis - jouent-ils uniquement un rôle de second plan ?

Susan Rice, ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies, a été parmi les premiers hauts diplomates à plaider en faveur d’une reconnaissance de la victoire de M. Ouattara. Depuis lors, le président Barack Obama, la secrétaire d’Etat Hilary Clinton et plusieurs autres figures du gouvernement se sont exprimés à ce sujet. Le message a été systématiquement répété : Laurent Gbagbo doit céder le pouvoir à Alassane Ouattara ; plus M. Gbagbo tardera à suivre ce conseil, plus les sanctions seront lourdes, a en outre laissé entendre Washington, avec de plus en plus de clarté. Tout en plaidant en faveur d’une résolution politique de la crise, les Etats-Unis ont averti qu’au cours des négociations, M. Gbagbo ne devrait pas imposer de conditions sine qua non, ni tenter de relancer le débat sur les élections. S’il a été suggéré que M. Gbagbo pourrait proposer de nommer M. Ouattara au poste de vice-président tout en se maintenant à la tête de l’Etat, cette hypothèse n’a pas gagné l’approbation de Washington, l’administration Obama indiquant sans équivoque que les résultats des élections avaient été certifiés par la communauté internationale et qu’il fallait en tenir compte.

M. Gbagbo adopte actuellement des mesures de plus en plus désespérées pour se maintenir à flot et ne souhaite en aucun cas voir ses activités financières soumises à l’examen d’un gouvernement hostile ; d’aucuns craignent donc également qu’il ne se cherche des défenseurs dans les médias et ailleurs pour plaider sa cause. Les Etats-Unis, quant à eux, soutiennent fermement l’UA et la CEDEAO dans le cadre des initiatives de médiation, mais ils s’inquiètent d’un essoufflement et du manque de cohésion des deux organismes africains à mesure que la crise se poursuit et qu’il devient de plus en plus difficile de maintenir le consensus. Parallèlement, d’autres avertissements ont été lancés, notamment par la secrétaire d’Etat Hilary Clinton, concernant l’état, de plus en plus préoccupant, des droits humains dans le pays.

Foi en la diplomatie africaine

Les Etats-Unis ont reconnu la nomination, par Alassane Ouattara, d’un nouvel ambassadeur, Daouda Diabaté, pour remplacer Charles Yao Koffi, envoyé de Laurent Gbagbo. Si M. Gbagbo a exigé l’expulsion des Nations Unies et des ambassadeurs de France, du Canada et du Royaume-Uni, Washington n’a pas encore été enjoint de fermer son ambassade. Toutefois, l’ambassadeur Phillip Carter a essuyé des critiques virulentes dans la presse pro-Gbagbo, qui a dénoncé à plusieurs reprises un complot fomenté par l’Amérique et la France en vue d’installer Alassane Ouattara au pouvoir. Ahoua Don Mello, porte-parole du gouvernement, a récemment accusé l’ambassadeur d’ingérence « grave et inadmissible » dans les affaires du pays, en réaction directe à un point de presse donné par M. Carter à Washington, le 4 février.

Phillip Carter a explicitement minimisé le rôle de Washington dans la résolution du conflit, insistant sur l’importance du rôle de leader joué par l’Afrique. « Voilà comment cela va se dérouler : il s’agit en gros d’une question ivoirienne, d’une question africaine, et les Africains envisagent leurs ressources et les moyens qui leur permettraient de mettre en ouvre cette transition politique pacifiquement ».

M. Carter a souligné la légitimité des élections, et clairement pris le parti de la Commission électorale indépendante (CEI), qui a validé la victoire de M. Ouattara en décembre, s’opposant à la position de la Cour constitutionnelle, qui a proclamé M. Gbagbo vainqueur. « Nous soutenons le président Ouattara », a insisté M. Carter. « Tenter de rejeter l’issue de ce scrutin serait un énorme pas en arrière pour la démocratie en Afrique subsaharienne ».

« La situation est telle que le pays est dans un état de stagnation. Tout est paralysé », a dit M. Carter à propos de la situation en Côte d’Ivoire, à la suite des élections. L’ambassadeur a signalé une dégradation de la situation dans le domaine des droits humains et accusé M. Gbagbo de détourner à son compte les médias étatiques, « les convertissant en une machine de propagande qui ne déverse essentiellement que des informations incorrectes ». Se faisant l’écho des avertissements précédents de Barack Obama et Hilary Clinton, M. Carter a également indiqué que la recrudescence des violences soulevait d’importantes questions de responsabilité.

M. Carter a reconnu que le gouvernement d’Alassane Ouattara était effectivement « séquestré » pour le moment, mais selon lui, le temps travaille pour M. Ouattara : face aux efforts déployés par ce dernier en vue d’obtenir le contrôle des principales institutions financières, notamment la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), et grâce à l’imposition de sanctions internationales, l’étau se resserrera progressivement sur Laurent Gbagbo. « On ignore en revanche le temps que cela prendra », a admis M. Carter.

Au cours d’une interview télévisée avec le journaliste américain George Curry en janvier, M. Gbagbo a déclaré que Phillip Carter avait été « discrédité », expliquant que s’il n’avait pas répondu aux appels téléphoniques de la Maison blanche, c’est parce qu’il ne faisait plus confiance à M. Carter. Les relations entre M. Gbagbo et Wanda Nesbitt, qui précédait M. Carter au poste d’ambassadeur, auraient également été tendues, comparées à celles, cordiales, qu’entretenait le président avec l’ancien ambassadeur Aubrey Hooks.

D’autres représentants du gouvernement se sont faits l’écho de la prudence de M. Carter. Interrogée par la chaîne de télévision française France 24 sur l’intention des Etats-Unis de soutenir un recours à la force contre M. Gbagbo, Mary Beth Leonard, directrice du bureau des affaires de l’Afrique de l’Ouest au ministère américain des Affaires étrangères a répondu qu’aucune « option ne devrait être exclue », tout en soulignant néanmoins à plusieurs reprises l’importance de l’approche diplomatique adoptée par la CEDEAO et l’UA.

Une délégation de la CEDEAO, dirigée par le président sierra-léonais Ernest Koroma et comptant parmi ses membres le ministre nigérian des Affaires étrangères Odein Ajumgobia, s’est rendue à Washington le 26 janvier pour rencontrer Tom Donilon, conseiller à la sécurité nationale, et Johnny Carson, secrétaire d’Etat adjoint. La Maison blanche a fait savoir que le débat avait porté sur la résolution pacifique de la crise en Côte d’Ivoire et la manière d’assurer le départ de M. Gbagbo, toutes les parties notant « l’importance du maintien d’une unité internationale sur ce point ».

Coopération militaire des Etats-Unis avec la CEDEAO

L’armée américaine a noué de solides partenariats avec un certain nombre d’armées d’Afrique de l’Ouest. Le major-général David Hogg, qui dirige l’Armée américaine section Afrique (USARAF), s’est rendu auprès de plusieurs commandements militaires au Ghana, au Togo et au Bénin, les 10-14 janvier.

J. Anthony Holmes, adjoint au Commandant chargé des activités civiles et militaires du Commandement militaire des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom), et ancien ambassadeur des Etats-Unis au Burkina Faso, s’est rendu au Nigeria à la fin du mois de janvier. Dans le cadre de l’aide apportée par les Etats-Unis à l’armée nigériane, cinq avions C-130 Hercules ont notamment été rénovés, une tâche assumée à la demande des Nigérians, pour soutenir les opérations de maintien de la paix en Afrique.

En février, Africom a organisé la Conférence annuelle des hauts dirigeants au siège de l’USARAF, à Vicence, en Italie. La conférence, à laquelle ont participé les personnels militaires de l’UA et de la CEDEAO, avait pour thème principal « Fournir des capacités à un environnement informationnel conjoint ». La mission des Etats-Unis auprès de l’Union africaine à Addis-Abeba se compose d’un pôle militaire important, qui collabore étroitement avec le Conseil de paix et sécurité de l’UA sur différentes questions telles que l’atténuation des conflits par la médiation et le maintien de la paix, ainsi que l’aide à la Force africaine en attente (FAA).

Les Etats-Unis, tout comme l’Union européenne, l’UA et la CEDEAO, sont catégoriques : une intervention militaire ne devrait être envisagée qu’en dernier recours. Les hauts responsables reconnaissent néanmoins que les Etats-Unis ont pris part, en collaboration avec la CEDEAO, « aux tout premiers efforts de planification » des différents scenarios à envisager en cas d’échec de l’approche diplomatique. Dans l’éventualité où une force d’intervention de la CEDEAO devrait être formée avec la participation d’armées partenaires des Etats-Unis, l’aide américaine engloberait probablement aussi un entraînement préalable au déploiement, ainsi que l’approvisionnement en petites quantités d’équipement.

Les défenseurs de Laurent Gbagbo

Les grands défenseurs américains de Laurent Gbagbo sont rares, mais le Christian Broadcasting Network (CBN) du télévangéliste Pat Robertson a contesté la position de la communauté internationale sur la Côte d’Ivoire ; le réseau a présenté le conflit Ouattara-Gbagbo comme une dissension entre chrétiens et musulmans, Pat Robertson défendant lui-même avec véhémence Laurent Gbagbo. M. Robertson a ainsi déclaré à ses téléspectateurs : « Tout le monde dit que cet homme n’est qu’un bandit qui doit partir. Ce n’est pas vrai. C’est un chrétien, c’est un homme bien et il a su diriger la Côte d’Ivoire sans trop d’accroc ».

Charles Steele Jr, éminent défenseur des droits civils et homme d’affaires, qui dirigeait auparavant la Conférence des leaders chrétiens du sud (SCLC), autrefois présidée par Martin Luther King, s’est rendu à Abidjan en janvier, a rencontré Laurent Gbagbo et s’est engagé à créer un Centre pour la paix et la résolution des conflits. Laurent Gbagbo, qui compte Martin Luther King parmi ses héros, a dit soutenir cette initiative.

France - fermes déclarations et altercations à l’ambassade

Le président français Nicolas Sarkozy a quant à lui déclaré soutenir fermement la victoire électorale de M. Ouattara et publié une série de communiqués, s’opposant aux efforts déployés par M. Gbagbo pour tenter de se maintenir au pouvoir ; il a notamment lancé un ultimatum à Laurent Gbagbo, le 17 décembre, l’enjoignant de partir « d’ici à la fin de la semaine », sous peine de sanctions. « Le président de la Côte d’Ivoire s’appelle Alassane Ouattara », a insisté M. Sarkozy, soulignant que la Côte d’Ivoire était un exemple important pour la démocratie africaine. En réaction, Simone Gbagbo a qualifié Nicolas Sarkozy de « diable ».

Nicolas Sarkozy reste toutefois opposé à une intervention militaire française. Pour le président comme pour le ministre de la Défense Alain Juppé, la Force Licorne, qui compte 900 hommes, n’a vocation qu’à compléter l’ONUCI et à défendre les ressortissants français. Ce point de vue a également été exprimé par Henri de Raincourt, ministre français chargé de la Coopération, au cours d’une visite à Ouagadougou, où celui-ci a souligné : « la France n’appelle pas et n’a jamais appelé à recourir à la force armée ». Après sa rencontre avec Ban Ki-moon, à New York le 7 février, le ministre français de la Défense Alain Juppé a dit que la meilleure tactique à employer contre M. Gbagbo consistait à imposer des sanctions économiques. « Je crois qu’il faut les appliquer avec beaucoup de détermination », a-t-il estimé.

Dans son discours-programme à l’UA, prononcé à Addis-Abeba le 30 janvier, Nicolas Sarkozy a fait allusion, brièvement mais sans équivoque, à la crise ivoirienne, qualifiant la Côte d’Ivoire de pays « où la volonté librement exprimée par un peuple entier au cours d’élections qui devaient sceller le retour à la paix est traitée avec dédain », ajoutant que « la France soutient résolument les efforts de l’Union africaine, de la CEDEAO et du Secrétaire général des Nations Unies ».

Laurent Gbagbo et ses partisans restent extrêmement circonspects quant aux intentions de la France. Ahoua Don Mello, le porte-parole de Laurent Gbagbo, a annoncé le 22 janvier que l’accréditation de l’ambassadeur français Jean-Marc Simon avait été retirée et que M. Simon devait désormais se considérer comme « sans emploi, un citoyen français ordinaire qui n’est plus pour nous un interlocuteur ». Le gouvernement français a rapidement jugé cette mesure illégale et insisté pour que M. Simon conserve ses fonctions. « Les positions et déclarations prétendument faites au nom de la Côte d’Ivoire par ceux qui ne tirent pas les conséquences des résultats des élections présidentielles sont jugées illégales et illégitimes par la France », pouvait-on lire dans un communiqué officiel.

L’affaire Simon n’est pas sans rappeler un épisode précédent, datant de 2002 : cette année-là, le président Gbagbo avait fait pression en faveur du rappel de Renaud Vignal, alors ambassadeur de France, qui a quitté la Côte d’Ivoire en octobre 2002, protestant contre une mauvaise restitution de ses propos par les médias étatiques ivoiriens.

L’accréditation de M. Simon a été retirée, semble-t-il, en réaction à la reconnaissance, par le gouvernement de M. Sarkozy, de l’ambassadeur désigné par M. Ouattara à Paris, l’ancien journaliste Ali Coulibaly, et à la demande de rappel de l’universitaire Pierre Kipré, nommé par Laurent Gbagbo. S’étant vu refuser l’accès à l’ambassade, M. Coulibaly et ses partisans y ont pénétré de force, le 25 janvier, et M. Coulibaly a reçu l’accréditation officielle des autorités françaises.

Selon la presse française, le ministère français des Affaires étrangères a contribué à persuader une délégation de députés de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), le parti de M. Sarkozy, d’annuler une mission en Côte d’Ivoire. Selon les détails de l’itinéraire, rendus publics à Abidjan, les députés devaient rencontrer plusieurs membres du gouvernement Gbagbo, non reconnu en France. Les hautes personnalités de l’UMP ont critiqué la mission, laissant entendre qu’elle avait été organisée sans en informer la hiérarchie du parti, et que les rencontres prévues entre les députés et Laurent Gbagbo risquaient de servir à alimenter la propagande de ce dernier.

M. Gbagbo jouit toujours du soutien de certains alliés de longue date au sein du Parti socialiste (PS) français, notamment Guy Labertit, souvent qualifié de « M. Afrique » du PS, qui a assisté à l’intronisation de M. Gbagbo et accusé les Nations Unies, « d’usurpation de pouvoir », puisque celles-ci tentent, dit-il, d’installer Alassane Ouattara en dépit de solides preuves de fraude électorale.

Si le FPI de Laurent Gbagbo reste membre de l’Internationale socialiste, certains analystes, à Abidjan comme à Paris, font remarquer que les alliances de M. Gbagbo s’étendent d’un bout à l’autre de l’éventail politique. Marcel Ceccaldi, avocat parisien qui a compté parmi ses clients Dadis Camara, haut responsable militaire guinéen et personnalité importante du Front national (FN) français, a sévèrement critiqué Ban Ki-moon pour son rôle dans la certification des élections, expliquant que les Nations Unies avaient outrepassé leur mandat et n’avaient tenu aucun compte des procédures constitutionnelles ivoiriennes.


CÔTE D’IVOIRE : Le point sur la position des Nations Unies

Dakar, 22 février 2011 (IRIN) - IRIN a publié une série de comptes rendus sur la crise qu’ont provoquée en Côte d’Ivoire les élections contestées de novembre 2010. Tandis que Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la présidence, les divisions politiques viennent aggraver le climat de violence.

Alors que les instances régionales et internationales ont à plusieurs reprises exhorté M. Gbagbo à céder la place, les sanctions et les efforts de médiation sont bien incapables de débloquer l’impasse. M. Gbagbo et M. Ouattara ont des administrations rivales et essaient l’un comme l’autre de maximiser leurs ressources et d’isoler l’adversaire. La série de comptes rendus mis à jour par IRIN examine comment les Nations Unies, les instances régionales comme l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les gouvernements occidentaux, et l’Union Européenne (l’UE  ), réagissent à la crise, et étudie également les conséquences du délabrement de la situation sur l’économie, les droits humains et les problèmes humanitaires.

Les Nations Unies - La croix et la bannière

La résolution 1967 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 19 janvier, autorisait officiellement le transfert de 2 000 militaires supplémentaires de la Mission des Nations Unies au Liberia (MINUL) à l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). La résolution lançait également un appel - désormais familier - pour que le personnel français et des Nations Unies soit autorisé à circuler librement ; condamnait les incidents de violence et les violations des droits de l’homme ; et exhortait la chaîne d’État, RTI, et d’autres médias à cesser toute couverture médiatique visant « la propagation de fausses informations et l’incitation à la haine et à la violence ».

Dégradation de la situation

Le mandat de l’ONUCI en Côte d’Ivoire a été prolongé jusqu’au 30 juin 2011 et risque fort d’être prorogé bien au-delà de cette date. Selon le Conseil de sécurité, « l’ONUCI opère dans un environnement ouvertement hostile et fait l’objet de menaces directes de la part des forces régulières et irrégulières loyales à l’ancien président Gbagbo ». Même avant les élections, les relations étaient tendues entre l’ONUCI et M. Gbagbo et ses supporters. La certification de la victoire de M. Ouattara et les appels à quitter le pouvoir adressés à M. Gbagbo ont fait de l’ONUCI une cible facile pour des groupes pro-Gbagbo comme les Jeunes Patriotes, et l’équipe ministérielle de M. Gbagbo ne fait aucun cas de la position de l’ONUCI sur la crise.

Depuis Abidjan et New York, les Nations Unies ont cité de nombreux exemples de comportements obstructionnistes autorisés par les autorités de M. Gbagbo ou d’actes de violence orchestrés par ses supporters. On peut notamment citer l’incendie de six véhicules des Nations Unies le 13 janvier ; le refus de dédouaner du matériel destiné à la communauté humanitaire dans le port d’Abidjan ; des coups de feu tirés sur du personnel de l’ONUCI ; et des tentatives de perturbation des convois des Nations Unies. La RTI et d’autres médias pro-Gbagbo demeurent extrêmement critiques envers l’ONUCI. Les Nations Unies ont dû à plusieurs reprises contester les allégations de la RTI concernant des incidents impliquant du personnel de l’ONUCI, et notamment l’utilisation présumée de tirs et de grenades pour rétablir l’ordre public.

La station de radio des Nations Unies, ONUCI FM, a été à maintes reprises critiquée par la chaîne d’État et par des hauts fonctionnaires de l’administration Gbagbo. Un communiqué de l’organe de régulation de l’audiovisuel ivoirien, le Conseil National de la Communication Audiovisuelle (CNCA), a retiré la fréquence de la station et expliqué qu’elle n’avait aucune base légale pour diffuser depuis que M. Gbagbo a demandé le départ immédiat de la mission des Nations Unies en décembre dernier. ONUCI FM existe depuis juin 2004. Il est impossible de dire pour l’instant s’il s’agit d’un coup de semonce ou d’une interdiction définitive, car des communiqués semblables ont déjà été publiés par le passé. Le gouvernement français a cependant exprimé sa préoccupation.

À la suite d’allégation de complicité entre l’ONUCI et les Forces Nouvelles - l’ancien mouvement rebelle qui soutient M. Ouattara -, les autorités de Gbagbo ont demandé d’arrêter et de fouiller les véhicules des Nations Unies. Cette requête a été dénoncée à New York par le porte-parole des Nations Unies Martin Nesirky comme « une grave violation de l’accord sur le statut des forces ».

Lors d’une visite à Addis-Abeba à l’occasion du sommet de l’UA à la fin janvier, le Représentant spécial des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire M. Choi Young-Jin a dit : « Même si notre mission est de protéger, nous avons des équipements supérieurs et nous pourrons toujours riposter ». Il a cependant insisté sur le fait que les Nations Unies ne répondraient pas à la provocation. « Nous faisons bien attention de ne pas entrer dans leur jeu », a-t-il dit aux journalistes.

Le Secrétaire général des Nations Unies M. Ban Ki-moon a également pris la parole à Addis-Abeba et a réitéré le souhait des Nations Unies de voir M. Gbagbo quitter la présidence : « Nous devons préserver notre position commune, agir ensemble et tenir ferme contre la tentative de M. Gbagbo de s’accrocher au pouvoir en utilisant la force ». M. Ban Ki-moon a explicitement écarté la possibilité de revenir sur les résultats de l’élection, estimant que cela « constituerait une grave injustice et créerait un précédent malheureux ».

Le rapport de février du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la Côte d’Ivoire indique que le Conseil doit maintenant trouver un équilibre entre son rôle et celui des organisations régionales et sous-régionales « afin d’éviter la possibilité de retomber dans un conflit violent à grande échelle et de garder à l’esprit les risques associés à l’historique de violences ethniques ». Si les Nations Unies continuent de soutenir les positions adoptées par l’UA et la CEDEAO, les résolutions et les communiqués provenant de New York ne recommandent pas l’utilisation de la force.

Les Nations Unies ont renouvelé le mandat de leur Groupe d’Experts, qui a, par le passé, supervisé l’application des embargos sur les armes et les diamants et l’utilisation par les Nations Unies des sanctions ciblées contre des individus. Si les Nations Unies espéraient que les sanctions ne seraient plus pertinentes après les élections, le Groupe d’Experts est à nouveau à l’ouvre et examine diverses options, notamment l’ajout de nouveaux noms sur les listes existantes afin de « contraindre [ces individus] à coopérer avec les efforts de paix des médiateurs ».

Le rapport du Conseil de sécurité fait état de la requête du ministre des Affaires étrangères nigérian Ajumgobia, qui demande au Conseil d’autoriser officiellement l’usage de la force afin d’évincer M. Gbagbo. Il ajoute que « certains membres du Conseil ne sont pas à l’aise avec cette stratégie pour l’instant », laissant entendre que la Russie et la Chine se montrent particulièrement réticents.

Lors d’un discours [devant le Conseil de sécurité] à New York le 4 février, M. Choi a dit que les 2 000 militaires supplémentaires donneraient à la mission des Nations Unies la « capacité de réaction rapide » dont elle a grandement besoin. Le Représentant spécial a également indiqué qu’un certain nombre de pays avaient promis de fournir des soldats, des policiers et de l’équipement militaire si cela s’avérait nécessaire.

Sources : Conseil de sécurité des Nations Unies, ONUCI, Radio Télévision Ivoirienne (RTI)


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 25 février 2011

 

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