Paris, 14 avril 2007
J’ai reçu hier un email des jeunes orphelins chefs de famille du groupe Imboneza à Bujumbura et je n’ai d’autres moyens que le blog pour essayer d’agir. C’est une alerte et un appel à l’aide qui, comme d’habitude, m’ébranle et me met face à l’absence de moyens dont nous disposons pour aider les jeunes orphelins chefs de famille.
Pourtant...
Pourtant, si nous ne faisons rien pour Juste, il risque de ne pas vivre longtemps, et je ne peux m’empêcher de penser à El Hadj dont nous avons parlé sur ce blog (http://osibouake.org/article.php?id...), nous promettant de tout faire pour que cesse cette hécatombe d’enfants.
Vous le lirez dans l’extrait de mail ci-dessous, Juste a 16 ans et il a besoin d’espoir pour vivre, besoin de sentir que sa vie importe à quelqu’un qui se soucierait de lui et qui serait prêt à s’engager financièrement pour lui permettre d’être scolarisé en internat : l’espoir de Juste, c’est un parrain.
Imboneza est un groupe de jeunes orphelins chefs de famille qui a émergé au sein de l’APECOS, association partenaire de OSI à Bujumbura au Burundi. Ces jeunes sont extraordinairement courageux, et même s’ils n’ont rien, ils sont soudés et solidaires. Aujourd’hui, ils nos alertent et appellent à l’aide pour un des leurs.
Ci-dessous leur mail, ainsi que le compte-rendu de ma rencontre avec eux l’été dernier.
Avis aux bonnes volontés.
Sandrine
Pour notre part, nous essayons de faire face à la situation dans laquelle nous sommes contraints de vivre : Oui nous sommes contraints de vivre cette situation, pourtant ce ne pas la vie d’un enfant mais nous la vivons et c’est ainsi ; c’est ainsi parce que nous sommes orphelins.
Sandrine, les Imboneza sont tous des orphelins, ce sont aussi des jeunes mais aussi des pères, des mères pour leurs petit frères.
Dans ce groupe nous nous entraidons mutuelement, nous nous soutenons moralement : l’un d’entre nous essaie de vivre pour les autres et les autres pour lui, nous sommes frères.
Ce groupe est aussi une reflexion sur les solutions possibles afin de pouvoir sortir du gouffre dans lequel nous sommes. Sandrine, vous êtes une des solutions, plaidez pour nous et spécialement pour Juste.
Juste a 16 ans ,il est en 9ème c’est à dire une année avant qu’il termine le collège. Il est également séropositif. Après la mort de sa mère avec qui il a passé une vie heureuse, il est allé vivre chez son oncle puis chez sa tante. Dans ces deux foyers, il a été victime d’une incompréhension et quelque part de mauvais traitements. C’est la femme de son oncle puis le mari de sa tante qui sont les auteurs de ces crimes. Dernièrement on l’a mis dans une famille d’accueil mais l’enfant est devenu de plus en plus faible parce que il se sentait rejeté et parce que son alimention était insufisante. Aujourd’hui il est à interné à l’hopital.
Nous autres, Imboneza, on essaie de l’aider et nous continuerons à le faire. Pour l’APECOS, il serait mieux de le mettre dans une école à internat. Nous ne refusons pas cela mais le seul Lycée capable de repondre aux besoin de Juste c’est le Lycée SOS mais il est très cher. Il faudrait au moins 60 euro par trimestre pour qu’il y soit admis,c’est pour cela que nous crions pour ceux qui veulent nous entendre : AIDEZ-NOUS, AIDEZ JUSTE !
Sandrine, vous pouvez ne pas être capable de le faire mais tout au moins criez commes nous. En entrant chez nous vous êtes devenue l’amie du groupe et les amis du groupe s’ils sont de notre génération ils deviennent nos frères et s’il sont plus âgés que nous ils deviennent nos pères ou nos mères.
Merci que DIEU te garde et te guide
Les jeunes de Imboneza
- Dédit, Cécile, Victor
- Membres de Imboneza, jeunes orphelins chefs de familles suivis par l’APECOS, Bujumbura, Burundi
Compte-rendu de la réunion avec Imboneza
Date : 24 juillet 2006, 17h-18h30, dans les locaux de l’Apecos
Présents :
- Dédit, 19 ans, président ;
- Victor, 22 ans, vice-président ;
- Sainte-marie, 18 ans, la trésorière ;
- Jean-Claude, 19 ans, le conseiller ;
- Eric, 20 ans ;
- Francine, 22 ans ;
- Cynthia, 21 ans ;
- Noëlla, 15 ans
- Sandrine Dekens, Orphelins Sida International
Pourquoi et comment se rassembler ?
Imboneza est un groupe d’autosupport rassemblant les orphelins chefs de ménage (OCM). Il s’est formé en novembre 2005, d’une manière informelle au départ, et commence à se structurer. Il compte environ 25 membres, âgés de 18 à 25 ans (avec quelques rares enfants ayant entre 15 et 18 ans). Ils sont tous des enfants dont les parents sont morts du sida et qui s’occupent de leurs cadets. La plupart sont les aînés de leur fratrie, mais dans certains cas, devant l’incapacité de l’aîné à répondre aux besoins des cadets, c’est un autre enfant de la fratrie qui assume cette responsabilité. Tous sont encore scolarisés (lycée ou université).
Chaque membre cotise 100 FBU /semaine pour entretenir un (maigre) fond associatif. Cette somme symbolique de leur solidarité ne leur permet pas de mener des activités car elle est très maigre, mais c’est tout ce que ces jeunes peuvent faire, étant donné le dénuement dans lequel ils vivent.
Le groupe à l’initiative des jeunes qui pensaient qu’ensemble, ils pourraient être plus forts et s’organiser pour mieux vivre. L’idée de départ était qu’ensemble, on est plus fort face à l’adversité. Les idées et les initiatives ne manquaient pas. Il était question d’organiser une petite AGR pour que le groupe ait une rentrée d’argent, par exemple : ouvrir une cuisine qui préparerait de la nourriture destinée à la vente (ce qu’on appelle au Burundi « restaurant », mais que nous appellerions « boui-boui » ou « cantine ») et qui permettrait aux OCM de venir chercher, dès la sortie de l’école, une nourriture déjà prête à emporter à la maison.
Le groupe est né du constat suivant : l’Apecos les aide pour les soins de santé, la scolarité et un peu de vivres. Certains OCM (peu nombreux) bénéficient du projet PSS et sont un peu plus aidés que les autres (complément de vivres + dentifrice, brosse à dents, savon etc.). Le petit frère de Dédit est parrainé par OSI, et il touche un peu d’argent du fait du parrainage... Certains ont de nombreux frères et sœurs à charge, d’autres moins, certains habitent leur propre maison, d’autres sont en location, certains sont malades ou leurs cadets sont infectés, d’autres sont épargnés par le VIH ... Bref, tous les enfants ne sont pas au même régime. Ainsi, ceux qui ont le plus donnent à ceux qui ont le moins, dans la limite de ce qui est possible. Ils se dépannent entre eux (un peu de bois de chauffe, des serviettes hygiéniques), se conseillent, se donnent des « trucs » pour gérer la vie quotidienne... Moins ils ont, plus ils sont contraints de gérer et d’être organisés. Ce qui est le plus problématique et constitue le casse-tête de tous les OCM est la gestion alimentaire, c’est-à-dire l’art de faire durer les denrées données par l’Apecos.
Les jeunes s’entraident aussi pas mal pour les études, car comme tous les âges et tous les niveaux scolaires sont représentés dans le groupe. Que ce soit au niveau primaire, secondaire et même universitaire, il y a toujours quelqu’un pour donner un coup de main !
Mais Imboneza, c’est aussi un espace social dans lequel on peut se faire plaisir. Dédit raconte comment ils ont organisé une délégation pour le baptême de Noëlla. N’ayant pas réussi à cotiser suffisamment d’argent pour lui faire un cadeau, ils ont tout juste pu acheter quelques bouteilles de soda avec lesquelles ils se sont rendu chez elle. C’était peu, trop peu certes, mais pendant quelques heures, le temps de boire ensemble et de discuter, ils se sont sentis presque « comme les autres ».
A Imboneza, les aînés, les plus expérimentés, les plus solides, aident les plus jeunes, les plus fragiles... Les jeunes qui viennent d’arriver, ou qui ont perdu leurs parents récemment ou encore qui présentent des troubles des comportements (déscolarisation, fugues, révolte...), sont conseillés, encadrés et encouragés.
Jean-Claude raconte comment le groupe a rendu visite à un jeune orphelin de 15 ans complètement désorienté et en pleine rébellion, malgré les efforts de l’Apecos pour le suivre. Ils lui ont parlé, l’ont invité aux réunions, lui ont prodigué des conseils...
Ils souhaitent s’engager dans la cause des orphelins et jouer un rôle politique dans la défense des droits des orphelins du sida . Certains jeunes du groupe ont été victimes de spoliation de leur héritage et ont participé à une émission de radio dans laquelle ils ont témoigné de leur histoire et dénoncé leur situation. Ils pensent que les lois devraient être révisées afin de défendre les droits des enfants.
Victor aura son examen d’Etat l’année prochaine et souhaite faire du Droit à l’université.
La journée d’un orphelin chef de ménage
Après cette présentation de leur groupe, je leur ai demandé de m’expliquer comment se déroule une journée pour un OCM. L’idée était de leur permettre de s’exprimer sur leurs difficultés.
Tout d’abord, l’essentiel de la journée est consacré à l’école puisque tous sont scolarisés (au lycée ou à l’université). Les cours terminent environ à 13h et dès lors, il s’agit d’aller se mettre en quête de nourriture pour préparer quelque chose à manger pour les cadets. Il leur faut prévoir le repas du soir ainsi que celui du lendemain midi pour toute la famille. La plupart des maisons où ils habitent ne sont pas équipées, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’électricité et parfois par d’eau non plus. L’après-midi est consacré à la préparation de la nourriture dans ces conditions difficiles.
Le repas est pris assez tôt car en l’absence d’électricité, les activités encore possibles après 18h sont très réduites. A partir de 17h30, il faut s’occuper des cadets, les laver, les nourrir et les aider à étudier. C’est à 19h, quand la journée est finie pour tout le monde, que l’orphelins chef de ménage peut commencer à étudier à la lumière de la bougie.
Lors de notre discussion, je leur ai demandé pourquoi ils n’avaient pas de lampes à pétrole, ce à quoi ils m’ont répondu que rares sont ceux qui auraient les moyens de payer le pétrole pour approvisionner une telle lampe, même s’ils en avaient. Pour information, équiper en électricité une maison peut coûter environ 200 000 FBU (fil électrique + installation).
« Un orphelin chef de ménage, c’est un jeune qui ne peut pas se permettre de craquer »
Un orphelin chef de ménage, c’est un enfant...qui a été témoin du combat de ses parents contre la maladie ; qui s’est inquiété d’eux, les a nourri et soigné ; qui a vu que les amis, la famille, tout l’entourage les abandonnait ; à qui la famille élargie a pris la terre et la maison ; qui a du arrêter les études pour subvenir aux besoins de ses cadets ; qui s’inquiète en permanence et qui se sent responsable du lendemain ; un enfant dont les cadets dépendent matériellement et psychologiquement.
Chacune de ces lignes parlent des OCM rencontrés à Imboneza.
Les OCM sont des jeunes dont la tristesse s’est muée en une profonde colère à laquelle ils ne peuvent pas se permettre de laisser libre cours. Il arrive à certains d’avoir vraiment du mal à se maîtriser, de « péter les plombs » en s’énervant contre leurs cadets par exemple. Ce qui est difficile pour eux, c’est que bien souvent, leurs frères et sœurs ne les reconnaissent pas dans ce rôle parental qui leur incombe de fait. Il n’est pas rare qu’ils aient des problèmes d’autorité sur ces petits qui n’en font qu’à leur tête et contestent leurs décisions. Alors en plus, si les difficultés surgissent à un moment où le jeune n’a pas mangé, il peut lui être très difficile de se contenir et de garder patience. Le groupe est là pour recevoir la tristesse, la colère, le découragement et pour qu’ils aient au mois un espace dans lequel ils peuvent se laisser en toute confiance. Imboneza est « leur refuge ».
Recommandations
A l’issue de cette réunion, je recommande à OSI d’adopter une ligne directrice consistant à parrainer en priorité les orphelins chefs de ménage suivis par l’Apecos, car il paraît confirmé qu’il s’agit d’enfants particulièrement fragilisés. Le parrainage d’un OCM profite à l’ensemble de sa fratrie et constitue un appui fondamental pour encourager ces jeunes qui font preuve d’une grande solidarité. Certains d’entre eux ont un ou plusieurs cadets VIH + sous traitement à leur charge, rajoutant un poids financier et moral à une situation déjà très difficile.