Propriété intellectuelle : un sursis pour les pays pauvres
Publié le 21 juin 2013 sur OSIBouaké.org
Nairobi 17 juin 2013 - IRIN - À la suite d’une série de négociations, les membres de l’Organisation mondiale du commerce ont convenu de proroger le délai imparti aux pays les moins avancés (PMA ) pour la mise en oeuvre de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Ces pays continueront donc d’avoir accès à des technologies médicales abordables pendant les huit prochaines années.
L’Accord sur les ADPIC énonce des normes minimales pour la protection des droits de propriété intellectuelle dans l’industrie pharmaceutique, mais il répond aussi aux besoins des pays en développement. Par exemple, il donne aux pays le droit, dans des situations spécifiques telles qu’une urgence de santé publique, d’émettre des licences obligatoires – une autorisation délivrée par un gouvernement à un tiers pour produire une invention brevetée sans le consentement du titulaire du brevet.
La décision, obtenue par consensus, prévoit la possibilité de négocier une nouvelle prorogation une fois écoulée la période de huit ans ; la prorogation en vigueur devait arriver à échéance le 1er juillet 2013. Les PMA ont d’abord demandé à être exemptés jusqu’à ce qu’ils ne soient plus considérés, individuellement, comme des PMA , mais les pays développés, qui possèdent la majeure partie des droits de propriété intellectuelle, se sont fermement opposés à cette demande.
« C’est un pas important et positif, même s’il est regrettable que l’exemption prenne fin en 2021 et qu’elle ne s’applique pas indéfiniment, c’est-à-dire jusqu’à ce que le pays ne soit plus considéré comme parmi ‘les moins avancés’ », a dit Catherina Timmermans, spécialiste de la propriété intellectuelle pour UNITAID, un mécanisme de financement international dans le domaine de la santé.
« L’avantage, c’est que les PMA ne sont plus contraints de se conformer aux normes de l’Accord sur les ADPIC en matière de brevets, de marques, de droits d’auteur ou de dessins et modèles et ont dès lors la flexibilité nécessaire pour adapter des lois nationales souvent héritées de la période coloniale afin de permettre la fabrication de médicaments bon marché pour leur population », a dit Aziz ur Rehman, conseiller en matière de propriété intellectuelle pour la campagne d’accès aux médicaments essentiels de Médecins Sans Frontières (MSF ).
« Les PMA devraient tirer parti de cette flexibilité pour apprendre de l’Inde et d’autres pays en développement, qui l’ont utilisée pour développer leurs capacités de production, en particulier dans le domaine pharmaceutique », a-t-il ajouté.
Plus de 80 pour cent des médicaments antirétroviraux (ARV ) financés par les bailleurs de fonds et utilisés dans les pays en développement sont des génériques fabriqués en Inde. La disponibilité des ARV bon marché a permis à plus de huit millions de personnes dans le monde d’accéder à ce traitement essentiel contre le VIH .
La décision n’a pas d’incidence sur l’exemption des PMA concernant la protection de la propriété intellectuelle pour les produits pharmaceutiques, qui expire en 2016, et les parties prenantes s’inquiètent que la résistance continue des pays développés face à la possibilité d’une nouvelle prorogation compromette le traitement de millions de personnes.
« Le retrait des produits pharmaceutiques de l’accord de prorogation est une belle occasion manquée : les PMA devront maintenant demander une prolongation semblable en 2015 », a indiqué MSF dans une déclaration. « Étant donné l’importance cruciale des produits pharmaceutiques, les PMA devraient insister sur une prorogation inconditionnelle, qui devrait durer tant et aussi longtemps que le pays membre de l’OMC reste dans la catégorie des pays ‘les moins développés’. »
« Avec un peu de chance, on pourra au moins proroger indéfiniment cette exemption sur les produits pharmaceutiques. Cela permettrait de faciliter l’accès aux médicaments pour les personnes malades qui vivent dans les PMA – et qui sont parmi les êtres humains les plus vulnérables », a dit Mme Timmermans, d’UNITAID .
M. ur Rehman, de MSF , a dit que les PMA devraient faire front commun et travailler en collaboration avec les pays à revenu moyen pour faire pression afin d’obtenir une prorogation de l’exemption sur les produits pharmaceutiques en 2015. Il les a également exhortés à tirer parti des flexibilités qui leur sont offertes pour améliorer l’accès de leurs citoyens aux produits de santé bon marché. Il a finalement formulé des mises en garde contre certains accords conclus avec des pays développés qui contournent précisément les dispositions de l’Accord sur les ADPIC qui dispensent les PMA de l’obligation de se soumettre à des règles strictes en matière de propriété intellectuelle.
Les pays développés peuvent en effet conclure des accords bilatéraux ou régionaux – des accords de libre-échange (ALE) ou des accords de partenariat économique (APE) – qui limitent les circonstances dans lesquelles les licences obligatoires peuvent être émises ou prolongent la durée de vie des brevets au-delà de 20 ans – une pratique connue sous le nom d’ADPIC+.
« Les PMA ont la responsabilité de faire le meilleur usage possible des exemptions qui leur sont accordées. Les accords de libre-échange et les accords unilatéraux sur la propriété intellectuelle conclus par les organes régionaux comme l’Union africaine pour harmoniser les lois en matière de propriété intellectuelle sont dommageables pour les flexibilités offertes par les exemptions de l’Accord sur les ADPIC et devraient dès lors être évités », a dit M. ur Rehman, de MSF . « Les PMA devraient conserver le même esprit lorsqu’ils négocient bilatéralement avec des pays développés que lorsqu’ils se battent pour obtenir des exemptions à Genève. »