Accès aux médicaments pour les Pays en Voie de Développement (PVD) : rappel des faits

La session de rattrapage de la commission Nord-Sud

Publié le 19 avril 2005 sur OSIBouaké.org

Ce texte a été écrit par la commission Nord-Sud d’Act Up-Paris. Il a le mérite de rappeler les épisodes précédents pour ceux qui ont raté le début.

1. 1998-Avril 2001 : la phase de la mobilisation

Dès 1995 : controverse au sujet de l’effet de l’accord ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) sur les PVD, en particulier en ce qui concerne les effets sur les prix des médicaments (problème amplifié par la crise du SIDA   en Afrique). Limité d’abord à un petit groupe d’initiés, le débat s’amplifie et des ONG se mobilisent.

1998 : médiatisation de la procédure intentée en Afrique du Sud par 39 sociétés pharmaceutiques (contre le gouvernement auprès de la Cour Suprême) contre une loi sur l’importation parallèle des médicaments.

30 novembre - 3 décembre 1999 : Conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Seattle : Rien sur le dossier ADPIC/médicaments dans le projet de Déclaration ministérielle du 3 décembre (non-adopté). La position commune de l’UE   et de ses alliés du 29 novembre 1999 faisait pourtant référence aux licences obligatoires en reconnaissant que celles-ci pourraient être utilisées pour des produits figurant sur la liste des médicaments essentiels de l’OMS  . Les autres pays industrialisés s’opposent cependant à une telle référence.

Février 2001 : Plan d’action de la Commission sur les maladies transmissibles. Approche globale de l’UE   : l’aspect ADPIC cadre dans un débat bien plus vaste sur la lutte contre les maladies transmissibles, qui implique une assistance accrue aux pays en développement eux-mêmes (infrastructures de santé), une intensification de la recherche et du développement de médicaments adaptés, et l’examen des aspects commerciaux.

Le 19 avril 2001 les firmes pharmaceutiques retirent leur plainte en Afrique du Sud. Deux mois plus tard, les Etats-Unis retirent leur plainte OMC contre la législation brésilienne sur les licences obligatoires.

2. Avril 2001-Novembre 2001 : vers la Déclaration de Doha

2-5 avril 2001 : Conseil ADPIC à l’OMC. Suite à une demande du Groupe Africain il est décidé que le prochain Conseil examinera : 1) l’interprétation et l’application de certaines dispositions de l’accord en vue de clarifier la flexibilité conféré aux Membres ; 2) la relation entre l’accord ADPIC et l’accès aux médicaments.

20 Juin 2001 : Conseil ADPIC avec discussion spéciale sur l’accès aux médicaments

  • L’UE   soumet une communication dans laquelle elle reconnaît la liberté des Membres de l’OMC de déterminer les motifs pour lesquels des licences obligatoires sont accordées, et met l’accent sur l’importance des articles 7 (objectifs) et 8 (principes) de l’ADPIC qui font référence à des objectifs publics, parmi lesquels la santé.
  • Autres communications importantes d’un groupe de PVD (Groupe Africain, Brésil, Inde etc...) et des Etats Unis (contestant les effets de la propriété intellectuelle sur l’accessibilité aux médicaments et soulignant que l’accord ADPIC réalise un équilibre adéquat entre innovation et accès aux soins).
  • Le débat se concentre sur : la relation entre la propriété intellectuelle et les politiques de santé, l’importance des articles 7 et 8 de l’ADPIC, les licences obligatoires et les importations parallèles.
  • L’idée d’une déclaration spéciale à Doha est lancée le 25 juillet 2001 à une réunion spéciale informelle du Conseil ADPIC.

19-20 Septembre 2001 : Conseil ADPIC et premières consultations informelles en vue de la négociation d’une Déclaration

Des projets de Déclaration sont soumis par :

  • Les PVD (Groupe Africain, Brésil, Inde, Pakistan, etc..).
  • Les Etats-Unis et ses alliés (Australie, Canada, Japon, Suisse) : projet peu ambitieux qui confirme leur refus de faire quelque chose de substantiel et de sérieux.
  • L’UE   : ce projet contient déjà tous les éléments clés de ce qui deviendra plus tard la déclaration de Doha, et consacre le rôle de la Commission en tant que médiateur entre le Nord et le Sud.

29 Septembre 2001 : Les Etats-Unis proposent une solution alternative à une déclaration en 1) repoussant en 2006 la mise en œuvre de l’ADPIC par les PMA   (pour les médicaments) ; et 2) instaurant un moratoire pour les pays d’Afrique sub-saharienne en ce qui concerne le Sida   et les principales pandémies. Rejeté par l’UE   (pour qui une telle approche ne peut se substituer à une clarification de l’ADPIC) et les PVD.

Octobre 2001 : processus de consultations/négociations à Genève

  • Dernière ligne droite avant Doha sur la base d’éléments soumis par le Secrétariat OMC puis d’un texte préparé par M. Stuart Harbinson, ambassadeur de Hong-Kong et président du Conseil Général de l’OMC.
  • La Commission tient de nombreuses réunions bilatérales avec les PVD ainsi qu’avec les autres membres du Quad afin de tenter de dégager un compromis
  • Les discussions traitent également des problèmes rencontrés par des pays sans capacité de production pharmaceutique pour recourir aux licences obligatoires.
  • Point névralgique des discussions : relation entre la propriété intellectuelle et les politiques de santé publique et en particulier le langage proposé par les PVD : "nothing in the TRIPs Agreement shall prevent governments from taking measures to protect public health". Ce langage pose problème pour plusieurs Members, car il présente le débat en termes de conflit entre règles de propriété intellectuelle et politique de santé publique, alors qu’il s’agit plutôt d’une question de complémentarité. L’UE   fait nombreuses propositions de compromis. Autre point important : portée en terme de maladies. Les Etats-Unis veulent une portée explicitement limitée aux pandémies les plus importantes. Les PVD veulent une approche générale "santé publique".
  • A noter : crise "Anthrax" et bras de fer entre Canada/USA et Bayer en ce qui concerne le prix de la Ciproflaxine. Certains organes gouvernementaux font référence à la possibilité de licences obligatoires, ce qui sera nié par la suite.

13 Novembre 2001 : Conférence de Doha et Déclaration

A Doha la discussion se concentre, sous la présidence du ministre Derbez, sur les derniers point en suspens : 1) les maladies couvertes ; 2) le langage définissant la relation entre l’accord TRIPs et le droit des états protéger la santé publique. Les Etats unis finissent par accepter un compromis.

Eléments clés de la déclaration sur l’ADPIC et la santé publique :

  • Portée : "(...) problèmes de santé publique qui touchent de nombreux pays en développement et pays les moins avancés, en particulier ceux qui résultent du VIH  /SIDA  , de la tuberculose, du paludisme et d’autres épidémies."
  • clarification de la relation entre l’accord sur les ADPIC et les politiques de santé publique des membres de l’OMC ("Nous convenons que l’Accord sur les ADPIC n’empêche pas et ne devrait pas empêcher les Membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique. En conséquence, (...) nous affirmons que ledit accord peut et devrait être interprété et mis en œuvre d’une manière qui appuie le droit des Membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments.")
  • définition de la flexibilité de plusieurs dispositions de l’accord sur les ADPIC,. ("Chaque Membre a la liberté de déterminer les motifs pour lesquels des licences obligatoires1 sont accordées" ; "Les crises dans le domaine de la santé publique, y compris celles qui sont liées au VIH  /SIDA  , à la tuberculose, au paludisme et à d’autres épidémies, peuvent représenter une situation d’urgence nationale ou d’autres circonstances d’extrême urgence".)

La Déclaration de Doha confirme le droit des Membres de l’OMC d’accorder des licences obligatoires1 pour cause de santé publique. Ils peuvent donc faire produire des médicaments génériques sous licence obligatoire . Cependant, de nombreux pays ne disposent pas de capacité de production pharmaceutique. Pour ceux-ci, le droit d’octroyer une licence obligatoire reste un droit théorique. D’ou le besoin de trouver une solution pour ces pays-là. Tel est l’objectif du paragraphe 6 de la Déclaration.

  • Programme de travail post-Doha (par. 6 de la Déclaration) : Les membres s’engagent à trouver, avant la fin de 2002, une solution aux problèmes que pourraient éprouver certains membres dotés de capacités de fabrication insuffisantes, voire inexistantes, dans le secteur pharmaceutique à faire efficacement usage des licences obligatoires pour accéder aux médicaments génériques.

La déclaration est très bien accueillie par les PVD et les ONG. Les Etats-Unis et l’industrie s’empressent de déclarer qu’il s’agit d’un accord politique sans valeur juridique. L’UE   a par contre toujours insisté sur la valeur juridique de la Déclaration en tant qu’interprétation unanime de l’accord ADPIC par les Membres de l’OMC

3. Janvier 2002- ? : le programme de travail post-Doha (paragraphe 6)

5-7 mars 2002 : Conseil TRIPs - premières discussions "par. 6". L’UE   est le seul Membre à soumettre une contribution écrite ("concept paper", 4 mars 2002, IP/C/W/339), explorant deux pistes possibles : une interprétation fondée sur l’article 30 et un amendement de l’article 31. La communication insiste sur la nécessité de mesures de sauvegarde contre le détournement des médicaments. Débat très général. Les PVD insistent sur une solution la plus large possible.

Conseils TRIPs du 25-27 Juin, 24-25 Juillet (informel), 16-19 Septembre

  • Deuxième communication écrite de l’UE  , préconisant un amendement (20.06.2002, IP/C/W/352). La piste "article 30" est abandonnée par pragmatisme (car jugée inacceptable par la plupart des pays industrialisés).
  • Importantes communications écrites du Groupe Africain (plutôt en faveur d’un amendement de portée large), d’un groupe de PVD composé e.a du Brésil, de la Chine et de l’Inde (préconisant une solution "article 30"), et des Etats Unis (en faveur d’un "waiver" à portée limitée).
  • Points de vue très divergents entre les PVD et les pays industrialisés. Sujets épineux : couverture maladies, produits, mesures de sauvegarde et transparence, mécanisme juridique.

Octobre - novembre 2002 : réunions informelles en groupe restreint, sous la présidence de l’ambassadeur mexicain Eduardo Perez Motta, président du Conseil ADPIC. PM soumet une ébauche de texte le 10 Novembre.

14 novembre 2002 : Réunion ministérielle de l’OMC à Sydney. L’UE   soumet une proposition de compromis. Les ministres marquent leur accord de principe et décident de continuer les discussions techniques sur base du texte de Perez Motta du 10 Novembre.

Novembre - décembre 2002 : Reprise des négociations en groupe restreint. Nouvelles propositions de Perez Motta les 19, 20 et le 24 Novembre. Processus lent et fastidieux. Certains pays reviennent sur leurs positions précédentes (US sur la couverture maladies, Brésil sur le mécanisme juridique). L’UE   maintient sa position sur la couverture-maladie : c’est le paragraphe premier de la Déclaration de Doha qui prévaut.

16 décembre 2002 : proposition de compromis de Perez Motta : rallié par tous les Membres à l’exception des Etats-Unis en raison d’une couverture-maladies jugée trop large. Les ONG appellent les PVD à rejeter l’accord, jugé trop contraignant en termes de mesures de sauvegardes et de transparence. Malgré une tentative de l’UE   de trouver un compromis acceptable par les Etats-Unis, le conseil TRIPs du 20 décembre ne parvient pas à dégager un accord.

7 janvier 2003. Le Commissaire Lamy écrit aux Ministres du Commerce des Membres OMC, leur proposant une formule de compromis su la couverture maladie impliquant l’intervention de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS  ). En outre, l’UE   s’engage à ne pas poursuivre des pays qui prendraient des mesures basées sur le projet de décision Perez Motta.

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