Médicaments génériques menacés, malades en danger
Communiqué très explicite de MSFPublié le 19 avril 2005 sur OSIBouaké.org
Communiqué Médecins sans frontières Mis en ligne le 21 mars 2005 http://www.msf.fr/site/actu.nsf/act...
L’Inde est actuellement en train de changer sa loi sur les brevets afin de la mettre en conformité avec le droit sur la propriété intellectuelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette modification va totalement bouleverser l’accès aux médicaments génériques, copies conformes, moins chères, des médicaments développés par les grands laboratoires pharmaceutiques. L’accès aux traitements sera dès lors restreint pour les malades des pays pauvres, et l’innovation leur sera refusée. C’est particulièrement vrai dans le domaine du sida . Interview d’Annick Hamel, responsable de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels de MSF .
POURQUOI L’INDE CHANGE-T-ELLE SA LÉGISLATION ? L’OMC, à sa création en 1995, avait donné dix ans - d’où la date butoir de l’an 2005 - pour que les pays en développement se mettent en conformité avec ses règles sur la propriété intellectuelle, définies par les accords Adpic (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce ). Les pays riches avaient dû le faire dès 1996, les pays les moins avancés ont jusqu’à 2016.
QUE VA CHANGER CETTE NOUVELLE LOI ? Une fois brevetés, les médicaments seront protégés au minimum pendant 20 ans. Il ne sera donc plus possible pour les producteurs indiens de fabriquer de copies des médicaments qui seront brevetés en Inde.
CE CHANGEMENT S’APPLIQUE-T-IL À TOUS LES MÉDICAMENTS ? Les médicaments qui datent d’avant 1995 ne sont pas concernés, donc les copies génériques qui existent pourront toujours être produites et commercialisées. A l’opposé, toutes les nouvelles molécules qui sortiront des laboratoires à partir de cette année seront brevetables. Quant aux médicaments mis au point entre 1995 et aujourd’hui, ils sont susceptibles d’être brevetés en Inde, si une demande a été déposée dans la " boîte aux lettres " prévue à cet effet. Si la demande de brevet est validée, il ne sera pas possible d’en produire des versions génériques.
QUELLES CONSÉQUENCES CELA VA-T-IL AVOIR SUR L’ACCÈS AUX MÉDICAMENTS ? Les nouveaux médicaments mis sur le marché par les laboratoires ne pourront plus être copiés. Avec ces nouvelles dispositions, l’innovation sera refusée aux patients des pays pauvres. L’accès aux génériques ne sera plus qu’une exception, avec des conditions tellement complexes que, en pratique, cela risque d’être impossible.
De plus, on peut craindre que le prix de toute nouvelle innovation soit inabordable pour les malades des pays pauvres. Car il faut se rappeler que c’est la concurrence induite par l’arrivée des médicaments génériques sur le marché qui a obligé les laboratoires de marque à baisser leurs prix. C’est particulièrement vrai dans le domaine du sida . En 2000 les antirétroviraux (ARV ) coûtaient 10.000 dollars par an et par patient. Aujourd’hui, les mêmes combinaisons coûtent 500 dollars par patient et par an chez les grands laboratoires, et 200 dollars en versions génériques.
QUELLES CONSÉQUENCES CELA AURA-T-IL SUR LES PATIENTS ? Aujourd’hui, sur les 700.000 malades sous ARV dans les pays pauvres, 50% bénéficient de génériques indiens. Et parmi les 25.000 patients pris en charge dans les programmes sida de MSF , cette proportion s’élève à 70%. La première génération d’ARV , non protégée par des brevets, coûte désormais 200 dollars par an et par patient. Mais lorsque ces malades auront besoin d’ARV de deuxième génération, qui eux seront brevetés, alors le prix de leur traitement grimpera à 2.000 dollars par an s’ils sont dans les pays les plus pauvres et à 5.000 dollars s’ils sont dans des pays de développement moyen comme en Amérique Latine. On n’ose même pas imaginer ce qui se passera pour la troisième génération d’ARV ...
DES MÉDICAMENTS DE PREMIÈRE LIGNE CONTRE LE SIDA SONT-ILS CONCERNÉS ? Nous sommes particulièrement préoccupés par la combinaison AZT/3TC, commercialisée par GlaxoSmithKline sous le nom de Combivir. Le laboratoire indien Cipla en produit une copie, le Duovir. Les deux molécules prises séparément, AZT et 3TC, ne sont pas brevetables car elles datent d’avant 1995. Mais la combinaison a été "inventée" en 1997 et nous pensons qu’elle fait l’objet d’une demande de brevet déposée dans la "boîte aux lettres" indienne. Si demain l’Inde délivre un brevet sur le Combivir, Cipla ne pourra plus produire sa version générique. Or, le Combivir est nettement plus cher que la version de Cipla qui coûte 197 dollars par an. GlaxoSmithKline le propose à 237 dollars dans les pays les plus pauvres, mais en Chine, où existe déjà un brevet, il est vendu près de 1.300 dollars. Soit 7 fois plus cher que la version générique !
L’INDE A-T-ELLE UNE MARGE DE MANOEUVRE ? L’Inde peut adopter une législation relativement souple. Par exemple, elle peut décider de ne pas accorder de brevet pour les combinaisons. Ni pour ce qu’on appelle les "me-too", c’est-à-dire de nouvelles versions de médicaments existants dont la modification ne présente pas d’avantage thérapeutique. Ou encore pour les médicaments qui existent déjà mais auxquels on trouve une nouvelle indication. C’est d’ailleurs tout le débat qui a lieu actuellement en Inde.
APRÈS CE CHANGEMENT DE LÉGISLATION, IL NE SERA PLUS POSSIBLE DE DISPOSER DE NOUVEAUX MÉDICAMENTS GÉNÉRIQUES ? Les accords Adpic prévoient des mécanismes pour produire des médicaments génériques, comme de demander une licence obligatoire. Cipla peut ainsi demander au gouvernement indien l’autorisation de produire une version générique d’un médicament protégé par un brevet, sans l’accord du détenteur du brevet. Une organisation, comme MSF , peut également demander une licence obligatoire. Mais ce processus est si complexe et les détenteurs de brevets si puissants qu’il y a peu de chance qu’une demande puisse aboutir.
QUELLES SONT LES PERSPECTIVES POUR L’ACCÈS AUX MÉDICAMENTS ? Une fois que la réglementation sera en vigueur - mais cela peut prendre plusieurs mois - l’accès aux médicaments génériques sera donc rendu plus difficile. Mais il ne faut pas accepter comme une fatalité que les malades pauvres des pays pauvres ne puissent disposer que de vieux médicaments pour se soigner. Une politique internationale dans le domaine de la santé ne peut reposer sur la capacité de quelques producteurs d’un pays donné à fabriquer des versions génériques à coût abordable, comme c’est le cas ici avec les génériqueurs indiens. Les acteurs internationaux doivent absolument se pencher à nouveau sur cette question. Et redéfinir les règles qui régissent l’accès de tous à des médicaments à prix abordables.