Haïti : Paris refuse de s’exprimer sur les origines du choléra
Publié le 12 décembre 2010 sur OSIBouaké.org
Le Monde | 11.12.10 | Béatrice Gurrey
La France a envoyé en Haïti "l’un de ses meilleurs spécialistes du choléra en la personne du docteur Piarroux" mais n’a pas de commentaire à faire sur son rapport, tendant à prouver que la maladie a été importée dans l’île par des soldats népalais de l’ONU .
Ce rapport, révélé par Le Monde le 4 décembre, et que nous publions intégralement (en bas de cet article), a été remis aux autorités haïtiennes et aux responsables de l’ONU , comme l’a indiqué au Monde le ministère des affaires étrangères français, vendredi 10 décembre.
L’épidémie a déjà fait 2 120 morts. "Le docteur Piarroux a fait un rapport sous sa responsabilité personnelle et il n’appartient pas à la ministre de le commenter, précise le cabinet de Michèle Alliot-Marie. L’ONU a ouvert une enquête dont il faut maintenant attendre les résultats."
L’ambassadeur de France en Haïti, Didier Le Bret, avait usé de la même prudence, voire de précautions redoublées, en rendant compte au Quai d’Orsay de l’enquête épidémiologique réalisée en Haïti par le professeur Renaud Piarroux, chef du service de mycologie et de parasitologie de l’hôpital de La Timone, à Marseille.
Dans un télégramme diplomatique envoyé le 13 novembre, veille du remaniement ministériel qui a vu Mme Alliot-Marie succéder à Bernard Kouchner, télégramme que Le Monde a pu consulter, l’ambassadeur préconisait de s’en tenir à une "version officielle". Ce document la définit ainsi : "La souche est asiatique, mais rien ne permet de penser qu’elle ait été introduite par des éléments du bataillon népalais".
Les conclusions auxquelles parvient un groupe de médecins américains et haïtiens, dont les travaux sont publiés jeudi 9 décembre par le New England Journal of Medecine sont comparables : il existe une relation étroite entre le vibrion du choléra qui sévit en Haïti et celui qui a été isolé au Bangladesh en 2002 et 2008 (El Tor O1). Les auteurs concluent que l’épidémie haïtienne a probablement été importée par l’homme, à partir d’une source distante, mais se gardent de parler des soldats de la Minustah.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS ), également destinataire du rapport, "prend très au sérieux les recommandations" formulées par le Dr Piarroux, "un expert renommé", a indiqué au Monde Christine Feig, directrice de la communication de l’OMS .
Les conclusions médicales du rapport se sont révélées très utiles sur le terrain pour sauver des vies et prévenir de nouvelles infections, précise-t-elle. L’OMS pense cependant que des conclusions définitives ne peuvent être tirées de cette étude et qu’une enquête épidémiologique plus poussée est nécessaire.
Les raisons de cette prudence généralisée, tout en reconnaissant les compétences de Renaud Piarroux, sont multiples. L’ONU a souhaité protéger ses soldats au plus fort de la polémique sur l’origine du choléra, alors que des affrontements avaient fait deux morts à Cap Haïtien le 15 novembre. Ceux-ci ne sont en rien responsables de cette affaire mais doivent en affronter les conséquences auprès de la population.
De son côté, le gouvernement haïtien a préféré étouffer l’affaire pour ne pas gêner la Minustah dans une période électorale délicate pour le pouvoir. Cette situation s’est encore compliquée depuis le scrutin présidentiel et parlementaire du 28 novembre, occasion de nombreuses fraudes électorales.
Enfin, le docteur Piarroux lui-même s’appuie sur un faisceau de faits concordants pour déterminer l’origine de l’épidémie. Mais il ne possède pas de preuve matérielle permettant une mise en accusation formelle de la Minustah – ce n’était pas l’objet d’une enquête médicale. L’épidémiologue français souligne qu’une enquête judiciaire devrait établir la vérité. Elle lui semble nécessaire pour que les futures missions humanitaires ou du maintien de la paix puissent se dérouler dans de bonnes conditions sanitaires et politiques.
Sur place, les Haïtiens demandent cette vérité. En attendant, ils auront ce week-end la visite très compassionnelle de l’égérie des ultra-conservateurs américains, Sarah Palin, qui accompagne une organisation chrétienne, Samaritan’s Purse.