Afrique du Sud : la lutte contre le sida, rentable pour les entreprises
Publié le 7 février 2007 sur OSIBouaké.org
Johannesbourg - Réalisant peu à peu que « faire le bien » peut être « bon pour les affaires », de plus en plus d’entreprises s’engagent dans la lutte contre le sida et utilisent leur image de marque pour promouvoir des comportements sexuels à moindre risque, notamment auprès des jeunes.
Le changement de comportement sexuel est largement reconnu comme étant une solution pour réduire le nombre d’infections au VIH , pourtant les gouvernements, les responsables religieux et les organisations de lutte contre le sida éprouvent parfois les plus grandes difficultés à en convaincre les populations, notamment les jeunes.
Le dernier venu dans « l’arène », afin d’aborder ce problème est le milieu de l’entreprise, un véritable vivier d’experts en marketing et conseil, reconnus champions lorsqu’il s’agit d’influencer les comportements des masses.
Cal Bruns est l’un d’entre eux. Il a entre autres conçu des campagnes publicitaires destinées à vendre du Coca-Cola aux habitants des bidonvilles. Ses partenaires et lui ont désormais investi le monde de « l’opportunité sociale de l’entreprise ».
Depuis 2005, sa société, Matchboxology, tente d’utiliser l’image de la célèbre marque de vêtements Levi Strauss, afin de diffuser des messages sur le sida aux jeunes Sud-Africains.
Lorsqu’il décrit le travail qu’effectue sa société en collaboration avec Levi Strauss, Bruns établit une distinction entre la notion de « responsabilité sociale de l’entreprise », qui est un terme courant dans le milieu des affaires ainsi que dans le milieu des organisations à but non lucratif, et le principe de « l’opportunité sociale de l’entreprise ».
La différence, a-t-il expliqué aux délégués présents lors d’une conférence organisée fin janvier à Johannesbourg, autour du thème « VIH /SIDA : impact sur l’entreprise », réside dans le fait que dans le deuxième cas de figure, les actions philanthropiques d’une société sont considérées davantage comme des opportunités d’affaires très utiles que comme des sacrifices sur les bénéfices.
L’empressement de grands noms tels que Motorola, Gap et American Express, à se lancer dans la « Red » campaign (campagne « Rouge »), qui consiste à prélever une somme sur la vente des produits labellisés « Red » afin de collecter de l’argent pour le Fonds mondial de lutte contre le sida , la tuberculose et le paludisme, a démontré que « faire le bien est bon pour les affaires ».
Bruns a déclare que les distributeurs ont pris le train « Red » en marche, pas uniquement par pure générosité, mais également parce que cela stimule les affaires. Les produits « Red » répondent au souhait du consommateur de « faire le bien », mais également d’être vu portant des marques à la mode, comme le résume le slogan du site en ligne « Red » : « Rien de mieux pour devenir un beau Samaritain ! »
En Afrique du Sud, une large campagne VIH /SIDA a permis de rehausser l’image de Levi Strauss chez les consommateurs et les employés potentiels, tout en délivrant des messages de lutte contre le VIH /SIDA , à caractère attrayant pour les jeunes, un groupe à haut risque qui résiste de plus en plus aux messages des sources plus classiques, telles que les écoles et les ONG prônant des pratiques sexuelles plus sûres.
« Nous aurions pu choisir un autre thème, mais le VIH /SIDA est le principal problème touchant la jeunesse sud-africaine aujourd’hui », a indiqué Winston Pratt, directeur des ressources humaines pour Levis Strauss en Afrique du Sud. « Le groupe le plus vulnérable [à l’infection au VIH ] est constitué par les 15-24 ans, qui sont nos principaux consommateurs ».
En 2006, Levi Strauss a entamé un partenariat avec New Start, une ONG spécialisée dans les services de conseil et de dépistage, afin de fournir des unités mobiles de dépistage aux centres commerciaux, campus universitaires mais également d’en équiper les rues, dans les trois grandes villes d’Afrique du Sud : Johannesburg, Durban et Le Cap.
Les conseillers de l’ONG New Start ont bénéficié d’une formation complémentaire relative à la manière de traiter avec les adolescents. De plus, les jeunes ont reçu des cadeaux incitatifs, tels que des entrées gratuites à « Rage for the Revolution », un évènement musical de sensibilisation, qui faisait partie intégrante de l’initiative « Red for Life » contre le VIH /SIDA , organisée par le fabricant de vêtements.
Lors de cette campagne de six semaines, 4 082 personnes ont passé un test de dépistage dans les centres médicaux de New Start, parmi lesquelles 32 pour cent avaient entre 15 et 24 ans, une tranche d’âge particulièrement difficile à atteindre, dans le cadre du dépistage VIH .
Dans le passé, Levi Strauss s’est également allié au magazine ‘Cosmopolitan’ et d’autres encore, afin de distribuer des préservatifs affichant son logo.
« Mettez le logo d’une marque très en vue sur des préservatifs, faites les figurer dans des magazines et distribuez-les aux gosses à des événements divers et dans les boîtes de nuit, et vous serez choqué par la vitesse à laquelle ils s’écouleront », a indiqué Bruns.
Levi Strauss va lancer une ligne de vêtements en 2007, comportant des slogans contre le sida tels que : « Je peux me payer tout(e) seul(e) cette bonne paire de Levi’s, ‘Sugar daddy » [‘papa sucre’, surnom donné aux hommes d’un certain âge offrant de l’argent aux jeunes filles en échange de faveurs sexuelles] et « Si tu as trop peur de faire le dépistage, alors tu es trop poltron pour moi ».
Brad Mears de la coalition sud-africaine des entreprises contre le sida (SABCOHA, en anglais) est convaincu qu’il existe un potentiel pour les entreprises, pour que celles-ci soient plus impliquées dans la lutte contre le VIH /SIDA .
« Nous n’avons pas exploité le réel potentiel du secteur privé », a-t-il estimé. « Si vous voulez qu’une personne du monde des affaires réfléchisse au problème du VIH , il faudra alors lui parler le langage des affaires. »
Cette approche plus « économique » de la philanthropie d’entreprise s’explique en partie par un souci de durabilité, a indiqué Pratt. Le fait d’intégrer des initiatives de responsabilité sociale à la principale activité d’une entreprise a plus de sens que de faire des dons annuels pour une cause donnée.
« Nous devons parcourir ce chemin ensemble », a déclaré Bruns lors de la conférence à Johannesbourg. « S’il n’y a qu’une seule marque qui s’y met, elle ne disposera alors que d’une capacité financière limitée pour conduire un réel changement. Davantage de marques doivent s’impliquer. Le principe de l’opportunité sociale de l’entreprise peut donner un nouveau visage à la lutte contre le VIH et le sida en Afrique. »