Biopiraterie : le nouveau colonialisme
Publié le 11 octobre 2012 sur OSIBouaké.org
Basta, 5 Septembre 2012 - Catherine Grèze [1] - Les brevets déposés sur les végétaux font l’objet d’une compétition acharnée entre multinationales. Conséquences : un paysan mexicain peut être, d’un point de vue légal, condamné à devoir des royalties à une entreprise américaine pour cultiver les haricots de ses ancêtres. Face à la « colonisation des savoirs », la députée européenne Catherine Grèze (EELV) appelle à la pleine reconnaissance des droits des peuples autochtones.
Dans une forêt reculée, des Indiens accueillent, amusés, un touriste de passage qui, les yeux ronds, découvre les plantes et autres baies miraculeuses qui soignent les maux de cette communauté. Puis il repart, quelques échantillons en poche. L’homme n’a rien d’un touriste et, une fois de retour dans son laboratoire, dont les robots peuvent étudier jusqu’à 100 000 échantillons par jour, il décompose la plante. Et, enfin, il dépose le brevet. Cette invention maintenant, c’est lui. Les centaines de personnes qui s’étaient transmis ce précieux héritage, l’avaient amélioré au fil du temps, soudain tout cela n’existe plus. Du moins, aux yeux du droit.
Cherchez l’erreur : 90 % du patrimoine biologique mondial se trouve dans les pays dits « en voie de développement », quand 97 % des brevets sont détenus par les pays industrialisés. Pourquoi ? Simplement parce que les savoirs ancestraux sont, dans le monde entier, pillés par de grandes firmes privées œuvrant dans le génie génétique. Que ce soit dans la pharmacologie, l’agroalimentaire, la cosmétologie, les peuples indigènes se voient spoliés par des structures dont les moyens, y compris juridiques, les dépassent. Or toute entreprise ou université accusée de biopiraterie vous répondra invariablement : « Pas du tout, nous ne faisions que de la bioprospection ! » Bioprospection ? Le terme désigne le fait de chercher de nouveaux « principes stables » permettant de lutter contre des maladies modernes peu ou pas soignées. Si chercher est une bonne chose, piller en est une autre. Frontière souvent floue, qui est alors tranchée par le juge.
Nous devons enrayer ce phénomène que Vandana Shiva [2] appelle « colonisation des savoirs ». Pourquoi ? D’une part car dans cette ruée vers l’or vert, la biodiversité paie souvent le prix fort. Dans certains pays, une plante est cultivée massivement car sa production synthétique coûte trop cher. Toute l’économie régionale dépend alors de l’entreprise qui l’achète. Et lorsque l’entreprise décide de ne plus l’exploiter, comme ce fut le cas au Cameroun pour un médicament présumé contre le sida , c’est toute l’agriculture qui s’effondre. Ou bien la plante est surexploitée et au bord de l’extinction. Autre motif d’enrayer la biopiraterie : un certain M. Proctor s’est rendu au Mexique et y a découvert que des haricots jaunes étaient cultivés depuis des générations. Il en a importé aux États-Unis, les a plantés et a déposé le brevet. Bilan, les producteurs mexicains devaient… payer des royalties à M. Proctor pour exporter ! Les exemples de ce type sont innombrables.
Alors que peut-on faire ? D’abord s’appuyer sur ce qui existe. La Convention sur la diversité biologique, signée en 1992 à Rio lors du Sommet de la Terre et ratifiée par 168 pays, reconnaît (article 8j) l’apport des populations autochtones dans le maintien de la diversité biologique, impose un consentement préalable en connaissance de cause des populations qui doivent être informées de l’utilisation des ressources génétiques et garantit « un partage juste et équitable de ses ressources génétiques ». Il existe d’autres textes, comme la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ou la convention 169 de l’OIT, l’Organisation internationale du travail (non ratifiée par la France). Faire appliquer ces textes est une avancée, mais il nous faut aller plus loin. Les revendications des pays en développement sont, sur le principe, plutôt simples : rendre l’octroi de brevet dépendant d’une obligation de divulguer l’origine des ressources génétiques ou savoirs traditionnels en question.
D’un côté, les pays en développement doivent mettre en place un cadre juridique adéquat en matière d’accès et de partage des avantages. De l’autre, les pays industrialisés doivent prévoir des mécanismes efficaces garantissant un partage juste et équitable des avantages tirés de l’utilisation des ressources génétiques. Enfin, du point de vue de l’Union, il faut faire en sorte que le protocole de Nagoya soit ratifié, réformer le système de propriété intellectuelle pour soutenir l’obligation de divulgation et protéger les savoirs traditionnels, ce qui implique une pleine reconnaissance des droits des peuples autochtones. Une nouvelle éthique internationale à inventer.
Catherine Grèze
[1] L’eurodéputée EELV, Catherine Grèze a obtenu, pour faire avancer le travail du Parlement européen sur le sujet de la biopiraterie, la rédaction d’un rapport sur « les droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et leurs conséquences dans les pays en développement », qui sera discuté le 18 septembre.
[2] Lire aussi notre entretien avec Vandana Shiva, militante altermondialiste indienne.