Tensions au Nord-Kivu : le brutal réveil d’une guerre endormie

Publié le 4 octobre 2008 sur OSIBouaké.org

Par Dominique Dalle | Journaliste | 04/10/2008 10H27 | Rue89

(De Goma, RDC) C’est une guerre oubliée qui refait surface. Le Kivu est à nouveau la proie de ces anciens démons, avec les groupes rebelles qui s’y sont installés au lendemain du génocide au Rwanda.

C’est à Sake une fois encore que se joue l’avenir du Nord-Kivu. En juillet 2006 déjà, après le premier tour des élections, la ville avait été assiégée par les troupes de Laurent Nkunda. Important verrou avant d’accéder à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, Sake est depuis le 27 septembre l’objet de rudes combats entre les FARDC et les rebelles du général dissident.

Au milieu, dans une position des plus inconfortables, les troupes de la Monuc, régulièrement prises à partie pour leur absence d’intervention, que la population interprète comme un signe d’acquiescement aux vélléités de Nkunda.

Les épouses des militaires des FARDC -l’armée régulière congolaise- n’ont plus que leurs larmes pour pleurer. Des dimanche, elles ont manifesté dans les rues de Goma, criant leur colère après avoir appris que leurs maris se sont fait tirer comme des lapins à Sake, à 30 kilomètres de Goma.

Elles s’en sont prises à deux stations d’essence, les pillant, au prétexte qu’elles appartiendraient à Laurent Nkunda, le leader du mouvement rebelle CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), contre lequel se battent les force régulières.

Une guerre larvée qui a soudain pris réalité

Le 27 septembre, les FARDC avaient décidé d’en découdre avec le mouvement rebelle, mais les soldats de Nkunda, dont la réputation de redoutables guerriers n’est pas usurpée, étaient tapis dans des tranchées et ont pris à revers les troupes régulières lors de leur assaut d’une colline.

Les femmes n’ont pas vu revenir leurs hommes et cette guerre, jusqu’ici larvée, est devenue plus vraie que jamais. Toute la journée de ce lundi encore, dans le quartier populaire de Katindo, la tension était perceptible, l’armée ayant remplacé la police pour maintenir l’ordre.

A la fin de l’année dernière, on avait cru qu’une nouvelle ère était arrivée. Les groupes rebelles -en particulier le CNDP parmi la myriade des groupes armés (FDLR, Pareco, Mai Mai)- avaient fini, au terme de laborieuses discussions, par signer un accord de paix. Accord qui a débouché sur la mise en place du programme de paix « Amani ».

Entre janvier et juin, ce ne furent que tergiversations et coups de canif au programme Amani puis à l’accord de Goma, tombé caduc à la fin du mois d’août avec la reprise généralisée des combats au Nord-Kivu.

Récemment, les troupes du CNDP ont tenté de prendre la localité de Masisi, un assaut qui n’a pu échouer que grâce à l’intervention de la Monuc qui, pour la deuxième fois en une semaine, a fait intervenir ses hélicoptères de combat pour dissuader les rebelles.

Nkunda et ses lieutenants sont dans le collimateur de la justice internationale

Nkunda semble jouer son va tout, de plus en plus esseulé, lâché par ses principaux parrains et conscient de la menace qui pèse sur lui et ses semblables, qui pourraient un jour rendre des comptes devant la justice internationale.

La Cour pénale internationale (CPI  ) a d’ailleurs lancé le 29 avril un mandat d’arrêt à l’encontre de Bosco Ntaganda, accusé d’avoir enrôlé des enfants durant les conflits en Ituri, dans la Province Orientale et d’avoir participé à des violences et des meurtres contre l’ethnie lendu. Bosco Ntaganda dirige la branche armée du CNDP. Pour Laurent Nkunda, pas question de transférer à la CPI   celui qu’on appelle « Terminator ».

L’homme Nkunda est un mystère. Ancien général de l’armée congolaise, « général déchu » comme disent ses détracteurs, il a pris le maquis il y a plusieurs années déjà pour défendre ses frères tutsi, malmenés dans les provinces des Kivus au lendemain du génocide rwandais, lorsque les troupes du FPR ont poursuivi les interhamwe à l’intérieur du Congo.

En 2004, on revit Nkunda, assiégeant Bukavu, pilonnant la ville qui en a gardé une rancune particulière à l’encontre de toute personne d’origine tutsie. Depuis, il est devenu un personnage mi-craint, mi-respecté. On le dit proche des Américains et lui-même, récemment sur les ondes d’une chaîne de télévision américaine, remerciait les Etats-Unis pour leur soutien constant.

Dans la géopolitique régionale, Nkunda a certes longtemps bénéficié du soutien actif du Rwanda voisin au nom d’une « solidarité tutsie » -Rwanda dont les Etats Unis sont le partenaire le plus proche…

Près de 100 000 nouveaux réfugiés dans la région

Mais le vent a tourné. La stabilité des deux Kivu est devenue une condition de sécurité pour toute la région. C’est qu’on craint un risque de contagion avec l’Ouganda, le Tchad ou le Soudan.

Alors baroud d’honneur pour Nkunda ou énième épisode d’un conflit régional dont les racines vont au-delà des frontières du Congo ? Difficile de le dire. Mais l’actuel patron de la Monuc, Alan Doss (qui fait de fréquents séjours à Goma), semble bien décidé à ne plus laisser l’image de son institution ternie par une insécurité prolongée.

Aux 700 à 800 000 réfugiés de la province, se sont ajoutés 100 000 nouveaux réfugiés ces dernières semaines. La situation humanitaire empire régulièrement, même si certains déplacés peuvent parfois retourner dans leurs villages lors d’accalmies. Mais il leur reste difficile de cultiver leurs champs et de s’occuper des récoltes.

Régulièrement prise à partie par la population, la Monuc sait aussi qu’elle n’est pas à l’abri de manipulations. Apres quinze années d’instabilité, le ras-le-bol est réel. Lors d’une rencontre entre représentants de la Monuc et des étudiants ce dimanche, les menaces n’étaient jamais tres loin.

Les leaders étudiants ont déclaré qu’ils n’accepteront plus la neutralité de la force de maintien de la paix. Le président Kabila lui même, venu à Goma pour rassurer la population et galvaniser ses troupes, n’a pas hésité à déclarer lors d’un point de presse que derrière Nkunda, il y avait la main invisible du Rwanda.

Goma retient son souffle. La ville, détruite en partie par l’éruption du volcan Nyiragongo en 2002, a traversé de nombreuses tragédies ces dernières années. Ce ne sera probablement pas la dernière.

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