Afrique : Evaluer l’impact du sida sur l’agriculture, un exercice complexe

Publié le 3 novembre 2007 sur OSIBouaké.org

Dakar, 29 octobre 2007 (PLUSNEWS)

Mesurer les effets du VIH  /SIDA   sur les communautés rurales est une tâche déjà difficile, mais elle l’est encore davantage lorsqu’il s’agit de déterminer l’impact de l’épidémie en termes de production agricole, ont reconnu des participants à une conférence.

Différentes études ont été menées en Afrique, pour démontrer les conséquences que peut avoir l’épidémie de VIH  /SIDA   sur l’agriculture, en termes de perte de main d’oeuvre et de compétences, de hausse des coûts de production et des dépenses de santé -des facteurs qui augmentent les risques d’insécurité alimentaire et de paupérisation des populations rurales.

L’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime qu’entre 1985 et 2020, les neuf pays les plus touchés du continent par l’épidémie, situés en Afrique australe et de l’Est, pourraient perdre jusqu’à plus d’un quart de leur force de travail agricole à cause du VIH  /SIDA  .

L’évaluation de l’impact exact de l’épidémie sur les populations rurales est un travail difficile à mener, en raison notamment de problèmes de méthodologie, ont noté plusieurs participants à la conférence « De la recherche à l’action : réduire l’impact du VIH  /SIDA   sur l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest », organisée début octobre à Cotonou, au Bénin.

« Les [enquêteurs] vont voir des communautés sélectionnées et ils constatent qu’elles sont affectées par l’épidémie, mais comment isoler le facteur VIH   d’autres causes possibles qui peuvent affecter les populations rurales -et donc la production-, telles que le paludisme, la pauvreté, la fertilité des sols ? », a demandé Jackson Tumwine, consultant VIH  /SIDA   et programmes de développement, de gestion et de suivi évaluation en Ouganda.

Ces facteurs « étaient déjà présents avant le VIH   et ils affectaient déjà la production », a-t-il noté.

Scott Drimie, coordinateur régional de RENEWAL (Regional network on AIDS, livelihoods, and food security), un réseau panafricain dont l’objectif est d’améliorer la compréhension sur les liens entre le sida   et la sécurité alimentaire, a souligné qu’à l’échelle des foyers, l’impact de l’épidémie était évident.

« Une étude a été menée en 1991, puis 15 ans plus tard, sur une même communauté rurale [en Afrique du Sud] », a-t-il dit à IRIN/PlusNews. « Au bout de 15 ans, certains foyers avaient complètement disparu à cause du VIH   et du paludisme, ils avaient été remplacés par d’autres. On pouvait clairement voir un changement dans la communauté et les populations identifiaient le VIH   comme l’une des principales causes de cela ».

Mais ces études sont souvent très localisées et menées parmi des communautés particulièrement touchées par l’épidémie, pas forcément représentatives de la situation à l’échelle nationale, a-t-il reconnu.

Prendre en compte tous les facteurs

En dépit de la multiplication des études au cours des dernières années, plusieurs analystes ont noté que l’impact de l’épidémie en termes de conséquences sur la production agricole n’était pas évident à déterminer, y compris en Afrique australe où les taux de prévalence dépassent pourtant souvent 20 pour cent et où les populations sont à près de 70 pour cent rurales.

Pour M. Drimie, l’une des explications à ce phénomène est que la plupart des études qui s’intéressent à l’impact du VIH  /SIDA   sur l’agriculture ne prennent pas suffisamment en compte l’important roulement de main-d’oeuvre dans le secteur agricole, qui compense en partie la perte des travailleurs infectés, et l’arrivée des antirétroviraux, qui a permis à de nombreuses personnes infectées de retrouver la force de travailler.

« Je pense que cela tient à la nature même du VIH  , c’est un long processus avant que le malade devienne symptomatique, et les familles essayent de limiter l’impact de [l’épidémie] en faisant appel à la famille étendue », a-t-il avancé, estimant dès lors que l’impact du VIH   ne devrait pas s’évaluer en termes de production agricole mais plutôt de foyers infectés et affectés.

D’autre part, a dit à IRIN/PlusNews Felix Kenyah, point focal VIH  /SIDA   du ministère ghanéen de l’Alimentation et de l’agriculture, le fardeau du VIH   ne se ressent pas de la même manière dans des zones où les exploitations agricoles sont des parcelles de très petite taille, généralement cultivées par les membres d’un même foyer, ou s’il s’agit de grandes exploitations travaillées par l’ensemble de la communauté, voire par une main d’oeuvre salariée.

« Dans le cas d’une petite exploitation, si le chef de famille, celui qui cultive et prend les décisions, est [infecté au VIH  ], il va y avoir un fort impact au niveau de la production », a-t-il souligné, notant que cet impact se ressentait moins lorsque l’exploitation était plus importante, et donc cultivée par une main-d’oeuvre tournante.

Dans tous les cas, ce n’est pas parce que cet impact est difficilement quantifiable qu’il n’est pas réel, ont insisté plusieurs participants à la conférence : lorsqu’une personne malade doit faire appel aux membres de sa famille élargie pour la remplacer, même si le niveau général de production change peu, la répartition de ces ressources entre les membres de la famille est, elle, considérablement modifiée, et le VIH  /SIDA   a obligatoirement des conséquences sur l’entourage de la personne infectée.

Si l’on prend en compte le temps passé à prendre soin du malade, la perte de l’activité que le malade aurait exercé et de celle qu’auraient exercée les personnes qui s’en occupent et la remplacent, l’utilisation des économies du foyer pour payer les soins au lieu d’investir dans l’exploitation agricole, la perte pour la famille du malade des cultures qui assuraient sa subsistance, la FAO estime que pour chaque personne malade, deux années de productivité sont perdues.

Lorsque ces personnes de substitution sont les enfants, l’impact est également lourd : une étude menée dans deux communautés rurales du Malawi affichant des taux d’infection de plus de 20 pour cent a montré que trois pour cent des enfants des foyers infectés allaient à l’école et 80 pour cent d’entre eux étaient impliqués dans les travaux des champs, contre respectivement plus de 11 pour cent et 65 pour cent des enfants des foyers non infectés.

Plusieurs participants à la conférence ont estimé que la mise en place de systèmes de suivi et d’évaluation de l’impact de l’épidémie sur l’agriculture devrait attirer davantage d’intérêt et de ressources. Ces fonds permettraient d’une part de mener des études à plus grande échelle, d’autre part de les harmoniser et de les pérenniser, ont-ils dit, afin de pouvoir comparer les données non seulement entre les pays mais aussi sur une plus longue période, ce qui aiderait ainsi à mieux orienter les interventions.

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