Sida : le débat sur la gratuité des soins relancé

La conférence Aids Impact permet d’entrevoir les enjeux du prochain sommet international sur le sida de Mexico début août 2008

Publié le 12 septembre 2007 sur OSIBouaké.org

Selon ses estimations, le Fonds mondial couvrirait ainsi trois quarts des besoins de traitement estimés en Amérique latine, un quart en Afrique, 16 % en Asie, 13 % en Russie et dans les pays de l’Est, et 5 % dans la région du Maghreb et au Moyen-Orient. Sachant qu’au moins 5 millions de personnes attendent un traitement contre le sida   dans le monde, à quelle vitesse doit se propager la réponse médicale à l’épidémie pour ne pas perdre les bénéfices des progrès thérapeutiques ? Inspirée des vieux problèmes de mathématiques de primaire, la question n’a pas manqué d’échauffer les neurones à Marseille en juillet lors de la 8e conférence internationale Aids Impact qui réunissait 500 experts pour faire le point sur les aspects psychologiques et sociaux de l’infection.

Il y a urgence. « Pendant qu’une personne est placée sous traitement, quatre sont infectées dans le monde, rappelle Jean-Paul Moatti, directeur de recherche à l’Inserm et président du comité scientifique en sciences sociales de l’Agence nationale de recherche contre le sida   (ANRS). A ce rythme, nous risquons de perdre bientôt la bataille. » A moins, reconnaissent unanimement les chercheurs, d’opposer au virus un accès universel aux soins.

Trois principales sources de financement permettent aujourd’hui de tendre vers cet objectif. Elles proviennent des Etats eux-mêmes, contributeurs pour le tiers des besoins selon l’Onusida   (le programme commun des Nations unies contre le VIH  ), qui anticipe un accroissement des ressources après les accords d’Abuja, enjoignant les pays du Sud à consacrer au moins 15 % de leur budget à lutter contre le fléau. « Nous y sommes presque », assurent plusieurs observateurs.

La seconde source est abondée par les Etats-Unis à travers le Plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le sida   (Pepfar  ), octroyant une enveloppe de 30 milliards de dollars d’aide jusqu’à 2012. Il assure un traitement antirétroviral à 561.000 hommes, femmes et enfants dans quinze des pays les plus touchés de la planète, dont l’Afrique du Sud (132.000 personnes traitées), l’Ouganda (75.000) et la Namibie (58.000). Le Pepfar   s’intéresse également à la prévention de la transmission de la mère à l’enfant dans déjà plus de 4,5 millions de grossesses, et aux suivis psychosociaux délivrés depuis 2005 à plus de 14 millions d’individus.

Mécanisme « bottom-up »

La troisième source de financement provient du Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme. « Nous avons récolté 11 milliards de dollars depuis 2002 auprès des pays du G8, calcule le professeur Michel Kazatchkine, son nouveau directeur. Partant de là, 8,5 milliards de dollars ont été engagés dans 136 pays et 450 programmes. » Le Fonds mondial repose sur un mécanisme d’aide « du bas vers le haut », totalement novateur dans son principe de responsabilisation : dans chaque pays concerné, un comité de coordination où siègent des responsables gouvernementaux aux côtés de représentants de la société civile, d’associations, de sociétés privées et d’agences internationales, travaille avec un collège d’experts sur l’évaluation des programmes proposés. « Environ 40 % sont retenus pour être financés à travers deux canaux, l’un passant par les structures gouvernementales, l’autre par le milieu associatif », détaille le directeur.

A lire les résultats, le dispositif semble faire ses preuves : au dernier pointage, 1,1 million de séropositifs étaient pris en charge par le Fonds mondial, soit la moitié des personnes traitées par des antirétroviraux dans les pays du Sud. Et la cadence s’accélère au rythme d’une « loi de Moore du traitement anti-sida   », avec un doublement des prises en charge tous les six mois.

Selon ses estimations, le Fonds mondial couvrirait ainsi trois quarts des besoins de traitement estimés en Amérique latine, un quart en Afrique, 16 % en Asie, 13 % en Russie et dans les pays de l’Est, et 5 % dans la région du Maghreb et au Moyen-Orient. « C’est considérable, si on pense qu’en 2002 seulement 300.000 personnes bénéficiaient d’un traitement gratuit dans les pays du Sud », compare Michel Kazatchkine.

Impulsé par le slogan mobilisateur « 3 by 5 », fixant à 3 millions l’objectif de prise en charge de la population infectée en 2005, un certain nombre de barrières ont pu être levées, dont la principale est le prix du traitement. Grâce aux pressions conjuguées des politiques, des fabricants de génériques, et de l’opinion publique internationale, le coût quotidien de la trithérapie utilisée en première ligne (c’est-à-dire avant que les premières résistances apparaissent) est tombée sous la barre symbolique de l’euro, à 60 cents pour le traitement le moins cher.

Bien public global

Mais d’autres problèmes se dessinent, à commencer par l’accès au traitement de deuxième ligne basé sur des molécules plus récentes, donc difficilement « génériquables ». Au moins 10 % des patients actuellement traités vont bientôt devoir basculer vers cette prise en charge plus sophistiquée. « Dans le modèle actuel, on court vers l’impasse dans un terme proche, estime Michel Kazatchkine. A moins que les pressions soient suffisantes pour amener les industriels et les hommes politiques à reconsidérer les notions de propriété intellectuelle. Je pense qu’il faut définir de nouveaux contours permettant d’intégrer la notion de bien public global. »

Dans un récent rapport, l’Onusida   a ainsi évalué à 20 milliards de dollars par an (comparer à 12 milliards de ressources annuelles globales) le financement de la lutte contre le virus à partir de 2008, avec un coût six fois plus important pour les traitements de 2e ligne (1.800 dollars par an pour la thérapie la moins chère). « La réalité devrait être plus proche de 6 milliards de dollars - trois fois le niveau actuel - si on considère la différence entre les besoins estimés et théoriques, et la demande réellement exprimée », tempère Michel Kazatchkine.

Un effort considérable reste également à faire sur le suivi et l’accès gratuit aux soins pour les populations éloignées des centres urbains. Dans une étude conduite auprès des systèmes de soins publics et privés en Tanzanie, le docteur Eileen Moyer, de l’université d’Amsterdam, a mis en évidence que la principale difficulté de suivi des populations infectées était leur localisation sur le terrain. « Une fois dépistées, les personnes sortent des réseaux médicaux. Seules les associations sont alors capables de les retrouver, et encore », observe-t-elle.

Parmi les facteurs qui font obstacle à la mobilité des patients vers les centres de soins : la distance, le prix des transports, l’impact des saisons (sèches ou humides), le coût des soins annexes (tests CD4, hépatiques et rénaux qui ne sont pas pris en charge), les temps d’attente, qui sont autant de frais supplémentaires pour la nourriture ou l’hébergement, les journées chômées inhérentes ou encore la stigmatisation des populations infectées.

Faux frais rédhibitoires

Sinata Koulla Shiro, vice-présidente du Comité de lutte contre le sida   au Cameroun, où les molécules sont délivrées gratuitement depuis mai, confirme ce paradoxe. « La subvention des traitements garantit certes un meilleur accès aux antirétrauxviraux, mais elle met en évidence la difficulté de décentralisation des soins. » Au total, selon les premiers résultats d’une étude conduite sur un échantillon de quelques centaines de patients par le chercheur de l’Inserm Sylvie Boyer, le quart des personnes subventionnées rencontrent toujours des problèmes financiers liés aux « faux frais ». Une solution envisagée par le gouvernement est la mise en place d’un « système de recrutement » pour aller chercher et aider où elles se trouvent les personnes qui arrêtent leur traitement. Une autre piste vise à accroître le nombre de médecins (aujourd’hui 1 sur 100.000 habitants) et délocaliser le suivi vers des centres agréés en milieu rural. Plus de 1.300 infirmières ont déjà été recrutées et formées dans ce but depuis 2006. « Notre système de santé tout entier vit une profonde réforme face à l’épidémie », explique Sinata Koulla. Financé pour moitié par la communauté internationale, l’accès universel aux soins contre le sida   devrait profiter à toute la population camerounaise en 2010 avec pour objectif de réduire de 50 % la progression du virus.

Paul Molga - les echos - 12/09/2007


L’accès aux antirétroviraux dans le monde

Nombre de personnes sous ARV  

  • Afrique : 1.058.000
  • Amérique du Sud : 315.000
  • Asie : 235.000
  • Europe de l’Est : 24.000
  • Moyen-Orient et Afrique du Nord : 4.000

Besoins estimés

  • Afrique : 4.600.000
  • Amérique du Sud : 463.255
  • Asie : 1.468.750
  • Europe de l’Est : 190.000
  • Moyen-Orient et Afrique du Nord : 75.000

Couverture

  • Afrique : 23 %
  • Amérique du Sud : 68 %
  • Asie : 16 %
  • Europe de l’Est : 13 %
  • Moyen-Orient et Afrique du Nord : 5,3 %

(Source : Onusida  , décembre 2006)

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