Au Cambodge, le sida n’est plus tabou

Gestion de l’épipémie au Cambodge et réduction de la prévalence

Publié le 18 novembre 2006 sur OSIBouaké.org

De notre envoyé spécial au Cambodge, Jean-Michel Bader. Publié le 16 novembre 2006

Grâce à une vaste réforme de son système de soins, le Cambodge obtient, depuis huit ans, d’encourageants résultats dans la lutte contre le virus du sida  . L’aide financière des organisations internationales reste importante. Et le rôle des bonzes n’est pas, non plus, négligeable pour éviter que les malades, surtout dans les campagnes, ne soient marginalisés par le reste de la population.

Comprendre le dilemme du Cambodge, c’est se pencher au travers des barreaux d’un lit, dans le service pédiatrique de l’hôpital national de Phnom Penh, sur une petite fille de 5 ans décharnée qui se meut avec la lenteur des rescapés des camps.Voilà des mois qu’elle est séropositive, avec un sida   clinique, et huit semaines qu’elle est devenue éligible pour les médicaments antirétroviraux, comme un millier des 12 000 enfants cambodgiens infectés par le virus.

Le Pr Chhour Y Meng, qui dirige cet hôpital de cent cinquante lits, explique : « Les parents sont très pauvres, ils ont cinq enfants. Quand cette fillette est tombée malade, ils ont acheté quelques comprimés de médicaments vietnamiens. Bien entendu, sans résultat. Mais avec cette mince dépense, comment nourrir les autres enfants ? Les parents sont devant des choix très cruels. »

Le père a fini par amener sa fille très tard à l’hôpital et l’équipe médicale ne lui accorde pas de grandes chances de survie.

Pourtant, il n’y a pas de famine dans ce petit pays de 14 millions d’habitants, dont la moitié a moins de 20 ans. Mais la malnutrition rampante est encore bien présente : plus de 36 % des enfants de moins de 5 ans ont un poids inférieur à la normale, 62 % ont une anémie et un tiers est rachitique.

« J’ai travaillé deux ans en province, près de la frontière vietnamienne, confie le Dr Razoka, d’Unicef Cambodge, qui montre des photos d’enfants décharnés. Ce n’est que lorsque les soins sont devenus gratuits pour les familles très pauvres que j’ai commencé à voir des enfants dénutris. » Auparavant, ils échappaient aux soins.

Le Cambodge est parvenu, après un pic de contamination par le virus du sida   de 3 % de sa population en 1997, à faire chuter durablement depuis huit ans le pourcentage de cas positifs : il est descendu à 1,9 % de la population en 2005. L’épidémie a également reculé parmi les prostituées. Mais de nouveaux groupes à risque, toxicomanes et homosexuels, ont surgi. Les statistiques récentes comptabilisent 57 000 femmes et 65 000 hommes infectés. De plus en plus, ce sont les épouses qui sont contaminées par leurs maris qui entretiennent des liaisons hors mariage. Douze mille enfants cambodgiens vivent avec le virus.

Depuis 1999, une autorité nationale de lutte contre le sida   (NAA) et un centre contre les maladies sexuellement transmissibles tentent de coordonner le travail, souvent désordonné, des 500 ONG internationales présentes sur place. Déjà, 123 centres de dépistage anonyme et gratuit ont été ouverts. Mais, dans les campagnes, les paysans pauvres ignorent toujours leurs droits, accèdent difficilement aux soins, et, surtout, la discrimination des malades reste importante. À Kampong Cham, sur le Mékong, au nord-est de Phnom-Penh, où vivent 423 000 paysans et leurs familles, les moines des 135 temples de la région se mobilisent pour endiguer la peur qu’ont les gens des séropositifs. Sous l’égide du ministère des Cultes, les bonzes, très respectés dans ce pays, qui prônent la méditation, sont les relais de l’information sur le sida   et les MST. Mais sans grands moyens...

Comment aider par exemple Lengsarem, veuve de 40 ans, mère de trois enfants, infectée par son mari il y a dix ans ? Elle vivote de la vente de légumes avec un demi-dollar par jour. Elle a eu la chance d’accéder au programme de traitement antirétroviral, mais les villageois l’ont su et refusent désormais de lui parler. Si elle n’a pas été chassée du village, c’est sans doute grâce aux bonzes et à la compassion de sa mère, qui ne l’a pas rejetée. Lengsarem n’en veut à personne, mais elle ne décolère pas contre son défunt mari. « Aujourd’hui, au Cambodge, le mode essentiel de contamination, c’est la transmission dans le couple », précise Haritiana Rakotomamonjy, d’Unicef Phnom-Penh. Le pays compte 670 000 orphelins d’au moins un des parents. À Phnom Penh, le centre Nyemo accueille de très jeunes femmes et des enfants, environ 200 par jour, signalés par un réseau de 45 ONG locales et les bonzes des pagodes. Femmes abandonnées par leur mari et enfants mendiants ont ici un havre financé par l’Unicef. À l’hôpital de Svay Rieng, près de la frontière vietnamienne, et dans les 37 centres de santé de la province, une initiative originale a été mise en place. L’Unicef a établi un fonds de solidarité à destination des familles les plus modestes. Une enquête préalable dans 690 villages a permis de leur procurer une carte d’identité familiale qui garantit la gratuité des soins, du transport et de l’accompagnement des malades hospitalisés. Un comité provincial de bénévoles surveille chaque mois le fonctionnement du dispositif et son coût. Le résultat a dépassé les espérances : les consultations sont passées de 2 840 en 1999 à 8 505 en 2006. Plus de 5 000 villageois se sont spontanément soumis à un test gratuit du VIH  . Près de 500 malades ont bénéficié de traitements antirétroviraux, 36 bébés nés avec le virus ont été détectés et plus de 92 enfants séropositifs de moins de 5 ans bénéficient aujourd’hui de traitements prophylactiques des infections opportunistes. La confiance établie, l’hôpital tourne à présent à plein régime. Preuve que, même dans un pays très pauvre où les préjugés sont forts, lorsque l’État accepte de travailler avec les organisations internationales, certains tabous peuvent tomber pour mieux vaincre la maladie.

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