République Centrafricaine : Un pays au bord du gouffre

L’avenir de la RCA risque d’être compromis

Publié le 1er novembre 2006 sur OSIBouaké.org

BANGUI, 1 novembre (PLUSNEWS) - Avec plus d’un adulte sur 10 infecté au VIH  , la République centrafricaine (RCA) est le pays le plus touché d’Afrique centrale par l’épidémie et le dixième au monde : convaincre les partenaires internationaux de la lutte contre le sida   de revenir travailler dans ce pays ravagé par des années de conflits sanglants est devenu une urgence.

En 2005, 10,7 pour cent des quelque quatre millions d’habitants de la RCA vivaient avec le VIH  /SIDA  , selon le Programme commun des Nations unies sur le sida   (Onusida  ).

Une estimation qui cache d’importantes disparités, notamment entre les zones rurales et urbaines de ce pays de 620 000 kilomètres carrés : certaines régions rurales, comme le nord confronté à une insécurité persistante et les zones frontalières du Soudan et de la République démocratique du Congo (RDC), affichent des taux d’infection atteignant jusqu’à trois fois la moyenne nationale.

D’autre part, les jeunes femmes âgées entre 15 et 24 ans sont cinq fois plus infectées que les hommes du même âge, et le nombre d’orphelins ne cesse de croître : en 2005, 140 000 enfants avaient perdu un ou leurs deux parents du sida  , d’après l’Onusida  .

Une enquête sentinelle est en cours pour déterminer le degré d’aggravation de l’épidémie depuis les dernières études, menées en 2003, mais d’ores et déjà, le sida   est devenu l’une des principales causes de mortalité en RCA, selon les autorités.

La forte stigmatisation, l’ignorance, la pauvreté de l’immense majorité des Centrafricains, confrontés à des arriérés de salaires de plusieurs mois, ainsi que les déplacements massifs de populations et de groupes armés, accompagnés de l’utilisation massive des violences sexuelles comme arme de terreur pendant les années de conflits, sont les facteurs les plus souvent cités pour expliquer cette situation.

« Le problème du sida   en RCA, c’est vraiment grave, si on ne fait rien maintenant, dans 10 ans vous revenez, il n’y aura plus que des tombes », s’est alarmée Donatienne Fetia, présidente du Congrès des jeunes femmes vivant avec le VIH  , une organisation membre du Réseau centrafricain des personnes vivant avec le VIH   (Recapev).

Six ans de vie en moins

L’espérance de vie a baissé de six ans en 15 ans, d’après le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap), et même si « rien ne permet d’attribuer cette baisse au [seul] VIH  /SIDA  , quand on regarde l’impact de l’épidémie sur le corps enseignant et médical, on voit que le sida   est de toute façon un problème vraiment sérieux », a dit le docteur Basile Tambashe, représentant du Fnuap en RCA.

En 2005, une étude publiée par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur les « Impacts du VIH  /SIDA   sur le développement en République Centrafricaine » a évalué à 327 pour cent l’augmentation des décès en 2005 chez les 15-49 ans, par rapport à un scénario sans sida  .

Le document a confirmé l’effet dévastateur de l’épidémie, entre autres sur le secteur de la santé, en terme de pertes des ressources humaines, de surcharge de travail -jusqu’à 70 pour cent des lits d’hôpitaux sont occupés par des malades du sida  -, et de surcoût.

D’après le Pnud, le coût d’une réponse « volontariste », fondée sur une « intensification majeure » de la lutte, s’élèverait en 2015 à 219 pour cent du budget actuel de fonctionnement de l’ensemble du secteur de la santé.

Pourtant, sans un effort conséquent et immédiat de tous les partenaires pour limiter la propagation du virus, le taux d’infection au VIH   pourrait dépasser 18 pour cent en 2015, a averti le document.

Face à la gravité de la situation, le pays est démuni. Le gouvernement centrafricain a alloué en 2006 un budget de 200 millions de francs CFA (dollars) à la lutte contre le sida  , notamment pour l’achat d’antirétroviraux (ARV  ), mais, confronté à un manque de liquidités, l’Etat n’a jamais pu débloquer ce budget.

Le président centrafricain François Bozizé a à plusieurs reprises affirmé sa volonté de lutter contre l’épidémie, tandis que le sida   a été déclaré priorité de santé publique.

« Nous sommes dans un esprit d’intensification de la lutte », a affirmé le docteur Marcel Massanga, directeur du secrétariat technique du Comité national de lutte contre le sida   (CNLS). « Dans ce contexte, nous bénéficions de l’appui de partenaires mais le [fossé] entre les besoins et l’offre est énorme. »

Une épidémie galopante

Car l’aide internationale se fait attendre, a constaté le docteur Louis Ponzio, coordonnateur de l’Onusida   en RCA. « Il y a des financements, mais ils ne sont pas suffisants, alors que nous sommes dans une situation d’épidémie galopante », a-t-il dit.

En octobre 2003, le Fonds mondial de lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme a accordé à la RCA un financement de 25 millions de dollars sur cinq ans pour lutter contre le sida  , devenant ainsi le plus gros bailleur de la lutte dans un pays qui se sent « abandonné ».

Ce financement a permis entre autres de lancer des programmes de distribution d’antirétroviraux (ARV  ) : fin septembre 2006, 2 860 personnes en bénéficiaient, dont une centaine d’enfants.

Toutes sources confondues, moins de 3 500 personnes sont aujourd’hui sous ARV   en RCA, d’après le CNLS. Or selon l’Onusida  , plus de 30 000 personnes auraient besoin de ces médicaments qui prolongent et améliorent la vie des personnes infectées au VIH  /SIDA  .

Les coups d’Etat à répétition des dernières années et l’insécurité persistante dans les pays alentours et dans certaines zones de la RCA, attribuée à des coupeurs de route, des rebelles mais aussi aux forces armées centrafricaines, ont fait fuir ou ont découragé de nombreuses organisations internationales, alors même que ces violences ont accru la vulnérabilité des populations.

Près de 20 000 réfugiés, essentiellement des Soudanais, des Congolais de la RDC et des Tchadiens, vivent en RCA, tandis que 150 000 Centrafricains ont dû quitter leur région d’origine pour se réfugier dans d’autres zones du pays, selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR).

Les organisations présentes malgré tout sont donc débordées par les demandes. En six mois, le Centre de traitement ambulatoire (CTA) de la Croix-Rouge française, installé dans l’enceinte de l’hôpital communautaire de Bangui, la capitale, a atteint ses objectifs de 500 patients en file active fixés pour l’année, et fournit des ARV   à 150 patients, grâce à la subvention du Fonds mondial.

« La demande est largement supérieure à l’offre et les patients viennent très tard, quand ils sont obligés », a constaté le docteur Valentin Fikouma, médecin chef du CTA. « Ils sont en mauvaise santé et plus de [la moitié] d’entre eux sont en état de malnutrition. »

Revenir vers le peuple centrafricain

Pour tenter de limiter la propagation du virus, il faudrait, parallèlement à l’accélération de l’accès aux traitements, intensifier les efforts de prévention du VIH  , entre autres la mise à disposition des préservatifs, selon le Fnuap. Or, là encore, la demande est loin d’être satisfaite.

« Pour couvrir les besoins en RCA, il faudrait 16 millions de préservatifs par an », a dit le docteur Tambashe. « Pourtant, toutes sources confondues, on en est à six millions. »

Suite à des campagnes de sensibilisation et à l’arrivée des traitements ARV  , la demande pour le dépistage du VIH   a fortement augmenté : depuis le lancement du programme du Fonds mondial, plus de 41 000 personnes ont été dépistées, soit près du double de l’objectif de départ.

« On a vu des jeunes faire 50 kilomètres à pied pour venir se faire dépister », a raconté Maxime-Faustin Mbringa-Takama, facilitateur de la communauté de pratique VIH   au sein du Pnud, principal bénéficiaire des subventions du Fonds mondial en RCA.

Mais une fois l’étape du dépistage franchie, et en cas d’infection, l’offre de soins ne suit pas, a rappelé Elvire Yabada, du Congrès des jeunes filles vivant avec le VIH  .

« Dans chaque ruelle, maison, quartier, il y a des gens qui souffrent seuls chez eux, ils n’ont pas le courage d’aller à l’hôpital parce qu’ils savent qu’il n’y a pas de traitements », a-t-elle dit. « On est étouffées [par les demandes d’aide], mais nous n’avons pas de médicaments à donner, nous n’avons que la parole pour soutenir. »

Autorités, partenaires internationaux et membres de la société civile tentent donc aujourd’hui de convaincre la communauté internationale de l’urgence de soutenir la RCA dans son combat contre l’épidémie, les financements actuels étant loin de pouvoir couvrir les besoins, même s’ils représentent entre un tiers et la moitié du budget de la santé publique du pays, selon les autorités sanitaires.

« Il faut revenir vers le peuple centrafricain », a plaidé le docteur Ponzio d’Onusida  . « C’est vrai qu’il y a eu des erreurs, mais aujourd’hui la communauté internationale n’a pas le droit de laisser le pays au bord du gouffre. C’est une urgence si on ne veut pas que le pays disparaisse. »

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