Témoignage de Jeanne Gapiya Niyonzima, ANSS, Burundi

Publié le 1er octobre 2006 sur OSIBouaké.org

Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères, Monsieur le Maire de la Ville de Paris, Monsieur le Président de la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris, Madame la directrice adjointe de l’UNICEF, Mesdames, Messieurs les membres de la communauté scientifique, Distingués invités, Mesdames Messieurs,

Je voudrais d’abord remercier les organisateurs de m’avoir invitée à cet important Colloque. Je voudrais ensuite me réjouir de ce que les hommes politiques, décideurs, scientifiques et professionnels de la santé que vous êtes aient pu porter leur attention sur la question cruciale de l’enfance et du sida  . Je ne dirai pas qu’il soit trop tôt mais, comme on dit en Français, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Si je prends la parole devant vous ce matin, c’est pour vous livrer un témoignage. Je ne vous parlerai pas de ce que j’ai lu ou entendu ; je vous parlerai de ce que j’ai vécu au plus profond de mon être et qui a profondément affecté ma vie. Je vous parlerai aussi de mon expérience de terrain. Mon souhait est que ce témoignage éclaire vos débats et surtout qu’il renforce votre détermination à lutter contre les ravages du sida   chez l’enfant. Je m’appelle Jeanne Gapiya Niyonzima, je suis du Burundi. Je vis avec le VIH  /sida   depuis maintenant 21 ans. Ma vie a été profondément marquée par le sida  . Mariée une première fois en 1986, mon mari a été emporté par le sida   en 1989. En 1990, le sida   m’a pris une de mes sœurs. Et comme si ce n’était pas assez le même sida   m’a ravi mon unique frère en 1992. De ce premier mariage est né un garçon Guy Bertrand qui est, lui aussi, mort du sida   en 1988 à l’âge de 18 mois. Si je vous dis cela, ce n’est pas pour jouer avec vos émotions ou remuer des souvenirs par ailleurs fort douloureux pour moi. Ce n’est pas non plus pour susciter votre pitié, je crois que je n’en ai pas besoin. Je vous dis cela pour deux raisons essentielles. Premièrement, c’est pour vous montrer que la question du sida   chez l’enfant a été confinée à l’arrière plan pendant de longues années. Mon fils est décédé à une époque où les traitements n’existaient pas encore. Mais combien d’enfants sont morts et meurent encore chaque jour depuis l’introduction des traitements anti-rétroviraux ? Combien d’enfants sont infectés chaque année à l’heure où la science et la technologie permettent de limiter considérablement la transmission du VIH   de la mère à l’enfant ? Combien de mères qui, comme moi, éprouvent l’indicible douleur de voir leurs enfants mourir sous leurs yeux sans qu’ils puissent rien faire pour les sauver d’une mort atroce ? Des centaines de milliers au bas mot ! Deuxièmement, je vous dis cela en tant que mère. Une mère qui aurait tout fait pour protéger son enfant de l’infection à VIH   ; une mère qui n’a pas eu cette chance ; une mère qui comprend ce que c’est que le désir d’enfant même quand on est séropositive. Ma rage de vivre et mon combat m’ont permis de rester vivante et de profiter des progrès scientifiques, surtout en ce qui concerne les traitements anti-rétroviraux. Je suis pour cela reconnaissante à la science et je considère que, malgré tout, j’ai de la chance d’être encore vivante aujourd’hui. Aujourd’hui, grâce aux progrès de la science et de la technologie, il est possible aux femmes séropositives d’avoir des enfants et de les protéger contre l’infection à VIH  . Malheureusement, moi je ne pourrai pas profiter de ces avancées puisque je ne pourrai plus jamais donner la vie. A une époque où les médecins eux-mêmes ne comprenaient pas encore grand-chose au VIH  /sida  , je suis tombée enceinte de mon deuxième enfant. Le médecin que j’ai consulte savait que mon premier enfant était infecté. Croyant bien faire ou ne sachant trop que faire, il a décidé que je devais interrompre cette grossesse. Mais comme elle était avancée, il a fallu pratiquer une hystérectomie, m’infligeant ainsi une opération psychologiquement dévastatrice. Des années durant, j’ai vécu cela comme une véritable mutilation. Pour vous en donner une idée, cela fait plus de 10 ans que j’ai publiquement révélé mon statut de séropositive, mais c’est seulement ce matin que j’évoque pour la toute première fois en public ce traumatisme intime. Je constate donc en même temps que vous que j’ai fait du chemin, que je suis devenue peut-être plus forte et plus résiliente ! Monsieur le Ministre, Distingués invités, Mesdames, Messieurs, Durant les premières années de ma lutte au Burundi, il fut un moment où je rendais souvent visite à des malades du sida  , à l’hôpital ou à domicile. Je supportais tant bien que mal de voir des adultes souffrir mais je ne pouvais pas soutenir la vue d’un enfant souffrant. Avec le recul, je crois que cela me faisait revivre la longue et douloureuse agonie de mon enfant. Mais, une fois de plus, aujourd’hui je sais que j’ai franchi une autre étape dans ma vie. Tout a commencé quand je me suis remarié et que je suis redevenue Maman. Mon nouveau mari était alors veuf et il avait deux enfants. Nous nous sommes adoptés, eux comme mes enfants et moi comme leur nouvelle maman. Cette renaissance fut pour moi le couronnement de ma foi en la vie. Ce fut aussi un véritable pied de nez au VIH   /sida  . Il n’y a pas de mots assez forts pour exprimer ce que j’ai appris et vécu pendant ce laps de temps. Sachez seulement que cela m’a permis de faire la distinction entre ce qui, dans la vie, est essentiel et ce qui est accessoire. Quelques années plus tard, il m’a été demandé de coordonner le Projet Paris sida   Sud, un projet de prise en charge globale d’orphelins qui ont perdu leurs parents à cause du sida  . Couvrant trois associations - ANSS ; SWAA et APECOS- ce projet est financé par la Mairie de Paris à travers Sidaction. Je profite de cette occasion pour dire un grand merci à M. le Maire de Paris et à Sidaction pour cet appui. Aujourd’hui lors de mes missions de coordination, je rends visite à des enfants à l’hôpital et à domicile. Maintenant j’arrive à le faire parce que je sais qu’il y a de l’espoir pour eux. S’ils ont besoin de traitements même anti-rétroviraux, je sais qu’ils peuvent les obtenir à travers le projet. S’ils ont besoin d’aller à l’école, je sais que c’est possible à travers le projet. Je sais même qu’il donne aux enfants orphelins et souvent séropositifs l’occasion de jouer, de s’amuser, c’est-à-dire de rester simplement des enfants. Aujourd’hui grâce à ce projet la vie de 300 orphelins a complètement changé. Voici un exemple : alors que je discutais une fois avec ces enfants, une fillette de 10 ans se leva et me dit : « Je ne manque plus de rien, on m’a même offert une robe blanche pour ma première communion ! » Un autre renchérit et dit : « Nous sommes heureux. Maintenant nous arrivons même à manger chaque jour jusqu’à la fin du mois ! ». La leçon a tirer de cet exemple est simple : il n’est pas nécessairement besoin de sortir des millions pour changer la vie d’un enfant. Monsieur le Ministre, Distingués invités, Mesdames, Messieurs, Vous l’aurez compris, ces exemples illustrent deux aspects importants de la problématique Enfance et sida  . Le premier concerne l’accès aux traitements anti-rétroviraux pour les enfants. Ceux d’entre vous qui sont cliniciens connaissent mieux que moi tous les problèmes liés à la formulation, au choix des molécules, aux difficultés d’administration et aux résistances pour ne citer que quelques uns. Autrement dit, il est plus qu’urgent qu’une recherche résolue et cadrée soit entreprise pour régler toutes ces questions. Le deuxième aspect concerne la mise en place des services d’appui psychosocial pour les enfants. Les besoins des enfants séropositifs et des orphelins sont des besoins complexes et multiformes qui se présentent comme un tout. Pourtant comme je l’ai montré plus haut les enfants ne sont pas exigeants. Je vous encourage donc à considérer la problématique dans toute sa complexité. Autrement dit, chez les enfants comme chez les adultes, je ne vois rien de moins qu’un continuum qui va de la prévention de l’infection à l’allègement de l’impact du sida   en passant par le traitement et la prise en charge psychosociale. Tous médecins, chercheurs, décideurs, activistes, associatifs, travailleurs sociaux, nous avons la responsabilité morale de travailler pour rendre le sourire aux enfants de la terre. En aidant les enfants, on reçoit bien plus qu’on ne donne. Là c’est mon expérience qui parle ! Aujourd’hui plus qu’hier, il est urgent de nous unir pour les enfants ; de nous unir contre le sida   ! Je vous remercie de votre aimable attention et je vous souhaite de fructueux débats.

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