Burundi : une santé chèrement payée. Rapport 2006 de HRW.

La détention des patients sans ressources dans les hôpitaux burundais

Publié le 15 septembre 2006 sur OSIBouaké.org

L’intégralité du rapport est téléchargeable ci-dessous. Voici le résumé de HRW.

J’ai dû aller à l’hôpital parce que j’avais besoin d’une césarienne. Quand j’ai vu la facture, le médecin m’a dit : « Comme tu n’as pas payé, on va t’emprisonner ici ». La vie ici est difficile. Je ne peux pas partir avec mon bébé. Nous avons souvent faim ici. Je ne peux plus supporter cette situation. - Une femme de dix-huit ans détenue avec son bébé à la clinique Prince Louis Rwagasore, à Bujumbura

Un jour, j’ai essayé de sortir de l’hôpital et on m’a refusé car je n’avais pas encore réglé ma facture. Quand le médecin se présente, je demande toujours de sortir, ca je ne bénéficie plus de soins ...Les gardiens me menacent. Chaque fois que je m’approche de la sortie, ils me disent que je ne peux pas quitter car je n’ai pas réglé la facture. - Un homme de vingt-deux ans qui a eu un accident de voiture, détenu à l’hôpital Prince Régent Charles, à Bujumbura

Les responsables des hôpitaux doivent s’organiser pour assurer la pérennité. Si les directeurs des hôpitaux ne font pas attention, ils devront fermer les portes. - Dr. Julien Kamyo, chef de cabinet au Ministère de la santé

Ces dernières années, les hôpitaux publics du Burundi ont maintenu en détention des centaines de patients qui étaient dans l’incapacité de régler leur facture. Les patients étaient habituellement détenus pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, et dans un cas pendant plus d’un an. Ils étaient gardés par le personnel de sécurité, dans les services de l’hôpital ou dans un local séparé. Ceux qui n’avaient pas d’argent étaient souvent affamés s’ils n’étaient pas nourris par la charité des autres. Certains étaient obligés de libérer leurs lits pour les patients qui avaient les moyens de payer et devaient dormir par terre. Souvent, si la facture atteignait un certain montant, les plus pauvres ne recevaient plus aucun traitement, même s’ils avaient besoin de soins supplémentaires, incluant les soins post-opératoires élémentaires comme l’enlèvement des points de suture après une césarienne.

La détention des patients qui ne peuvent régler leur facture résulte des problèmes plus larges que connaît le secteur de la santé au Burundi, et les met en lumière. Bien qu’étant l’un des pays les plus pauvres du monde, le Burundi a mis en application, en 2002, un système de recouvrement de frais dans le cadre de ses services de santé publique. L’objectif étant de rendre le système plus efficace économiquement. Les patients devaient alors régler tous les frais médicaux tels que les consultations, les analyses, les médicaments, les fournitures, et leur séjour à l’hôpital. Il y a bien une sécurité sociale et un système dérogatoire pour les plus défavorisés, qui les aide à couvrir leurs frais, mais les deux systèmes ne fonctionnent pas bien, voire pas du tout dans certains endroits. Les hôpitaux publics ne tirent pas suffisamment de revenus des frais versés par les patients, des donations et des fonds publics pour assurer leur fonctionnement, et ils manquent d’équipes médicales bien formées, de matériel et de médicaments. Le secteur de la santé du Burundi n’est pas seulement rongé par des déficits énormes, mais aussi par un financement public insuffisant, enfin par la fraude et la corruption, qui réduisent un gâteau déjà petit. Le personnel hospitalier, grossièrement sous-payé, fait partie de ceux qui sont impliqués dans la mauvaise gestion.

La plupart des patients détenus ont été traités en chirurgie, à la suite d’un accident de voiture ou pour des complications à l’accouchement, tandis que d’autres souffrent de maladies chroniques comme le VIH  /SIDA  . Ces patients sont très pauvres, appartiennent souvent à des groupes vulnérables comme les orphelins, les veuves, les mères célibataires ou les personnes déplacées par la guerre civile, et ont peu de famille ou de réseaux élargis de soutien social. Certains de ces détenus sont obligés de vendre leurs derniers biens pour payer leur facture et être libérés. D’autres trouvent un bienfaiteur, une personne riche ou un organisme humanitaire pour régler leurs dépenses et leur permettre de retourner à la maison.

Le 1er mai 2006, le Président Pierre Nkurunziza a annonçé que les mères et les enfants de moins de cinq ans bénéficieraient dorénavant de soins gratuits. Si elle est appliquée durablement, cette mesure devrait mettre fin aux détentions à l’hôpital de femmes et de jeunes enfants. Cela n’apporte, cependant, aucune aide aux autres patients incapables de régler leurs factures, qui constituent plus de la moitié des personnes habituellement détenues.

Les réponses officielles aux détentions ont été confuses et contradictoires, oscillant entre le déni, la justification et la déformation de la réalité. Les directeurs d’hôpitaux et les représentants du gouvernement minimisent souvent le problème, prétendant que ceux qui ne peuvent pas payer sont relâchés après quelques jours. La plupart refusent d’utiliser le mot « détention » pour décrire cette pratique. En même temps, ils en justifient la nécessité, disant que les hôpitaux seraient obligés de fermer leurs portes s’ils ne pouvaient utiliser de tels moyens pour obliger les patients à régler leurs factures. Parce qu’ils ne considèrent pas la détention des patients comme une violation des droits de l’homme, les représentants du gouvernement ne demandent pas au personnel de cesser cette pratique et ne punissent pas ceux qui continuent à la mettre en oeuvre.

Les normes juridiques en matière de droits de l’homme stipulent que chaque personne a droit à la liberté et à la sécurité. Toute détention arbitraire quelle qu’elle soit est une violation de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Burundi est partie. Toute détention d’un individu pour défaut de paiement d’une dette viole spécifiquement l’article 11 du PIDCP qui déclare : « Nul ne peut être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’excécuter une obligation contractuelle ». La détention dans des conditions d’entassement et de manque de nourriture viole le droit des personnes à ne pas être détenues dans des conditions inhumaines.

L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), auquel le Burundi est partie, requiert des Etats qu’ils mettent en oeuvre progressivement le droit de jouir du meilleur état de santé possible. Au Burundi, la détention des patients qui ne peuvent pas payer leurs factures a d’importantes implications sur les soins. La détention à l’hôpital dissuade tout d’abord les plus pauvres de se faire soigner, contraint les patients à abréger ou à suspendre leur traitement quand il apparaît aux médecins et à l’équipe hospitalière qu’ils ne pourront pas payer, et retient prisonniers les personnes convalescentes dans des conditions qui peuvent aggraver leurs problèmes de santé.

La question des détentions à l’hôpital reflète aussi le problème plus large de l’accès aux soins de tous les membres de la société burundaise. Si les récentes mesures de gratuité des soins pour les mères et les enfants en bas âge sont bienvenues, le gouvernement devrait, de manière urgente, doter les structures sanitaires des moyens de répondre aux demandes croissantes. Plus généralement, le gouvernement doit veiller à ce que le budget de la santé soit en mesure d’atteindre la population la plus exposée et prendre des mesures contre la corruption dans le système de santé.

Avec les objectifs du Millénaire pour le développement, la communauté internationale s’est engagée à atteindre d’ambitieux objectifs dans le domaine de la santé, comme réduire la mortalité infantile, améliorer la protection maternelle et combattre le VIH  /SIDA   et la malaria. Au Burundi, les donateurs internationaux financent une grande partie du secteur de la santé et influencent directement les décisions politiques en la matière. En dépit de ces engagements, les donateurs n’ont pas fait pression efficacement pour mettre fin à la détention des patients ni pour améliorer l’accès aux soins des plus pauvres.

L’initiative en faveur des pays pauvres très endettés pourrait apporter un certain changement. Par cette initiative, le Burundi a obtenu un allègement de sa dette sur une base provisoire en 2005, et le gouvernement a pu, en conséquence, presque tripler le budget de la santé. Le pays est actuellement en train de mettre au point plusieurs mesures économiques dans la perspective de finaliser l’accord sur l’allègement de la dette fin 2006. Les institutions financières internationales et les autres donateurs devraient s’assurer que les sommes ainsi allouées seront utilisées pour améliorer l’accès aux soins et mettre un terme aux détentions à l’hôpital.

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