Gamines de Sylvie Testud

"Comment vous êtes vous débrouillé pour traumatiser toute une famille sans jamais vous montrer ?"

Publié le 15 septembre 2006 sur OSIBouaké.org

Je viens à peine de refermer mon premier "Testud", voilà, j’aime l’actrice depuis longtemps et depuis quelques temps je tournais autour de ses livres, sans jamais franchir le pas, ...peur d’être déçu,...(être déçu par les gens que j’aime me terrifie) et puis une amie, m’a dit : "fonces, tu peux y aller les yeux fermés"...Merci (comme elle n’aime pas les remerciements, je la laisserai croire qu’elle n’a été que l’instrument du destin qui devait me conduire à ce livre...)

Parce que putain, quelle merveille ce bouquin !

Pendant toute sa lecture, j’ai été Sybille, j’ai vécu dans le cerveau d’une gamine de 10 ans, j’ai parlé avec ses mots, j’ai vibré avec elle, j’ai souffert avec elle, j’ai eu honte aussi, vous savez ces hontes d’enfants : "Le mari de ma tante a une surprise pour moi ! - Sybille, Sybille, j’ai mieux qu’un gâteau ! il a crie à travers le jardin. Il est tout fier Oh là là, je suis bouche bée. Il y a pensé. Merci ! Merci ! Sur une grande assiette, il y en a un. Oui ! Il a mis un camembert ! Merci ! Merci ! Je jette un coup d’oeil à ma mère. Elle sourit. Elle sait que je n’ai pas réclamé. Il n’y a pas de bougie mais c’est comme mon anniversaire tout à coup ! Le mari d’Angèle s’approche de moi, il me tend un couteau spécial fromage. Ta tante découpe son gâteau, tu n’as qu’à découper le tien ! Je suis intimidée devant tant d’honneur. J’ai de la chance. Même Angèle attend que je découpe mon camembert avant de découper son gâteau. Sous l’oeil attentif de l’assemblée, je plante mon couteau dans le camembert, qui couine. Quoi ? Que se passe t’il ? Il me faut me ridiculiser une deuxième fois pour comprendre l’affront qui m’est fait. Le camembert que l’on vient de m’apporter est en plastique."

j’ai revécu ma propre enfance...si comme moi, vous avez du sang italien dans les veines, précipitez vous vers la librairie la plus proche, "la famille italienne" vue par Sybille c’est irrésistible :

"tout le monde se met à parler italien. C’est la première fois que je vois mon papi parler si vite à quelqu’un qu’il ne connait pas, mais qui le comprend. Mamie parle aussi vite.Les policiers comprennent tout. Incroyable ! Encore mieux ! Ils parlent à maman qui leur répond ! (...)Les carabiniers comprennent parfaitement mon papi, parfaitement ma mamie, et parfaitement ma mère. C’est ça leur langue ! je réalise d’un coup. C’est ici leur pays, ma parole ! Je le savais pourtant, mais là je le sais pas pareil. Je regarde mon papi qui est italien, ma mamie qui est italienne. Ma mère qui a une tête d’italienne. C’est pour ça qu’elle a des cheveux tout noirs. C’est pour ça qu’elle a jamais de coup de soleil.(...) Ma mère est complètement différente en italienne, je découvre : elle parle sans faire attention à rien. Elle fait plein de gestes. Comme mamie, comme papi, comme mon parrain ! Ma mère se met à ressembler à mon parrain ! C’est son frère ! Ils viennent tous d’ici. Ils sont chez eux. Oh putain, ça me fout un coup ! Ma mère et moi, on n’est pas du même pays !"

Quel immense talent d’écrivain, c’est écrit simplement, pas une once de fioriture, façon "savoir écrire" un peu trop voyant de tous ces écrivains qui passent leur vie à rentabiliser leurs études de lettres. Non c’est simple, vif ! Sylvie Testud visiblement écrit ses livres comme elle joue la comédie, elle incarne ses personnages...elle est à la fois, scénariste, actrice et metteuse en scène...le tout en revisitant sa propre vie...

mais ce livre n’est pas seulement un bonheur d’écriture, c’est aussi l’histoire d’une gamine et d’un père absent qui s’appelle "Il" et dont on ne parle jamais, raconté par une gamine dont la verve ne parvient pas à masquer la profondeur des sentiments, c’est aussi l’amour de trois soeurs pour leur mère, c’est beau, c’est noble...bouleversant.

"Nous n’en croyons pas nos oreilles. La porte de la chambre de notre mère grince. Un homme va arriver du couloir ? L’inimaginable va se produire ? Pierre passera en comparution immédiate. Chef d’accusation : détournement et embobinage prémédités de notre mère durant un mois avec intention de prolonger le délit. Un homme tout ce qu’il y a de plus homme, tout ce qu’il y a de plus condamnable apparaît dans l’encadrement de la porte. Nouveau chef d’accusation : Pierre est grand. Pierre est baraqué : troisième chef d’accusation. Pierre a les cheveux noirs : circonstance aggravante. Avis personnel du juré que je représente. Il aurait été blond, ça adoucissait mon point de vue. Ses cheveux sont si noirs qu’il me rend immédiatement plus blonde. Mauvais, très mauvais pour lui. Pierre a les yeux noirs et porte la barbe. Un "il" tout ce qu’il y a de plus différent du "IL" dont on ne parle jamais. Nous n’en revenons pas. Notre tribunal est en état de choc. Rien à sauver. Verdict immédiat sans concertation : Coupable."

ce livre est un ravissement que l’on souhaiterait sans fin. A découvrir de toute urgence.

Didier Grouard

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