Afrique : le retrait de MSF, prévu dans certains pays, suscite l’inquiétude

quand MSF ne trouve personne pour prendre le relais de la distribution gratuite des ARV

Publié le 21 décembre 2005 sur OSIBouaké.org

DAKAR, 20 décembre 2005 (PLUSNEWS) - Cinq ans après avoir démarré ses programmes de prise en charge gratuite des personnes vivant avec le sida  , Médecins sans frontières se prépare à passer la main aux Etats, une décision qui inquiète les patients.

L’organisation internationale prend en charge plus de 57 000 personnes, sous traitement antirétroviral (ARV  ), dans 29 pays à travers le monde. Mais selon Médecins sans frontières (MSF  ), certains programmes doivent désormais être gérés par les acteurs locaux et les gouvernements des Etats concernés.

« Lorsqu’ils viennent, ce n’est pas pour rester », a commenté Isaac Tita, un militant camerounais qui participe au projet de traitement antirétroviral (ARV  ) de l’organisation internationale depuis son lancement en 2000 à Yaoundé, la capitale du Cameroun.

Dans ce pays d’Afrique centrale, au coeur de l’épidémie qui ravage le continent africain, MSF   se prépare à remettre son programme de prise en charge du VIH  /SIDA   entre les mains du gouvernement et des acteurs locaux.

Selon M. Tita, cette démarche inquiète les 575 personnes sous ARV  , qui craignent que le secteur de santé publique, déjà submergé, ne puisse les prendre correctement - et gratuitement — en charge.

“Il y a cinq ans, avant que MSF   vienne au Cameroun, les traitements coûtaient 400 dollars par mois. Ils sont maintenant gratuits”, a expliqué Isaac Tita.

Contrairement à MSF  , les autorités demandent aux patients qu’ils contribuent à hauteur de huit dollars par mois à l’achat de leur traitement, qui prolonge leur espérance de vie.

Mais avant octobre 2004, et les 14 millions de dollars de financement du Fonds mondial pour la lutte contre le sida  , la tuberculose et le paludisme, les traitements ARV   coûtaient 34 dollars par mois.

“Quand on démarre ce type de programmes, toujours au sein des structures médicales publiques en ce qui nous concerne, il faut modifier les systèmes nationaux de santé, qui sont très rigides”, a expliqué le docteur Eric Goemaere, responsable de MSF   en Afrique du sud, un programme de prise en charge en partie repris en main par l’Etat.

L’Etat doit avoir les moyens et la volonté politique de soutenir les patients

“Nous, on peut faire ça plus facilement, mais nos ressources sont limitées alors on dit : ‘Prenez les choses en main, pour que l’on puisse aller ailleurs”, a ajouté le docteur.

Il a néanmoins ajouté que MSF   devrait rester encore deux ans en Afrique du sud afin d’achever les recherches en cours, qui portent notamment sur l’épidémie de tuberculose et de VIH  .

Mais en avril 2006, MSF   remettra officiellement la gestion des trois centres de traitement du sida   et des infections opportunistes (dont la tuberculose) situés à Khayelitsha, une commune populaire du Cap, aux autorités du département de la Santé de la province.

MSF   a expliqué avoir préparé son retrait depuis 2004, afin que le gouvernement puisse prendre en charge le traitement des 3 561 personnes sous traitement ARV   à Khayelitsha, malgré un manque criant de ressources humaines dans le secteur de la santé - 20 infirmières et cinq médecins manquent ainsi toujours à l’appel.

Déjà, 12 000 personnes sont sous traitement dans 35 sites de prise en charge dans la province du Western Cape, où se trouve Khayelitsha ; tandis que le Eastern Cape, plus reculé et rural, n’a un taux de réussite que de 50 pour cent, un début en lequel le docteur Goemaere veut croire.

“Nous adaptons les modalités de notre retrait situation par situation, il n’y a rien d’établi”, a expliqué le docteur belge, tout en précisant les critères qui permettent d’évoquer un départ en douceur : des ressources humaines, de l’argent, des médicaments et des infrastructures sanitaires.

Ainsi, ce sont les autorités provinciales de Khayelitsha qui payent, depuis l’année dernière, la majeure partie des salaires du personnel. Le système d’approvisionnement des médicaments est rôdé et fiable et la gestion des centres de santé est assez flexible pour permettre de s’adapter aux contraintes et de corriger les erreurs.

“Cela a été possible parce que c’est l’Afrique du sud et que l’argent n’est pas un problème”, a commenté le docteur Goemaere. Les deux provinces du Cap, dans le sud du pays où se trouve Khayelitsha, ont un taux de réalisation des programmes de prise en charge des personnes vivant avec le sida   de, respectivement, 90 et 50 pour cent.

Mais dans les pays où la situation économique et la volonté politique sont moins fortes, le départ doit se négocier longtemps à l’avance, afin que les autorités aient le temps de se préparer, ont expliqué les responsables de l’organisation médicale d’urgence.

C’est le cas du programme conduit depuis 2004 par MSF   à Lagos, la capitale commerciale du Nigeria, le troisième pays le plus affecté par l’épidémie de VIH   en terme de nombre de personnes vivant avec le virus.

« Si MSF   se retire maintenant, beaucoup de mes frères et sœurs vivant avec le sida   [souffriront] », s’est exclamé un activiste nigérian, “des remarques à ne pas prendre à la légère”, selon des membres de l’équipe de MSF   avec laquelle ce militant travaille au sein de l’hôpital général de Lagos, où 950 patients reçoivent un traitement gratuit.

Pourtant, s’il est prématuré de parler de retrait de MSF   au Nigeria - le programme doit se poursuivre jusqu’à la mi-2007—, il est par-contre tout-à-fait opportun d’évoquer, avec les autorités, ce qui doit être mis en place pour assurer une continuité dans l’offre de service.

“Personne ne parle aujourd’hui de quitter le Nigeria. Mais puisque nous partirons un jour, nous devons préparer l’Etat à cette idée et nous assurer que tout est réuni pour que cela arrive. Cet environnement n’existe pas aujourd’hui”, a expliqué Tobias Luppe, responsable pour MSF   au Nigeria de la campagne universelle d’accès aux médicaments essentiels.

Lancer le débat, provoquer les décisions

Beaucoup de plaidoyer, d’explication et de partage d’expériences sont nécessaires pour convaincre des administrations et des responsables politiques de promouvoir des structures intégrées de prise en charge gratuite, pour les enfants comme pour les adultes.

“Il nous faut aller au-delà de la question médicale, et inviter tous les intervenants à utiliser ce modèle comme un catalyseur”, a ajouté M. Luppe. “Tant que ce n’est pas acquis, il est hors de question de partir et de laisser les patients sans soins gratuits.”

Au Nigeria, ce débat est loin d’être clos

Les patients qui bénéficient du programme public payent 1 000 Nairas (sept dollars) par mois pour obtenir les ARV  , à quoi il faut ajouter le prix des analyses et le traitement des infections opportunistes, soit un coût moyen de 1 000 Nairas par jour, selon MSF   — ce qui condamne une majorité de malades à ne pas avoir accès au traitement, près de 50 pour cent des personnes interrogées vivant avec moins de 36 dollars par mois.

“Il y a un énorme besoin de traitement et un nombre ridicule de personnes qui en bénéficient, mais nous ne voyons aucun signe de bonne volonté de la part des autorités”, a expliqué Tobias Luppe.

Pour MSF  , il est désormais essentiel que les communautés jouent leur rôle. Ainsi, les activistes, de plus en plus organisés, manifestent de plus en plus ouvertement pour obtenir des autorités une prise en charge gratuite.

“Le Nigeria a beaucoup d’argent, c’est le sixième producteur mondial de pétrole !”, a expliqué Tobias Luppe.

“Les grands hôpitaux fonctionnent, et les centres de santé primaire, dans un piètre état, pourraient au moins faire du dépistage et du conseil. Mais c’est aux autorités de faire le prochain pas, c’est de la responsabilité des gouvernements que d’offrir des soins de qualité à leur population.”

Aussi difficile que cela puisse paraître pour MSF  , l’organisation médicale assure qu’elle ne se retirera jamais des situations d’urgence en laissant les personnes sans traitement.

“On ne peut pas envisager que les patients payent leur traitement, c’est éthiquement et économiquement impossible”, a commenté le docteur Goemaere. “MSF   continuera de fournir des traitements ARV   jusqu’à ce qu’on ait trouvé un partenaire fiable à qui remettre ces programmes.”

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