La Fabrique nomade, l’association d’insertion qui valorise les savoir-faire des migrants
Publié le 13 mai 2017 sur OSIBouaké.org
Basta, 5 mai 2017, Samy Archimède , - Poterie, travail du marbre, broderie... Nombreux sont les migrants à ne plus exercer l’activité professionnelle qu’ils pratiquaient autrefois avec brio. Créée à Paris il y a un an, la Fabrique nomade accompagne ces artisans-migrants dans un projet visant à remobiliser les savoir-faire mis de côté dans l’exil. L’association s’est donnée un triple objectif : valoriser leurs compétences, changer le regard que la société d’accueil porte sur eux, et les aider à s’insérer professionnellement.
Au bout de la table, deux mains calleuses arrivent en renfort. A l’aide d’un long outil ressemblant à un scalpel, Yasir fait apparaître les pattes de ce qui sera bientôt une tortue, en dessinant des stries. Puis il colle à l’avant du corps façonné par Emilio une petite boule de terre légèrement modelée, et l’animal prend forme. Les gestes sont précis, la méthode sûre. Ce 1er avril, à l’Institut national des métiers d’art (INMA), à Paris, c’est un réfugié soudanais qui porte le costume du professeur.
Arrivé en France il y a trois ans, Yasir Elamine est potier depuis 22 ans. Emilio, 13 ans, découvre avec son père, Nicolas, et huit autres Français de tous âges, l’art du travail de l’argile. Deux heures plus tôt, un autre atelier, animé par Abou Dubaev, un réfugié tchétchène, était consacré au travail du stuc-marbre. Cette rencontre est organisée par l’association la Fabrique nomade, avec pour objectif de porter un autre regard sur les réfugiés : « Nous voulons montrer que ces personnes sont porteuses de savoir-faire, qu’elles peuvent aussi transmettre, donner et pas seulement recevoir. »
Les germes de la Fabrique nomade ont commencé à pousser il y a un an et demi dans la tête d’Inès Mesmar, sa fondatrice. Au hasard d’une conversation, elle découvre que sa mère avait été brodeuse pendant une dizaine d’années dans la Medina de Tunis, avant d’arriver en France. « Ensuite, elle a totalement abandonné cette activité, à tel point qu’elle n’en a jamais parlé à ses propres enfants, et que j’ai ignoré son métier jusqu’à mes 35 ans », témoigne la jeune franco-tunisienne.
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Les germes de la Fabrique nomade ont commencé à pousser il y a un an et demi dans la tête d’Inès Mesmar, sa fondatrice. Au hasard d’une conversation, elle découvre que sa mère avait été brodeuse pendant une dizaine d’années dans la Medina de Tunis, avant d’arriver en France. « Ensuite, elle a totalement abandonné cette activité, à tel point qu’elle n’en a jamais parlé à ses propres enfants, et que j’ai ignoré son métier jusqu’à mes 35 ans », témoigne la jeune franco-tunisienne.
Quelles difficultés a-t-elle rencontrées pour occulter à ce point tout un pan de son passé ? Inès Mesmar mène son enquête, et se rend compte que sa mère est loin d’être un cas isolé. Elle rencontre Yasir qui « plantait des pommes de terre et des tomates » sur un chantier d’insertion à Rueil-Malmaison, en région parisienne. « Quand j’ai vu les photos des céramiques qu’il faisait lorsqu’il était au Soudan, je lui ai dit "tu as de l’or entre les mains, tu as un vrai savoir-faire et tu dois pouvoir le valoriser". » Au début, le maître-potier reste perplexe : « Ici je n’ai pas le choix, je dois accepter ce qu’on me donne. » Mais la fondatrice de la Fabrique nomade finit par le convaincre.
L’atelier organisé à l’INMA couronne une année de démarchage auprès des institutions afin de donner corps à ce projet : redonner au savoir-faire des migrants vivant en France la place qu’il mérite. Deux autres réfugiés ont emboité le pas de Yasir : Abou Dubaev, staffeur-stucateur et gypsier (travail du plâtre), et Ablaye Mar, brodeur « Cornely » (du nom d’une machine à coudre) sénégalais.
Grâce à une collaboration avec des designers français, une collection appelée « Traits d’union », mettant en valeur les œuvres des trois artisans, est présentée au public ce 1er avril dans un lieu qui symbolise habituellement l’excellence du savoir-faire français. « On fait la preuve par l’objet de la qualité de leur travail. Le problème, pour eux, est qu’il est difficile de démontrer leurs compétences en faisant passer des CV. »
En 2014, le taux de chômage des immigrés non ressortissants de l’Union européenne était de 20,7%, selon l’Insee. Contre 9,1% pour les Français nés en France. Des chiffres sans doute en deçà de la réalité, car ils ne prennent pas en compte les nombreux étrangers n’ayant jamais mis les pieds à Pôle emploi. Au-delà du changement de regard sur les migrants, la Fabrique nomade vise surtout l’insertion professionnelle, à travers trois types d’action : l’accompagnement, la valorisation, et la promotion des artisans.
« Nous les aidons à monter un projet et à se mettre en relation avec les entreprises qui pourraient les employer », précise Inès Mesmar. Cette solution est souvent préférable à la création d’entreprise, qui s’avère plus aléatoire : « Elle est souvent choisie par des personnes confrontées aux discriminations. Pour y échapper, elles créent leur emploi. Mais elles se heurtent rapidement à des difficultés administratives et de gestion, et sont finalement obligées de mettre la clé sous la porte. » Exposition internationale
Depuis octobre 2016, la Fabrique nomade a identifié 25 artisans. « Mais nous avons besoin de moyens pour les accompagner ». Une campagne de financement participatif a été lancée. L’objectif : « Financer les équipements du futur atelier de la Fabrique : les machines, le tour de potier, le four, les machines à coudre… Ces équipements permettront d’évaluer les compétences des artisans, de leur donner les outils nécessaires pour fabriquer des objets. »
En attendant la fin de ce crowdfunding, les créations de Yasir, Abou et Ablaye seront exposées du 10 au 14 mai à la galerie Joseph, à Paris, à l’occasion du festival du Design. « C’est la première fois que des artisans réfugiés seront présentés au même niveau » que des créateurs professionnels français et internationaux, se réjouit Inès Mesmar. Yasir ne manquera pas l’événement. Depuis qu’il a quitté le chantier d’insertion de Rueil-Malmaison et ses champs de pommes de terre, sa vision a changé : « Je suis potier depuis plus de vingt ans. Je ne veux pas arrêter ce métier. »