La circoncision, c’est comme l’excision : les mensonges des intactivistes

ou le complotisme par le petit bout

Publié le 1er décembre 2013 sur OSIBouaké.org

Slate - 31 octobre 2013 - Mark Joseph Stern - Traduit par Jean-Clément Nau -

La circoncision, c’est une mutilation. Un homme circoncis ne ressent plus de plaisir. Les parents mutilent leurs garçons et violent leurs droits humains. Cela ne réduit pas les risques de contracter le sida  ... Voilà quelques-uns des arguments, faux, des anti-circoncision.

Il existe bel et bien des informations factuelles sur la circoncision –mais vous ne les trouverez pas facilement sur Internet. Aux Etats-Unis, les parents qui souhaitent se renseigner sur ses avantages et ses risques sont moins susceptibles de tomber sur le site des Centers for Disease Control and Prevention[1] que sur celui d’Intact America, qui confronte ses visiteurs à un nourrisson hurlant et ensanglanté –et qui exige que les hôpitaux « cessent de mener des expériences sur les bébés de sexe masculin ». Il suffit d’une simple recherche sur Google pour tomber sur Circumcision Complex, site selon lequel la circoncision entraîne un complexe d’Œdipe et de castration –sans parler de la supposée brutalité physiologique de l’acte. Et si vous parvenez à trouver l’un des rares articles raisonnables et bien informés sur la circoncision, vous serez assailli par une foule de commentaires assassins accusant l’auteur d’encourager la « mutilation génitale ».

Comment les choses en sont-elles arrivées là ? La circoncision était autrefois une décision privée, encouragée par de nombreux médecins, pratiquée par la plupart des familles (en Amérique, tout du moins), mais dont on parlait peu dans la sphère publique. Mais depuis deux décennies, un groupe marginal de militants (qui se font appeler « intactivistes ») détourne le débat, écarte les arguments scientifiques, envoie balader la raison et lance d’atrabilaires accusations contre quiconque ose remettre en question leur théorie du complot.

Pour les médecins, la circoncision demeure une question délicate et complexe ; pour les chercheurs, c’est un outil efficace dans leur combat pour la santé publique mondiale. Mais pour les intactivistes, rien de tout cela n’a d’importance. Internet est censé être un espace permettant d’échanger des idées, un espace où la raison humaine permet aux meilleures idées de prendre leur essor. Nombre de groupes marginaux forts en gueule répandent de fausses informations aux quatre coins de la toile, mais aucun d’entre eux n’égale la capacité des intactivistes à noyer les arguments raisonnables.

Une tactique bien rodée

Pour tout ce qui touche à la circoncision, le marché des idées est désormais manipulé, et « grâce » aux intactivistes, les idées les plus néfastes ont pris le dessus. Par ailleurs, leur obsession pour le sexe est si omniprésente qu’elle en est inquiétante.

Reste que leur stratégie est parfois astucieuse.

La première règle des militants anti-circoncision ? Ne jamais jamais ! – prononcer le mot « circoncision ». Le mouvement préfère employer des termes de propagande, comme « excision génitale masculine » et « mutilation génitale », qui évoquent l’odieuse pratique de la mutilation génitale féminine. Les intactivistes aiment à prétendre que la circoncision et l’excision sont équivalentes –un mensonge pur et simple qui insulte les victimes des mutilations génitales féminines.

Les militants anti-circoncision mènent un double assaut contre deux faiblesses humaines particulièrement tenaces : le manque d’assurance sexuelle et le ressentiment de l’enfant pour ses parents.

Les intactivistes vous expliquent que vos parents vous ont mutilé lorsque vous étiez un nourrisson sans défense, qu’ils ont violé vos droits humains et votre intégrité physique. Qu’ils ont détruit la partie la plus importante de votre pénis sans votre consentement –décision qui vous prive d’une grande partie de votre plaisir sexuel et qui vous condamne à vivre (tant bien que mal) avec un membre mutilé pour le restant de vos jours. Les militants anti-circoncision vouent une adoration quasi religieuse aux pouvoirs mythiques du prépuce, auquel ils attribuent la majorité du plaisir que procure l’acte sexuel. A les entendre, votre prépuce tant regretté aurait pu vous procurer moult joies et satisfactions. Sans lui, vous seriez condamné à une existence sans plaisir, sans saveur –et peut-être même sans sexe.

C’est grâce à leur ténacité –et à elle seule– que les intactivistes sont aujourd’hui reconnus et que leur cause est approuvée par une partie du grand public. Leur stratégie la plus efficace ? L’omniprésence. C’est elle qui conduit le néophyte à penser que leurs étranges obsessions sont communément partagées.

Il suffit de faire un tour sur la section « commentaires » de n’importe quel article parlant de circoncision pour comprendre.

Lorsque Troy Patterson, journaliste à Slate.com, a consacré un papier des plus sérieux aux avantages et aux inconvénients de la circoncision, on l’a immédiatement accusé de soutenir la « pratique barbare » de la « mutilation », qui « devrait être illégale ». Une chronique « Dear Prudence » bon enfant a connu le même sort. Sur Amazon, les intactivistes ont fait plonger la note d’un livre consacré au sida   (qui mentionnait la circoncision parmi les mesures préventives efficaces).

Allez sur n’importe quel forum en ligne, et vous les verrez colporter ces mêmes idées (présentées comme des vérités inattaquables) : la circoncision est une amputation, une forme de maltraitance brutale, cruelle et abjecte. Elle endommage le pénis et viole les droits humains. Elle gâche –indéniablement et irrévocablement– la sexualité de l’homme pour le reste de son existence.

La faille de ces arguments ? Soit ils sont créés de toutes pièces, soit ils ont déjà été réfutés en long et en large. Les pierres angulaires de l’argumentaire intactiviste ne reposent pas sur la réalité ou sur la science, mais sur des sophismes diaboliquement efficaces, simple « sagesse » populaire érigée en raisonnement logique. Dès lors, il est souvent difficile de dénicher des informations factuelles sur une Toile regorgeant d’arguments spécieux. La chose est toutefois possible. Et ces informations prouvent que malgré la domination numérique des intactivistes, le consensus réel –fondé sur des faits– penche dans l’autre direction.

Alors, le sexe est moins bon ?

Prenons l’exemple de leur principal cri de ralliement, selon lequel la circoncision réduirait sérieusement la sensibilité du pénis –et, par conséquent, le plaisir sexuel.

De nombreuses études ont prouvé qu’il n’en est rien. Certains hommes circoncis à l’âge adulte ont même dit avoir gagné en sensibilité ; de nombreux autres ne font état d’aucune différence notable. Aucun ou presque n’a affirmé avoir perdu en sensibilité. Les hommes circoncis à l’âge adulte ne font par ailleurs état d’aucune perte de plaisir sexuel après l’intervention. Ce qui correspond à ce qu’a rapporté ma collègue Emily Bazelon il y a quelques années lorsqu’elle a demandé à ses lecteurs circoncis de témoigner sur ce sujet. Sous l’effet d’une stimulation érotique, la sensibilité génitale est identique chez les hommes circoncis et non-circoncis.

Les témoignages individuels ne vous suffisent pas ? Une analyse méthodique de l’ensemble des données disponibles sur la circoncision est parvenue aux mêmes conclusions. Les intactivistes ne se contentent pas de contester les conclusions d’une poignée d’études peu crédibles : ils s’en prennent à un domaine de recherche dans son ensemble.

Voilà pour les effets « dévastateurs » de la circoncision sur le plaisir sexuel. Mais qu’en est-il de son impact sur la santé ?

Les intactivistes aiment à prétendre que la circoncision est « inutile sur le plan médical ». En réalité, elle demeure une mesure préventive des plus efficaces contre les maladies aux quatre coins du globe. La circoncision réduit les risques d’infection par le VIH   d’environ 60% à 70% chez les hommes hétérosexuels, et réduit les risques de contracter le VIH   tout au long de la vie d’un homme (à la différence des préservatifs, qui doivent être utilisés lors de chaque rapport sexuel). Rien d’étonnant, donc, à ce que l’Organisation mondiale de la Santé défende la pratique de la circoncision en tant qu’arme de choix dans la lutte contre l’épidémie d’infections par le VIH  .

Mais là n’est pas le seul avantage de la circoncision. Elle peut aussi protéger les hommes contre plusieurs MST, réduisant par exemple les risques de contracter l’herpès et la syphilis. Par ailleurs, la circoncision est une mesure de prévention particulièrement efficace contre la transmission du VPH chez les hommes, réduisant par là même les risques de développer un cancer du pénis. Les hommes circoncis sont par ailleurs beaucoup moins susceptibles de contracter des verrues génitales ou de développer des infections des voies urinaires.

Moins de circoncision signifierait plus de MST et d’infections – soit plusieurs milliards de dollars de plus en dépenses de santé.

Comment faire barrage aux mensonges ?

Sur le plan personnel comme sur celui de la santé publique, la circoncision est donc clairement avantageuse pour tout homme. Mais comme on pouvait s’y attendre, les intactivistes ne s’avouent pas vaincus. A l’image des théoriciens du complot qui peuplent les organisations anti-vaccins, les militants anti-circoncision rejettent toute conclusion scientifique s’opposant à leur doctrine faite de colère et de victimisation. La circoncision peut-elle vraiment prévenir la transmission du VIH   ? Probablement pas, disent-ils –mais même si elle le pouvait, elle augmenterait les risques en amenant hommes et femmes à baisser leur garde face à la maladie ! C’est complètement faux, mais ils s’en contrefichent. A les en croire, les taux de complication de la circoncision sont si élevés que ses avantages sont inévitablement rattrapés par ses inconvénients. Pur mensonge, là encore. Au final, pour un intactiviste, une mutilation reste une mutilation ; qu’importe sa contribution au bien commun !

Pour l’heure, l’assaut idéologique de ces militants s’avère essentiellement –mais pas entièrement– inefficace. Les mouvements cherchant à faire interdire la circoncision au niveau municipal se sont sabordés à force de bizzarerie ; en Allemagne, une mesure anti-circoncision a été annulée par les députés.

Mais sur Internet, c’est une autre histoire. Une génération de futurs médecins, de futurs scientifiques et de futurs parents a été exposée à un flux ininterrompu de mensonges hargneux et d’arguments non scientifiques. On a expliqué à des hommes du monde entier que leurs parents avaient mutilé leurs parties génitales ; qu’ils avaient gâché leur vie sexuelle. Certains tentent même de réparer les « dégâts », et ce n’est pas gratuit. La sagesse populaire intègre peu à peu l’idée selon laquelle la circoncision peut avoir des effets positifs sur la santé –mais négatifs sur la vie sexuelle. En somme, les intactivistes sont en train de remporter la bataille numérique. Finiront-ils par vaincre sur tous les tableaux[2] ?


[1] Il s’agit de la principale agence gouvernementale américaine en matière de protection de la santé publique et de sécurité publique. Retourner à l’article

[2] Cet article a été originellement publié sur Slate.com en septembre 2013, donc avant la résolution du Conseil de l’Europe définissant la circoncision des garçons pour motifs religieux, « non médicalement justifiée », comme une « violation de l’intégrité physique ». Une résolution condamnée par Israël. Et comme les mêmes termes reviennent toujours à ce sujet, la rapporteure du texte à l’APCE, la sociale-démocrate allemande Marlene Rupprecht, a tenu à souligner que la résolution n’établissait aucun « parallèle » ou « comparaison » entre la circoncision et les mutilations génitales féminines, rappelait Le Monde. Retourner à l’article

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