Sur la trace des biens de Teodorin Obiang

Enquêtes sur l’enrichissement des chefs d’Etat africains

Publié le 19 mars 2013 sur OSIBouaké.org

Libération - 28 février 2013 - Par Violette Lazard -

L’homme de confiance du fils du président de Guinée-Equatoriale mis en examen dans l’affaire des biens mal acquis s’est ouvert aux policiers.

Le fils du président de Guinée-Equatoriale ne peut plus mettre un pied en France, sous peine d’être interpellé. Teodore Obiang, 41 ans, officiellement ministre de l’Agriculture mais plus connu pour son train de vie outrancier et ses folies dépensières, n’a plus de logement depuis que son ubuesque domicile parisien du 42, avenue Foch a été perquisitionné et vidé il y a un an. Et depuis fin décembre, dans le cadre de l’enquête sur les biens mal acquis (lire page ci-contre), les juges s’intéressent aux hommes de confiance d’Obiang fils, dit « Teodorin » ou « Teododorino » pour le différencier de son père.

D’après nos informations, le 19 décembre, l’un de ses principaux relais français, Mourad B., 46 ans, a été mis en examen pour complicité de blanchiment d’abus de biens sociaux ou d’abus de confiance. Entendu deux jours par les enquêteurs de l’Office central de répression de la grande délinquance financière, Mourad B. est une pièce majeure dans l’enquête. Toujours employé aujourd’hui par « son excellence » comme chauffeur, et qu’importe si les onze Ferrari et Bugatti ont été saisies il y a un an et demi par la justice, Mourad B. est surtout depuis 2005 son « homme à tout faire » et « le patron de fait » de l’avenue Foch selon les autres employés. Et il a décidé de parler aux enquêteurs.

Immunité. Où sont passés, par exemple, les tableaux de maître et la collection Michael Jackson acquis par Obiang, s’interrogent les policiers ? Lors de la perquisition historique de l’avenue Foch - elle avait duré dix jours - ces objets étaient restés introuvables dans le palais démentiel équipé d’une salle de jeux « type Las Vegas » ou encore d’une boîte de nuit aux pavés fluos et lumineux. S’agissant des pièces de la vente Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, lors de laquelle Obiang junior avait dépensé plus de 20 millions d’euros, Mourad B. confirme aux policiers « que cette collection a bien été livrée au 42, avenue Foch et qu’elle y est restée jusqu’à la date de [leurs] premières opérations en septembre 2011 ».

A cette date, la police avait saisi les voitures de luxe et Obiang avait décidé de se séparer de certains biens. « La collection a été transportée dans la Mercedes Viano de l’ambassade », détaille Mourad. Elle [la collection, ndlr] est à la résidence de l’ambassadeur, avenue des Ternes » dans le XVIIe arrondissement de Paris, poursuit-il. Idem pour les tableaux de maîtres dont un pastel de Degas, Trois Danseuses avant l’exercice, acquis pour 5,6 millions d’euros en avril 2008 grâce à un virement d’un compte de la présidence de la République guinéo-équatorienne d’après les enquêteurs. Ils étaient accrochés dans le « salon or et bleu », se souvient Mourad B. Ils sont aujourd’hui protégés par l’immunité diplomatique de l’ambassade. Concernant les pièces de la collection Michael Jackson, achetées par Obiang aux Etats-Unis pour plus d’un million de dollars (plus de 750 000 euros) lors d’une vente en 2009 et dont les enquêteurs s’étonnent d’avoir trouvé « très peu d’objets », Mourad sèche : « Je ne sais pas actuellement où elle se trouve. » Le gant blanc couvert de cristaux de la tournée « Bad Tour » manque notamment à l’appel. D’après certaines sources, il aurait pu être saisi dans la villa qu’Obiang possède à Malibu (Californie) depuis que la justice américaine s’intéresse également à lui.

Autre sujet de préoccupation : la société Foch service, coquille vide par laquelle transitaient les millions d’euros destinés à assurer le train de vie du fils prodigue. Pendant quelques mois, Mourad B. en a été le gérant et a assisté aux valses de billets et de virements en provenance de Guinée. D’après les enquêteurs, qui ont saisi les relevés bancaires de la société, 2, 8 millions ont été versés à Foch Service entre juin 2007 et mars 2011 par Somagui Forestal. Cette société guinéenne est chargée de l’exploitation du bois précieux qui représente avec le pétrole l’une des principales richesses du pays. Teodorin Obiang ne s’est donc pas contenté de son salaire officiel (3 300 euros par mois). « Confirmez-vous savoir que les fonds servant à régler Foch service provenaient d’une société guinéenne d’exploitation de bois Somagui ? » demandent les enquêteurs. Mourad B. acquiesce. Oui, l’argent servait à payer les grands couturiers, les employés, les filles et toutes autres envies délirantes du patron. Mais Mourad n’a jamais posé de question, jamais cherché à savoir d’où venaient les liasses de billets transportés par Obiang dans des petites « mallettes Louis Vuitton ». Sur les livres de comptes saisis, les enquêteurs ont pourtant retrouvé des traces de ces dépenses en cash : 24 000 euros pour régler les indemnités de départ de deux cuisiniers, 30 000 euros utilisés comme « nouvelle trésorerie » pour régler les frais de fonctionnement de l’avenue Foch entre le 23 et 27 juillet 2007, 400 000 euros, en août 2009, pour régler les « petites factures en attente » de l’immeuble de 6 étages et 6 000 m2. Mourad B. en rajoute même. « Je l’ai vu lors de sorties de discothèques jeter des billets »,affirme celui qui a accompagné son patron au carnaval de Rio et lors d’une croisière en yacht dans les Bahamas. Entre 2007 et 2011, d’après ce fidèle, « la somme de 20 millions est facilement atteinte » pour quelques semaines par an dans la capitale. Les enquêteurs rebondissent. « Officiellement, ses seuls revenus concernent sa fonction de ministre de l’Agriculture de Guinée-Equatoriale ? Qu’en pensez-vous ? » « Cela n’a rien à voir avec son train de vie, juge Mourad, je ne suis pas sûr que cet argent provienne de toutes ses sociétés. »

Yacht. Les enquêteurs cherchent également la trace d’un yacht, qu’Obiang fils aurait voulu acquérir en 2008. « Il était sur le point d’en construire un, mais cela n’a pas marché », se souvient Mourad. Le patron d’une société de location de yachts à Monaco, entendu en mai, confirme avoir joué l’intermédiaire entre Obiang et des entreprises de construction de bateaux de luxe pour un projet estimé « entre 200 et 300 millions d’euros ». « Il changeait souvent d’avis, notamment sur la longueur du bateau, de la piste d’hélicoptère »,confirme le gérant britannique. L’ Express avait révélé en octobre que le fils du président, loin d’être échaudé par les procédures judiciaires en cours, cherchait à acquérir l’un des plus grands yachts du monde mis en vente par la famille royale d’Arabie Saoudite. « C’est n’importe quoi, affirme l’avocat français d’Obiang fils, Emmanuel Marsigny. Il n’a pas de yacht. » Quid des millions dépensés en France ? « Il s’agit de son argent, gagné grâce à des concessions forestières. La société Somagui n’a rien à voir avec de l’argent public. »

Et si Obiang fils n’a pas répondu aux deux convocations des juges français, ce qui lui vaut aujourd’hui un mandat d’arrêt international, c’est pour des raisons de « respect du droit international ». « Il est vice-président et bénéficie de l’immunité »,argumente Me Marsigny. Une « immunité de convenance »,d’après Maud Perdriel, déléguée de l’ONG Sherpa à l’origine des plaintes sur les biens mal acquis et qui rappelle qu’Obiang fils a été bombardé vice-président de son pays suite à ses déboires avec la justice.


La raison d’Etat dessaisie

Libération - 28 février 2013 - Par Thomas Hofnung et Violette Lazard -

Depuis l’élection de Hollande, les juges disposent de moyens accrus pour enquêter sur l’enrichissement des chefs d’Etat africains.

Pour l’avocat William Bourdon, fondateur de l’association anticorruption Sherpa, « l’année 2013 sera celle des familles Sassou et Bongo ». Après avoir ciblé principalement celle du président de Guinée-Equatoriale, Teodoro Obiang Nguema (lire ci-contre), l’enquête dite des biens mal acquis a pris un tour nouveau à la mi-février. Plusieurs perquisitions ont été effectuées en région parisienne et dans le sud de la France, dans des propriétés appartenant aux proches des dirigeants congolais et gabonais, Denis Sassou-Nguesso et feu Omar Bongo Ondimba (mort en 2009). Des comptes bancaires ont également été saisis.

Bras de fer. Depuis 2010, ces trois chefs d’Etat africains et leurs proches font l’objet d’une enquête diligentée par les juges Roger Le Loire et René Grouman pour détournement de fonds présumé et blanchiment. Après le bras de fer judiciaire durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le parquet s’opposant systématiquement à des poursuites, la section française de Transparency International a fini par obtenir gain de cause en novembre 2010 devant la Cour de cassation. Le droit de l’association à se constituer partie civile a été reconnu, ouvrant la voie à une enquête inédite au niveau mondial sur les biens mobiliers et immobiliers acquis dans des conditions douteuses par des dirigeants étrangers.

Aussitôt élu à l’Elysée, François Hollande avait d’emblée annoncé la couleur au gouvernement : pas question de freiner les investigations, déjà bien engagées, au nom de la raison d’Etat. Lors d’un déplacement à Dakar, en octobre, le successeur de Nicolas Sarkozy l’a répété, publiquement cette fois. Et s’il a reçu à l’Elysée son homologue gabonais, Ali Bongo (fils d’Omar), les numéros 1 congolais et équato-guinéen sont « blacklistés » à Paris. François Hollande et Denis Sassou-Nguesso ne se sont vus qu’une fois, à Kinshasa (RD Congo), en marge du sommet de la Francophonie cet automne. Depuis peu, les magistrats disposent de moyens accrus pour mener à bien leurs investigations : ils ont ainsi obtenu la nomination d’un second officier de police dédié à plein temps à cette affaire.

La perquisition qui a eu lieu dans une villa à Neuilly-sur-Seine appartenant à l’une des filles de Sassou-Nguesso a suscité une très forte inquiétude à Brazzaville : le président congolais a aussitôt dépêché à Paris l’un de ses hommes de confiance, Jean-Dominique Okemba, rapporte la Lettre du continent. Ce dernier, qui avait été décoré de la Légion d’honneur, en février 2011, par Nicolas Sarkozy, aurait été chargé de mesurer l’étendue des dégâts et, peut-être, d’anticiper les prochains coups de boutoir que ne manqueront pas d’asséner des deux juges français.

« Prête-noms ». Le 6 février dernier, les magistrats ont demandé un réquisitoire supplétif pour élargir leur enquête aux années 2010 et 2011. Selon un rapport de police, que Libération s’est procuré, « les acquisitions mobilières et immobilières des membres ou proches des familles Nguema Obiang, Sassou-Nguesso et Bongo ont perduré via des prête-noms jusqu’à la fin 2011 ». Et de citer l’exemple de la société de transport Franck Export qui, agissant « comme une véritable banque », a réglé des factures « pour le compte de membres de la famille Sassou-Nguesso ».


Le Gabon dément qu’Ali Bongo détienne des biens en France

Libération - 8 mars 2013

L’enquête sur les « biens mal acquis » de dirigeants africains en France avait été relancée en février par des perquisitions à Paris et dans le sud de la France.

Le président gabonais Ali Bongo Ondimba « ne possède pas de biens à titre personnel en France », a affirmé la présidence vendredi, à propos de l’enquête de la justice française sur les présumés « bien mal acquis » par son défunt père Omar Bongo (décédé en 2009) ou son entourage.

« Le président l’a répété à plusieurs reprises, il ne possède pas de biens à titre personnel en France. Maintenant, si c’est un délit de patronyme, la France inventerait un nouveau délit dans le code pénal », a ironisé le porte-parole de la présidence gabonaise, Alain Claude Bilié By Nzé, au cours d’un point presse à Libreville. A la mi-février, plusieurs perquisitions avaient été menées dans des domiciles appartenant à la famille Bongo à Paris et dans le sud de la France, dans le cadre de l’enquête sur les « biens mal acquis ».

Deux juges parisiens enquêtent sur les conditions dans lesquelles un très important patrimoine immobilier et mobilier a été acquis en France par l’ancien président gabonais Omar Bongo, le président congolais Denis Sassou Nguesso, le président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang et certains de leurs proches. Les ONG Sherpa et Transparence International France sont à l’origine de la plainte qui a déclenché cette triple enquête.

« Six garages et 33 propriétés »

Selon un document sur les « biens mal acquis » publié en 2009 par Transparence International France, la famille Bongo et ses proches possèdent en France « outre six garages, 33 propriétés, la plupart dans les quartiers les plus chics de Paris, les autres sur la Côte d’Azur ».

« Pourquoi certains dirigeants sont-ils visés et pas d’autres ? (...) Pourquoi y aurait-il des sortes de chevaliers blancs de la lutte contre la corruption s’agissant de l’Afrique, il a tellement de dossiers, vous savez, en France... », a critiqué Alain Claude Bilié By Nzé. Il a alors cité l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris (pour laquelle l’ancien président Jacques Chirac avait été condamné en 2011 à deux ans de prison avec sursis) ou encore l’affaire Karachi, sur un éventuel financement occulte de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995.

Il a rappelé que seul « un Gabonais s’est plaint (dans cette affaire des biens mal acquis, ndlr) et a joint sa plainte à deux associations françaises, Survie et Sherpa ». « Au nom de qui la justice française rend-elle son droit, au nom du peuple gabonais ou du peuple français ? (...) Il serait bon que chacun balaie devant sa porte », a insisté le porte-parole. « Nous sommes prêts à répondre devant les juridictions compétentes des actes délictueux qui auraient pu être commis, mais il faut que cela concerne tout le monde », a indiqué le porte-parole.

imprimer

retour au site