Rebelle ou le drame des enfants soldats

Film de Kim Nguyen

Publié le 10 décembre 2012 sur OSIBouaké.org

Slate - 26/11/2012 - par Stéphanie Trouillard -

Pour son quatrième film, le réalisateur québécois Kim Nguyen a choisi de traiter de la triste réalité des enfants soldats. Dans une fiction, qui mêle violences et contes fantastiques, une jeune africaine raconte sa survie au sein d’un groupe de rebelles.

Rebelle © Tous droits réservés

« Un jour, tu vas sortir de mon ventre, alors faut que je commence à te dire comment je suis devenue soldat avec les rebelles. Ecoute bien quand je te raconte mon histoire, parce que c’est important que tu comprennes c’est quoi la vie de ta maman avant que tu ne sortes de mon ventre. Car quand tu vas sortir, je ne sais pas si le bon Dieu va me donner assez la force pour t’aimer ».

C’est par ces mots que Komona débute le récit de sa vie. À tout juste 14 ans, elle a déjà connu un concentré du pire de l’humanité. Battue, violée, l’adolescente ne veut pas cacher à son future bébé son parcours d’enfant soldat. Kalachnikov à la main, elle est forcée à tuer ses propres parents avant d’être enlevée par un groupe de rebelles.

De combats en combats, elle s’accroche à son arme et à un jeune compagnon d’infortune pour fuir la douleur. Dans la jungle, elle se drogue pour oublier la mort. Un récit puissant où s’entremêlent violences à l’état brut, actes de sorcelleries, scènes fantastiques et instants de grâce remplis d’amour.

La force d’une tragédie grecque

Rebelle a été imaginée par le metteur en scène québécois Kim Nguyen. Au hasard d’une lecture sur Internet, il est ému par l’histoire vraie de deux jumeaux birmans, Johnny et Luther Htoo. Deux enfants devenus des icônes sacrés pour les membres d’une guérilla appelée « Armée de dieu ».

« Ce que j’ai trouvé fascinant en temps que réalisateur, c’est la force dramatique de cette histoire. Ces enfants de neuf ans qui fument des cigares et qui se font transporter sur le dos d’un garde du corps. C’est quelque chose de très moderne mais qui a la force d’une tragédie grecque », raconte Kim Nguyen, interrogé par Slate Afrique.

Le réalisateur débute alors des recherches et écrit un scénario sur les enfants soldats, un sujet jusqu’à présent peu traité par le cinéma, à l’exception de Johnny Mad Dog. Il se rend au Burundi, au Cameroun ou encore au Kenya, mais c’est finalement en République démocratique du Congo qu’il décide de filmer ce long-métrage, le quatrième de sa carrière. Même si dans Rebelle, aucun pays n’est cité, on reconnait sur les murs les portraits de la figure de l’indépendance congolaise Patrice Lumumba et les vestiges d’une cité interdite construite par l’ancien dirigeant de la RDC, Mobutu Sese Seko :

« Le film demandait cette espèce d’irrationalité. Les paradoxes sont fous au Congo. Nulle part ailleurs, on ne pouvait trouver cette démesure ».

Un tournage risqué dans un pays qui vit depuis des décennies au rythme des conflits. Malgré des annonces à la télévision et à la radio pour prévenir des coups de feu, l’équipe a eu quelques frayeurs. « C’était lors d’une scène particulièrement bruyante où on vidait 30 chargeurs de kalachnikovs. Ils ont envoyé l’armée sur nous, une dizaine de véhicules avec des lances roquettes et une cinquantaine de soldats avec de vrais armes. Le régisseur s’est mis en travers de la route pour dire que nous étions des Canadiens ! », se souvient désormais en rigolant le réalisateur.

De la rue à l’Ours d’argent

Des décors congolais, mais aussi des acteurs du pays. C’est dans un casting préalablement réalisé pour un documentaire sur les enfants des rues de Kinshasha, que Rachel Mwanza a été repérée parmi 3000 autres candidats. La jeune fille, qui interprète le rôle de Komona, est époustouflante de vérité. Le regard intense, l’émotion à fleur de peau, elle vit les drames de cette enfant soldat avec une incroyable justesse. Pour le réalisateur, le film n’aurait tout simplement pas pu exister sans elle :

« Elle était irremplaçable. Elle a fait appel à son passé pour chercher les émotions. C’est instinctif. Elle me disait qu’elle pensait à sa mère pour se rendre triste ».

Le jeu de cette adolescente, abandonnée il y a six ans par ses parents et qui survivait jusque là dans les rues de la capitale de la RDC, a aussi impressionné le jury du Festival de Berlin. En février dernier, Rachel a reçu un ours d’argent de la meilleure actrice des mains du célèbre acteur américain Jake Gyllenhaal.

« Souvent des comédiens sont insultés quand une jeune enfant gagne un prix de la meilleure interprétation, mais je pense qu’à la fin c’est le résultat qui compte. Peu importe si c’est un comédien de métier ou en enfant de la rue, l’important c’est que son bagage colle au rôle », estime Kim Nguyen.

Depuis le tournage, de récompense en récompense, la Congolaise a beaucoup voyagé. Analphabète et ne s’exprimant qu’en lingala, elle suit aussi désormais des cours de français à Kinshasa grâce à l’aide d’un tuteur. Après cette expérience cinématographique, Rachel aimerait continuer dans le métier.

« Oui, mais c’est une adolescente typique. Elle ne veut pas être que comédienne, elle veut être une star ! Elle compense peut-être le peu d’attention qu’elle a eu dans sa jeunesse », constate Kim qui préfère modérer les attentes de la jeune fille. « Je crois qu’il faut faire face à la réalité. Tant qu’elle ne peut pas lire un scénario de façon approfondie, je pense que le chemin est encore long avant qu’elle ne décroche un autre rôle ».

Rachel pourrait en tout cas vivre très bientôt une nouvelle page de ce conte de fée. Rebelle a été choisi pour représenter le Canada aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. Déjà habitué des prix, Kim Nguyen espère que son long-métrage sur les enfants soldats va aussi toucher Hollywood :

« J’aime cette citation du Che : "Soyons réaliste, demandons l’impossible !". Je me plie au jeu. On fait beaucoup de représentation à Los Angeles pour faire connaître le film. On gravit lentement les échelons. Je peux dire de façon réaliste qu’on est dans le premier tiers, mais on ne sait jamais comment cela va se passer ».

Oscar ou pas, Rebelle a de toute façon bouleversé le quotidien de la petite Rachel : « Sa qualité de vie est aujourd’hui 1000% meilleure qu’avant le tournage. Elle devait fouiller les poubelles pour manger », précise le réalisateur. Des trottoirs de Kinshasa, au tapis rouge des festivals, l’enfant des rues est devenue une étoile.

Sortie le 28 novembre sur les écrans français.


Amnesty International soutient le film Rebelle en salle le 28 novembre

Amnesty International France - 30/10/2012 -

Le film Rebelle, à l’affiche à partir du 28 novembre 2012, dénonce l’utilisation des enfants soldats et dès lors pose la question des transferts irresponsables d’armes. C’est pourquoi l’organisation soutient ce film poignant de réalité au moment même où les Nations unies ont décidé le 7 novembre de convoquer une nouvelle et dernière conférence de négociation en vue de l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes classiques, du 18 au 28 mars 2013.

Rebelle se déroule en Afrique subsaharienne au XXIe siècle. Komona (Rachel Mwanza) est une jeune fille qui raconte à l’enfant qui grandit dans son ventre l’histoire de sa vie lorsqu’à treize ans elle a été enrôlée de force comme enfant soldat au côté des guerriers rebelles d’un pays d’Afrique Centrale. Sur sa route, elle encontre Le Magicien (Serge Kanyinda), un garçon de quinze ans qui décide de la prendre sous son aile et de l’épouser. Cette fable inspirée de faits réels met en exergue la situation de violence extrême dans laquelle se trouvent les enfants soldats. Komona incarne la force et la volonté d’une fille soldat qui essaie de s’en sortir et de vaincre ses démons créés par les souffrances qu’elle a pu vivre.

Au niveau mondial, ce sont des centaines de milliers d’enfants de moins de dix-huit ans qui sont impliqués dans des conflits armés, soit au sein des forces régulières de leur pays, soit en tant que membres de groupes armés, d’unités paramilitaires ou de milices, entre autres. Nombre d’entre eux ont été enlevés alors qu’ils étaient à l’école, dans la rue ou chez eux. D’autres s’engagent « volontairement », souvent parce qu’ils ne voient guère d’autres solutions. Filles et garçons participent au combat. Beaucoup sont tués ou blessés. D’autres servent d’espions, de messagers, de porteurs, de domestiques, de poseurs de mines ou de démineurs.

Les filles risquent tout particulièrement d’être violées et soumises à d’autres formes de violence sexuelle. Ces jeunes sont spoliés de leur enfance. Ils sont exposés à de terribles dangers, ainsi qu’à de profondes souffrances physiques et psychologiques. Amnesty International considère le combat contre l’utilisation des enfants soldats comme primordial parce c’est avant tout une lutte pour les droits humains, et plus particulièrement pour les droits de l’enfant.

C’est pourquoi avec plusieurs ONG elle fonde en 1998 la Coalition internationale pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats. L’objectif de la Coalition était l’adoption d’un Protocole additionnel à la Convention relative aux droits de l’enfant interdisant toute forme de recrutement et toute forme de participation des enfants aux conflits. Le Protocole a été adopté le 25 mai 2000 par l’Assemblée générale des Nations unies et est entrée en vigueur en 2002.

Pour lutter contre le phénomène des enfants soldats, il existe de nombreuses solutions comme le fait de lutter contre l’impunité en obtenant la poursuite des responsables de recrutement d’enfants soldats ou encore en agissant en vue de l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes classiques. Aujourd’hui, il est reconnu que la disponibilité des armes légères et de petit calibre aggrave l’impact des conflits sur les enfants. Actuellement, il n’existe aucune réglementation au niveau international sur le commerce des armes – il existe quelques instruments au niveau régional et notamment européen. Le commerce des bananes est plus contrôlé que celui des armes ! C’est pourquoi, depuis les années 1990, Amnesty International milite en faveur d’un traité international sur le commerce des armes classiques.

Parallèlement, Amnesty International mène une campagne en faveur de la justice internationale. Lancée en 2010, elle durera jusqu’en 2016. Au centre de celle-ci figure le soutien à la justice pénale internationale et à la poursuite des crimes de guerre comme le recrutement et l’utilisation d’enfants-soldats que ce soit au niveau international ou national. En mars 2012, la Cour pénale internationale a prononcé sa première condamnation contre Thomas Lubanga Dyilo pour l’enrôlement et la conscription de mineurs de moins de 15 ans (ce qui constitue un crime de guerre), en République démocratique du Congo (RDC) entre 2002 et 2003.

Pour en savoir plus :

  • Le chanteur de hip-hop Emmanuel Jal ancien enfant soldat au Soudan s’engage pour un traité sur le commerce des armes

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