L’accès aux génériques : enjeux actuels et propriété intellectuelle

Le point des enjeux, par Gaëlle Krikorian de AIDES

Publié le 4 octobre 2005 sur OSIBouaké.org

17 millions de personnes meurent chaque année de maladies infectieuses et contagieuses faute de pouvoir accéder à des traitements efficaces. 95 % d’entre elles vivent dans des pays en développement. Sur les 40 millions de personnes atteintes du sida   dans le monde, 6 millions sont aujourd’hui dans un état de santé qui nécessite une mise sous antirétroviraux immédiate. Seuls 7 à 12 % d’entre elles ont accès à ces médicaments. En outre, le nombre de personnes qui doivent modifier leur régime thérapeutique parce que leur virus devient résistant au traitement de première ligne augmente régulièrement. Or, un traitement antirétroviral de seconde ligne revient dans le meilleur des cas à entre 1 200 et 2 000 $US par patient et par an. Plus les traitements sont récents plus ils sont chers, et ce qui est valable pour les antirétroviraux, l’est aussi pour les médicaments contre les affections opportunistes ou les traitements d’autres pathologies. Le traitement de l’hépatite C, par exemple, qui touche plus de 170 millions de personnes est de 30 000 US$ par patient et par an. Plus de 4,5 milliards de personnes vivent avec un revenu annuel compris entre 200 et 1 200 $US. Des traitements vitaux restent donc absolument hors de portée des malades des pays en développement.

La concurrence par les génériques

L’étendue de l’épidémie de sida   et la nécessité de développer l’accès aux antirétroviraux a ouvert le débat sur le prix des médicaments et le besoin d’une concurrence par les génériques. À partir de 1997, des laboratoires gouvernementaux (Brésil, Thaïlande) ou des compagnies privées (Inde) se sont engagés dans la production de versions génériques d’antirétroviraux. Permettant de sortir d’un contexte de monopole, l’apparition de ces génériques a eu des conséquences extrêmement importantes sur le prix des médicaments. Début 2000, la compagnie indienne Cipla commercialisait une trithérapie générique à 800 $US par an et par patient. Ceci représentait une réduction de plus de 90 % par rapport aux prix des multinationales. Entre 2000 et 2004, Cipla et d’autres compagnies indiennes ( Hetero, Aurobindo, Ranbaxy) ont multiplié les offres et la chute des prix s’est poursuivit. Aujourd’hui le prix le plus bas d’une trithérapie est d’environ 150 $US par an et par patient.

L’introduction de génériques d’antirétroviraux a permis de faire chuter le prix des trithérapies de première ligne de plus de 95 %. Dans de nombreux programmes africains d’accès aux traitements, les produits génériques indiens représentent aujourd’hui entre 50 et 75 % des médicaments consommés par les malades. L’exemple des génériques d’antirétroviraux a mis en évidence un phénomène connu : plus le nombre de producteurs est important, plus le prix se rapproche du coût de production.

La propriété intellectuelle reste une menace pour les malades

Pourtant, en dépit de la déclaration de Doha en 2001 et des engagements pris par les membres de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), les règles de protection de la propriété intellectuelle continuent de menacer l’existence d’une concurrence par les génériques dans les pays en développement. Depuis le 1e r janvier 2005, tous les pays en développement membres de l’OMC, à l’exception de certains « pays moins avancés » (PMA  ), sont tenus de respecter l’accord sur les ADPIC qui fixe un standard minimum de protection de la pro p r i é t é intellectuelle. Concrètement cela signifie que ces pays doivent désormais accorder un brevet d’au moins 20 ans aux médicaments et ne recourir à des génériques qu’au terme de ces 20 années.

Les possibilités de fabriquer et de commercialiser librement des versions génériques bon marché de produits brevetés sont donc fortement réduites ; ce qui va rapidement peser sur l’extension des programmes d’accès aux antirétroviraux et la disponibilité des médicaments de 2è et 3è ligne ou des formulations pédiatriques.

Conséquences pratiques

L’absence de brevet sur les médicaments a permis aux génériqueurs en Inde ou en Thaïlande de fabriquer des combinaisons à dose fixe - trithérapie en un comprimé. Parce ce qu’ils sont plus simples à utiliser et qu’ils coûtent moins chers, ces produits jouent un rôle déterminant dans l’extension de l’accès aux antirétroviraux. Aujourd’hui le maintien de leur production et de leur commercialisation est incertaine. La mise au point de produits de ce type dans le futur l’est plus encore.

La mise en place des standards de l’OMC dans un nombre de plus en plus important de pays limite de façon croissante la fabrication de versions génériques de produits récents. Ceci a un effet direct sur les prix et constitue une entrave majeure à une prise en charge adaptée et à l’extension de l’accès aux médicaments. Ainsi, les antirétroviraux utilisés en seconde ligne sont 2 à 12 fois plus chers que ceux utilisés en première ligne. Le budget des Etats pour l’achat des traitements de 2ème et 3ème ligne absorbe un pourcentage de plus en plus important de leur budget total d’achat de médicaments. Au Brésil par exemple, 70% du budget consacré aux antirétroviraux est utilisé pour acheter quatre produits brevetés (lopinavir/ritonavir, tenofovir, efavirenz et nelfinavir). D’une façon générale, les monopoles créés par les brevets bloquent l’accès des malades des pays pauvres aux innovations pharmaceutiques. Selon des estimations, avec la mise en place de la nouvelle législation sur la propriété intellectuelle en Inde, le prix des nouveaux médicaments pourrait subir une augmentation de l’ordre de 200 % - ce qui aura naturellement une répercussion dans les pays qui dépendent de l’approvisionnement indien.

Quelles perspectives ?

L’accès à des versions génériques de médicaments brevetés va dépendre de la capacité des pays à recourir aux flexibilités autorisées par l’accord sur les ADPIC pour contourner le droit des brevets. Ces flexibilités ont été abondamment utilisées dans les pays développés comme le Canada ou les Etats-Unis dans d’autres domaines que la santé. Cependant, très peu de pays en développement ont jusqu’à présent osé y recourir. En outre, le mécanisme adopté à l’OMC en 2003 pour permettre l’exportation des génériques des pays producteurs vers ceux qui ne produisent pas est de l’avis de nombreux experts extrêmement difficile à mettre en pratique. Il n’a d’ailleurs toujours pas été utilisé à ce jour.

Parallèlement aux contraintes établies par l’OMC, les Etats-Unis multiplient les accords bilatéraux avec des pays en développement et leur imposent par ce biais des mesures de protection de la propriété intellectuelle encore plus drastiques. Ces pays perdent ainsi, les uns après les autres, les possibilités de bénéficier pleinement des flexibilités de l’accord ADPIC.

L’accès des malades des pays en développement à des médicaments abordables n’est pas impossible.

Mais, il repose en grande partie sur la possibilité pour ces pays de fabriquer et d’exporter ou d’importer des versions génériques de produits pharmaceutiques brevetés. À Doha en 2001, les pays membres de l’OMC ont reconnu le droit des États à passer outre la protection des brevets pour permettre l’accès aux médicaments pour tous. Avec la mise en oeuvre de l’accord ADPIC dans la majorité des pays, il est désormais urgent que les pays en développement mettent ce droit en pratique. De leur côté, en vertu des engagements qu’ils ont pris, les pays riches, et notamment les Etats-Unis, ne peuvent contraindre les pays en développement à renoncer à ces droits en imposant des standards plus durs que ceux de l’OMC qui auront fatalement pour effet de bloquer l’accès aux médicaments. Au contraire, ils doivent enfin mettre en oeuvre des politiques de transferts de technologies - d’ailleurs encouragées par l’accord ADPIC - qui permettront aux pays du Sud de développer leurs capacités à fabriquer des médicaments adaptés aux besoins de leurs populations et accessibles

Emmanuel TRENADO, Directeur des programmes internationaux, AIDES

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