En Afrique du Sud, face aux ravages du sida

Publié le 15 novembre 2011 sur OSIBouaké.org

La Croix - Pietermaritzburg, le 14 Novembre 2011 par Claire Lesegretain - Bongi Zengele sait de quoi elle parle quand elle évoque le virus de l’immunodéficience humaine (VIH  ) comme « un enjeu de vie ou de mort ». Entre 1999 et 2001, ses quatre sœurs et son frère sont morts du sida  . Du coup, cette catholique chaleureuse est tout entière mobilisée contre la maladie au sein du programme œcuménique « Ujamaa » de l’université du KwaZulu-Natal (UKZN) à Pietermaritzburg. Cette province est la plus touchée par le VIH   en Afrique du Sud, pays qui lui-même figure parmi les plus contaminés au monde avec 5,7 millions de séropositifs, soit 11 % de la population totale et 19 % des 15-49 ans.

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(c) Patrick Delapierre / Secours catholique
Thembeka a 13 ans. Ses deux parents sont morts du sida et elle vit désormais avec sa grand-mère Tholwapi, âgée de 74 ans. Thembeka pose ici avecsa « boîte de mémoire », sorte de tombeau affectif, développée par le centre Sinomlando.
Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses associations chrétiennes (on parle ici de « faith-based organisations » ou FBO), en lien avec Ujamaa, accompagnent ces populations séropositives du Natal. « Car les Églises, notamment l’Église catholique, sont reconnues comme particulièrement organisées et crédibles », estime le dominicain belge Philippe Denis, résidant en Afrique du Sud depuis 1988 et professeur d’histoire religieuse à l’UKZN.

Une longue attente avant de pouvoir être soigné

Bongi Zengele coordonne une centaine de groupes de soutien Siyaphila regroupant 3 000 personnes vivant avec le VIH   dans les quartiers pauvres de Pietermaritzburg et de Richmond. Ce matin-là, ils sont quatre hommes et deux femmes dans une pièce sombre d’un bâtiment de briques, loué dans la township d’Imbali, peuplé de 10 000 habitants. Séropositifs depuis plus de quinze ans, ils viennent ici chaque semaine pour s’encourager dans le suivi de leur traitement.

Des traitements par médicaments antirétroviraux qui n’ont débuté qu’en 2008, le gouvernement de Thabo Mbeki (1999-2008) ayant entretenu un dramatique déni face au sida  … Ce n’est qu’avec le président Jacob Zuma qu’une politique massive a été engagée, avec campagne de prévention, tests de dépistage pour 15 millions de volontaires et distribution gratuite d’antirétroviraux pour 1,5 million de séropositifs.

« Mais les listes d’attente dans les hôpitaux sont longues et il faut parfois attendre six mois avant de commencer le traitement », explique Mtuduzi Mshengu, coordinateur des groupes Siyaphila d’Imbali. Derrière lui, apparaît une affiche du programme « Save » (pour « rapports sexuels protégés, accès aux traitements, accompagnement volontaire et éducation ») qui a été lancé en 2008 par le Conseil des Églises sud-africaines.

Parler du VIH   pour mieux l’éradiquer

Bongi Zengele insiste : « Tout est lié ! Tant que le VIH   est perçu comme un tabou honteux, les personnes n’acceptent pas de faire les tests ou d’aller chercher leurs résultats. Et si elles sont séropositives, tant qu’elles se sentent stigmatisées et rejetées, elles ne peuvent adhérer pleinement à leur traitement, très contraignant dans la durée. » Dans les groupes Siyaphila, les participants apprennent donc à parler du VIH  , à relire leur histoire…

« Dès lors qu’elles se sentent entourées, reconnues, ces personnes séropositives adhèrent davantage à leur traitement et leur espérance de vie s’accroît », poursuit-elle. Pour fonder sur un travail théologique cette action de terrain, un centre de « Collaboration de la religion et de la théologie pour le HIV et le sida   » a été créé à l’UKZN. « Notre rôle est d’aider à sortir d’une conception négative de la théologie de la rétribution, selon laquelle celui qui a le VIH   a forcément fait quelque chose de mal, pour se focaliser sur la résurrection », explique Beverley Haddad, théologienne anglicane et directrice du centre.

Ce travail théologique ne craint pas de s’opposer à certains discours de l’Église catholique, tel le « message d’espoir » publié en 2001 par la Conférence des évêques d’Afrique du Sud, qui invitait à l’abstinence et à la fidélité conjugale et condamnait l’usage du préservatif. « Quel sens cela a-t-il de parler de fidélité alors que les deux tiers des adultes sud-africains ne sont pas mariés et ne le seront jamais ? » interroge Philippe Denis.

Estime de soi et respect de la femme

Constamment à la recherche d’un travail et ne pouvant payer un mariage traditionnel, les hommes multiplient les unions éphémères. Ujamaa organise d’ailleurs des ateliers sur la masculinité pour aider les hommes, en s’écoutant entre eux, à changer l’image qu’ils se font de la virilité et à « comprendre qu’elle ne consiste pas à multiplier les conquêtes », résume Beverley Haddad.

À cause du sida  , les modèles sud-africains de l’homme et de la femme sont en train de changer, assurent les responsables d’Ujamaa. Et les Sud-Africains dans leur ensemble « apprennent à gérer leur sexualité ». Un lent apprentissage qui passe par l’éducation morale, l’estime de soi, le respect de la femme… l’Afrique du Sud détenant le triste record mondial du nombre de viols. Au KwaZulu-Natal, 36 % des femmes enceintes sont séropositives et l’on compte des dizaines de milliers d’enfants orphelins…

Des sessions de mémoire pour les orphelins

Des associations chrétiennes, là aussi, sont présentes. La Fondation Thandanani suit plus de 2 000 orphelins de 0 à 18 ans, confiés à 500 familles d’accueil ou regroupés dans 16 centres de vie animés par des jeunes femmes bénévoles. « La plupart de ces enfants grandissent sans savoir de quoi sont morts leurs parents, car personne n’ose leur dire ; certains pensent qu’ils travaillent en ville et qu’ils reviendront un jour », raconte Andrew Duncan, son directeur. C’est pourquoi la fondation travaille en partenariat avec le centre de recherche en histoire orale Sinomlando (« nous avons une histoire », en zoulou), à l’UKZN.

Sous la direction de Philippe Denis, Sinomlando organise depuis 2002 des sessions de mémoire pour des orphelins. Lors de camps de quatre jours, ils sont invités à tracer leur arbre généalogique, à écrire une lettre à leurs parents disparus, à dessiner une « rivière de vie »… Autant de souvenirs de leur histoire qu’ils pourront conserver dans une « boîte de mémoire ». Cela leur permettra, explique la directrice du programme, Nokhaya Makiwane, de « prendre conscience de leurs ressources de résilience ».


(1) Les enfants aussi ont une histoire. Travail de mémoire et résilience au temps du sida  , de Philippe Denis, Karthala, 2007.

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