Promouvoir sans mensonge l’adoption des enfants pupilles

Réponse à la tribune de Michèle Tabarot, dans le Monde du 18 octobre 2011

Publié le 26 octobre 2011 sur OSIBouaké.org

OSI Bouaké - 22 octobre 2011 - par Sandrine Dekens [1]

Dans un texte publié dans le Monde le 18 octobre 2011 (voir plus bas), Michèle Tabarot prétend défendre l’adoption des enfants délaissés. Elle écrit qu’il y aurait en France « 1 600 orphelins (…) qui ne font jamais l’objet d’un projet d’adoption », entretenant ainsi la confusion fréquente entre enfants « délaissés » et « orphelins ». En effet, l’enquête de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) sur la situation des pupilles au 31 décembre 2008, comptait dans notre pays, 201 orphelins parmi les 2 231 enfants admis (soit 9%, chiffre stable depuis plusieurs années).

{(c) Photo Hélène Jayet} (c) Photo Hélène Jayet

Cette tentative de recouvrement de la problématique des pupilles de l’État [2], mot étrangement absent du texte, par celle des orphelins est récurrente et pose problème. Dans un travail récent mené grâce à l’OCIRP et publié le mois dernier aux éditions Autrement [3], je montre que les orphelins vivant en France sont quasiment absents des pratiques d’adoption qui ne les concernent pratiquement jamais. Mme Tabarot étant présidente du CSA, nous pouvons écarter de notre quête d’explication, l’absence de familiarité de l’auteur avec le champ de l’adoption. Elle a d’ailleurs probablement lu cet ouvrage consacré aux orphelins… Alors, pourquoi donc entretenir constamment dans l’opinion publique l’illusion que les pupilles de l’Etat, enfants juridiquement adoptables, seraient des orphelins ?

Ils sont grands, certes, mais ils sont orphelins !

Cette confusion de vocabulaire a pour intérêt majeur de connoter la représentation des enfants adoptables de façon à les rendre plus « attractifs et désirables » aux yeux d’éventuels postulants à l’adoption, malgré le fait qu’ils ne soient plus des bébés. Il s’agit d’une stratégie pour présenter les enfants pupilles comme déliés de leurs attachements antérieurs, afin de protéger les futurs parents du sentiment d’illégitimité qui menacerait leur parentalité adoptive et du soupçon de s’être approprié l’enfant d’un autre. Dans ce domaine, l’orphelin revient sans cesse dans l’imaginaire du public comme figure idéale de l’enfant adoptable. Si l’adoption est le moyen de donner une famille à un enfant qui n’en a pas, elle doit également pouvoir être une réponse adaptée pour des enfants qui ont eu une famille qui n’a pas pu s’occuper d’eux. Mais sur ce dernier point, le politique peine à assumer ses positions en se cachant derrière des confusions de vocabulaire. Paradoxalement, dans la réalité, déliaison juridique et affective font souvent deux, et les orphelins peuvent conserver des liens affectifs intenses avec leurs parents décédés : ils ne sont pas toujours ces « enfants déliés » que l’on voudrait nous faire croire.

Une stratégie contre-productive et dangereuse.

Il est vrai qu’au regard des « avantages » offerts par les enfants de l’étranger, qui ne sont pas non plus des orphelins mais qui laissent leurs parents biologiques à des milliers de kilomètres, les pupilles vivant en France ne sont pas attractifs dans l’économie générale de l’adoption. La menace terrible du « retour de la famille biologique » dans la vie de l’enfant adopté est d’autant plus insécurisante pour les parents par adoption, que cette première vit dans le département voisin… Pour autant, cette confusion des mots visant à renforcer la légitimité de l’adoption des pupilles de France risque cependant de se révéler une stratégie contre-productive et dangereuse. Il semble périlleux de vouloir aborder les questions complexes de protection de l’enfance en les réduisant à leur logique économique. Il est hors de propos de rendre les pupilles « désirables » aux yeux des adoptants pour de mauvaises raisons, en entretenant des leurres qui ne seront pas sans conséquences dans la parentalité et dans la vie des familles. En voulant protéger et rassurer avec des mensonges les éventuels parents de ces enfants, on les insécurise davantage lorsqu’ils seront confrontés à une réalité tout autre que celle qui était promise.

Si nous voulons promouvoir l’adoption des pupilles, nous devons assumer collectivement ce qu’ils sont.

Nous n’avons pas donc pas d’autre choix que de décrire la réalité du parcours de vie des pupilles de France, d’aider les postulants à cheminer vers eux, de sécuriser les liens juridiques qui les uniront, de les accompagner pour qu’ils murissent un projet d’adoption sécure dans la multiplicité des liens affectifs et qu’ils puissent investir cette parentalité en toute légitimité.


Agir en faveur de l’adoption des enfants délaissés

LeMonde.fr | 18.10.11 | par Michèle Tabarot [4]

Chaque année près de 800 enfants français sont adoptés dans notre pays et trouvent ainsi une nouvelle famille prête à leur apporter éducation et amour. Malheureusement, tous les mineurs délaissés n’ont pas cette chance.

Pour ces derniers, l’horizon se résume à un foyer ou à une famille d’accueil. Quelles que soient les qualités et les compétences des professionnels qui accompagnent ces jeunes sur le chemin de la vie, ils ne remplaceront jamais une famille, ce n’est pas leur rôle. Il est donc essentiel de penser à ceux que l’on appelait autrefois les enfants de la DDASS. Parmi eux, il y a ces 1 600 orphelins dits "à besoins spécifiques", qui sont trop âgées, malades ou handicapés et qui ne font jamais l’objet d’un projet d’adoption. Parmi eux, il y a aussi ces centaines d’enfants délaissés ou maltraités par leurs parents. Ils pourraient être rendus adoptables mais ne le sont pas alors qu’ils sont en souffrance et ont eux aussi droit à une vraie famille. Il existe pourtant dans notre législation un dispositif pour répondre à ces situations de détresse. Le juge peut déclarer un enfant abandonné et permettre ainsi son adoption, lorsque ses parents se sont manifestement désintéressés de lui pendant au moins une année. Malheureusement, le recours à cette déclaration judiciaire d’abandon est rare. On en dénombre à peine quelques dizaines par an alors que de l’avis de nombreux experts, un plus grand nombre des 120 000 enfants séparés chaque année de leurs familles par décision de justice pourrait être confié à l’adoption.

Les déclarations judiciaires d’abandon sont également trop tardives. Elles interviennent en moyenne cinq à six ans après le placement de l’enfant dans un foyer ou une famille d’accueil. C’est un temps bien trop long pour l’enfant, un temps qui compromet ses chances de trouver une famille adoptive.

La nécessité d’une réforme de cette procédure apparaît désormais claire pour offrir d’autres perspectives aux enfants délaissés. Pour cette raison, j’ai déposé une proposition de loi qui vise notamment à exiger que tous les ans les services compétents vérifient, pour chaque enfant placé, si sa famille se soucie réellement de lui. Si tel n’est pas le cas, ils devront alors demander au juge de le déclarer abandonné.

A l’image de ce qui existe au Québec, il faut bâtir le plus tôt possible un véritable projet de vie pour ces enfants. Dans la majorité des cas, nous savons qu’ils retourneront dans leurs familles, lorsque les difficultés passagères seront résolues.

Il existe cependant des situations dans lesquelles il est urgent de mieux tenir compte de la réalité du vécu de ces enfants "oubliés", auxquels on ne donne pas le droit à une nouvelle famille alors que le lien avec les parents biologiques est définitivement rompu, sans espoir de retour. Pour eux, le projet de vie doit pouvoir être l’adoption. Le législateur a une responsabilité importante. Actuellement, les critères sont flous, subjectifs, difficiles à apprécier. Je propose une clarification afin d’aider les professionnels à mieux détecter les enfants victimes de délaissement parental.

Penser aux enfants c’est aussi penser à ceux qui vont les accueillir et qui ont besoin d’être encore mieux accompagnés dans cette voie. C’est pourquoi je souhaite également qu’à travers cette proposition de loi, on renforce la préparation et l’information des candidats à l’adoption.

Cette réflexion globale sur l’adoption est un véritable enjeu. La France est riche de ses enfants. Notre devoir est d’aider au mieux ceux qui vivent dans l’injustice de l’abandon et du délaissement à un âge où aucun enfant ne devrait avoir à connaître cela.

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[1] psychologue clinicienne, psychologie géopolitique clinique.

[2] Enfants juridiquement adoptables incluant les enfants : déclarés juridiquement abandonnés / orphelins / sans filiation / de parents déchus de leur autorité parentale / ayant consenti à l’adoption de leur enfant.

[3] Dekens S. (2011), « Les orphelins aux marges des pratiques d’adoption en France », article publié dans Invisibles orphelins. Reconnaître, comprendre, accompagner. Un ouvrage collectif sous la direction de Magali Molinié. Autrement, Collection Mutations. 224 pages, 20 €

[4] député-maire du Cannet, présidente du Conseil supérieur de l’adoption, présidente de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale