L’absence d’aménagement de peine aggrave le risque de récidive des sortants de prison

Comment les prisons françaises fabriquent de la récidive. Enquête du Monde

Publié le 14 octobre 2011 sur OSIBouaké.org

Le Monde | 14.10.11 | Enquête | Franck Johannès

La récidive est à la fois le tourment et l’obsession de la majorité : sept lois ont été votées depuis 2004, visant toutes à durcir les peines ; Eric Ciotti, le député UMP de Nice et bras armé du chef de l’Etat à l’Assemblée, ne jure d’ailleurs que sur "le caractère dissuasif de la sanction".

La récidive est pourtant un phénomène assez mal connu, et il est douteux que l’alourdissement des peines puisse la réduire. Une passionnante étude de la direction de l’administration pénitentiaire, passée assez inaperçue cet été dans les Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, vient utilement recadrer le débat, et indirectement proposer des solutions.

Le chiffre, d’abord, est énorme : 59 % des détenus sont de nouveau condamnés dans les cinq ans qui suivent leur libération, et 46 % d’entre eux à de la prison ferme.

Les mineurs sont les plus exposés à la récidive, surtout dans les deux premières années de liberté, mais l’aménagement des peines et la liberté conditionnelle font chuter les taux dans des proportions spectaculaires : pour éviter la récidive, mieux vaut préparer la sortie que condamner lourdement.

L’étude que publient les démographes Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda, du bureau des études et de la prospective de l’administration pénitentiaire, est l’une des plus complètes qui soient : 7 000 dossiers de détenus libérés entre juin et décembre 2002 ont été comparés cinq ans plus tard, c’est-à-dire dans les années 2007-2008, à leur casier judiciaire.

Il ne s’agit pas de la récidive légale, qui ne s’intéresse qu’aux condamnations pour une même infraction ou une même famille d’infractions, mais du "devenir judiciaire d’anciens condamnés", c’est-à-dire de la récidive quel que soit le motif de la nouvelle condamnation.

La récidive n’est évidemment pas la même selon la nature de l’infraction initiale. Les voleurs sont 74 % à être à nouveau condamnés cinq ans plus tard, les violeurs d’enfants 19 %, et encore, pas pour ce crime : ils ne sont que 0,6 % à être condamnés à de la réclusion criminelle. 32 % des meurtriers sont à nouveau condamnés, mais pour 19 % à de la prison ferme, et 0,7 % seulement pour un nouveau crime - et pas forcément un meurtre : il n’y a guère, en France, de tueurs en série. Avoir été condamné pour homicide volontaire diminue ainsi de moitié le risque de recondamnation ou de retour en prison par rapport aux voleurs ou aux receleurs. Les condamnés pour viol ou agression sexuelle ont une probabilité trois fois moindre d’avoir une nouvelle condamnation dans les cinq ans que les condamnés pour vols.

Les récidivistes sont plutôt les condamnés pour les délits les moins graves. Les détenus condamnés à des peines de moins de douze mois sont 61 % à récidiver cinq ans plus tard, les condamnés à cinq ans et plus sont 33 % à récidiver.

Plus on a été condamné, plus on récidive : les libérés qui avaient déjà une condamnation antérieure avant d’être incarcérés en 2002 sont 34 % à recommencer. Ceux qui avaient deux condamnations ou plus sont 70 % : plus on a fait de prison, plus on en fera. Ce n’est pas une surprise, les hommes, plus délinquants, sont aussi plus récidivistes que les femmes. La probabilité de recondamnation est deux fois plus faible pour les femmes que pour les hommes.

En revanche, le risque est trois fois plus important pour les mineurs à la libération que pour les jeunes majeurs de moins de 30 ans. Ne pas être marié multiplie même par 1,5 le risque de retourner en prison, les détenus chômeurs récidivent à hauteur de 61 %, ceux qui ont un emploi à 55 %. Les populations à risque sont bien les mineurs. 78 % des mineurs ont de nouveaux ennuis avec la justice dans les cinq ans, les plus de 50 ans sont, eux, 29 %.

Statistiquement, la récidive est plus forte dans les premiers mois après la sortie : plus de la moitié des récidivistes (54,6 %) ont été à nouveau condamnés au cours de la première année de leur sortie, les trois quarts dans les deux ans. C’est encore plus vrai pour les condamnés à la prison ferme : le taux de récidive est de 62 % la première année, 81 % dans les deux ans. Après la quatrième année de liberté, la courbe de récidive se tasse. L’urgence est donc bien d’accompagner le mineur à la sortie de prison et pendant les deux années qui suivent, sinon il rechute.

La variable la plus intéressante et la plus encourageante est sans doute le mode d’exécution de la peine : plus les condamnés restent enfermés, plus ils récidivent en sortant. "Les risques de recondamnation des libérés n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine demeurent 1,6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle", notent les démographes.

Les libérés qui n’ont pas bénéficié d’aménagements de peine ont été 63 % à être recondamnés au bout de cinq ans (contre 39 % pour les sortants en libération conditionnelle). "Il y a effectivement des populations plus fragiles, indique Annie Kensey, des personnes qu’il faut accompagner, c’est tout l’intérêt de l’individualisation des peines et du suivi des conseillers d’insertion et de probation."

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