« Une déraison d’Etat »

Nouvel appel du Collectif des 39 contre un projet de loi qui propose un cadre juridique à "la nuit sécuritaire"

Publié le 2 mars 2011 sur OSIBouaké.org

Libération - 28/02/2011 - Tribune

EXIGEONS le retrait de ce projet loi qui va organiser le retour au "grand renfermement".

Masqué par une appellation toute séduisante : « Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », il a été adopté au Conseil des Ministres du 26 janvier 2011, et va être débattu au Parlement au printemps.

« Trente mille personnes ont signé avec nous l’Appel contre La nuit sécuritaire, lancé en réaction au discours du président de la République le 2 décembre 2008, qui assimilait la maladie mentale à une supposée dangerosité.

« A nouveau, le Collectif des 39 en appelle à l’ensemble des citoyens. Ce discours promettait un traitement sécuritaire des malades mentaux. Il a depuis largement pris corps dans la pratique quotidienne : les lieux de soins psychiatriques sont désormais truffés de caméras de surveillance et de chambres d’isolement, des grillages ont été disposés, des protocoles de neutralisation physique des patients ont vu le jour, les préfets empêchent les levées d’internements caducs. Un projet de loi propose aujourd’hui un cadre juridique à cette dérive sécuritaire. Adopté le 26 janvier 2011 en conseil des ministres, il sera discuté au Parlement le 15 mars après un simulacre de concertation.

« Dans un vocabulaire relevant du code pénal, il cautionne la défiance à l’égard de citoyens souffrants.

« Dans ce dispositif, seul le trouble à l’ordre public est pris en compte. Il instaure un changement paradigmatique sans précédent : l’institution des "soins" sans consentement en ambulatoire. En effet, le projet de loi n’identifie plus seulement l’hospitalisation comme contraignante, mais les soins eux-mêmes, à l’hôpital comme à l’extérieur, avec le risque majeur de la mise en place d’une surveillance sociale planifiée.

« Ainsi, pour répondre à l’inquiétude légitime des patients et de leurs familles, ce projet de loi, sous couvert de déstigmatisation, va instituer une logique de dérive sécuritaire induisant un contrôle inédit de la population. Il s’appuie sur un principe de précaution inapproprié.

« La mystification est totale : il ne s’agit pas d’un projet de soins, mais d’un engrenage portant atteinte aux libertés fondamentales dans un Etat démocratique. Prétendant améliorer "l’accès aux soins" et leur "continuité", ce projet propose uniquement un accès à la contrainte sans limite de durée. Il détourne la fonction des soignants vers une orientation de dénonciation, de rétention, de "soins" sous contrainte et de surveillance. Il impose aux patients d’accepter des "soins" stéréotypés, protocolisés, identiques pour tous. Ils seront sous surveillance, associée à un contrôle de leur dignité : ainsi se met en place une police de l’intime. Il instaure un fichier national, "un casier psychiatrique ?", de toute personne ayant été soumise ne serait-ce qu’une seule fois aux soins sans consentement. Il institue un mensonge en laissant penser que seuls les médicaments psychotropes administrés sous contrainte suffisent à soigner les patients gravement atteints : enfermés chez eux, malgré eux.

« Une partie des citoyens a été désignée à la vindicte médiatique. Le mot schizophrène, jeté à tort et à travers, en bafouant le secret médical, n’est plus un diagnostic mais une menace, qui accable les malades et leurs familles, effraie jusqu’à leur voisinage. Penser que ce projet de loi va améliorer cette situation est une déraison d’Etat.

« Bien plus, il risque de s’opposer frontalement à toute réforme sanitaire digne de ce nom, qui aurait pour principes élémentaires de reposer sur une fonction d’accueil, une logique ouverte et déségrégative, des thérapeutiques diversifiées centrées sur le lien relationnel et la confiance, dans la durée.

« Ce projet va à l’encontre d’une politique de soins psychiatriques respectueux des libertés, offrant une hospitalité pour la folie au cœur du lien social, qui allierait sécurité publique et soins à la personne. Il institue la défiance envers les professionnels dans une démarche politique analogue à celle appliquée récemment aux magistrats et à la justice, comme à d’autres professions.

« Nous voulons que les budgets subventionnent des soins et non des aménagements carcéraux, la formation des personnels, des effectifs conséquents, pour une conception humaine de l’accueil de la souffrance.

« Nous rejetons les réponses démagogiques qui amplifient délibérément l’émotion suscitée par des faits divers dramatiques. Ces réponses ne font qu’accroître et entretenir la peur de l’autre.

« Nous voulons résister, nous opposer, avec une élaboration citoyenne de propositions pour une politique de soins psychiatriques au plus proche des réalités de terrain. La psychiatrie est l’affaire de tous.

« Nous soignants, patients, familles, citoyens appelons au retrait immédiat de ce projet de loi. »

Signez la pétition ici


Libération - 28/02/2011

Des soins sous contrainte hors les murs

C’est un projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de prise en charge ». Long de plus de 40 pages, il est de lecture difficile car il corrige un texte existant.

D’abord, il y a « le remplacement de la notion d’hospitalisation par celle de soins ». Corollaire : on pourra « soigner » sous contrainte hors les murs, c’est-à-dire en ambulatoire. L’admission en hospitalisation à la demande d’un tiers devient « l’admission en soins sans consentement à la demande d’un tiers, ou en cas de péril imminent ». Dans ce dernier cas, c’est le directeur de l’hôpital qui le signe. L’hospitalisation d’office est remplacée par « les soins sans consentement sur décision du représentant de l’Etat ». Lors de l’hospitalisation d’un patient contre son gré, est instaurée une période de trois jours pendant laquelle celui-ci est retenu, diagnostiqué et traité. Pour répondre aux vœux du Conseil constitutionnel, un contrôle systématique par le juge « du bien-fondé des hospitalisations complètes sans consentement » est prévu « dès lors que la durée de l’hospitalisation excède quinze jours ».


Libération - 28/02/2011 - Par Eric Favereau

Psychiatrie : pétition contre une loi confuse et sécuritaire

10 000 signataires dénoncent un projet, discuté à l’Assemblée le 15 mars, qui passe à côté de la complexité de la maladie mentale.

Une fronde soudaine. En quelques jours, près de 10 000 de signatures ont été collectées. Le nouvel appel du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, que publie aujourd’hui Libération, rencontre un succès inédit. « On étouffe. Cette loi sur les soins psychiatriques est une catastrophe, explique le Dr Hervé Bokobza, un des porte-parole du collectif. Cette façon de parler de la folie est honteuse. La psychiatrie a besoin de soins, de se montrer hospitalière, et non pas d’endosser les habits du carcéral et du tout médicament,comme le sous-tend ce texte de loi. »

Le projet ne doit rien au hasard. Sa naissance est du Sarkozy pur sucre, à la suite d’un fait divers dramatique.

C’était en novembre 2008. Dans une rue de Grenoble, un étudiant se fait poignarder par un malade mental en fugue. Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy annonce un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques, avec une multiplication des chambres d’isolement, l’instauration de bracelets électroniques. Le président exige également une nouvelle loi sur les hospitalisations sous contrainte. Un premier texte est adopté en Conseil des ministres au printemps dernier. Mais, peu après, le Conseil constitutionnel change la donne : les sages demandent au législateur que, pour les hospitalisations sous contrainte, un juge soit saisi lorsque le patient est retenu contre son gré plus de quinze jours. Nouvelle modification du texte de loi.

« Péril ». Le résultat final est confus, sans grande cohérence. Pêle-mêle, on va pouvoir désormais « soigner » sans le consentement du patient, même quand celui-ci n’est pas hospitalisé, en ambulatoire. Est créée de toutes pièces une nouvelle typologie de placement contraignant : « le péril imminent », sans pour autant le définir. Est instituée une sorte de « garde à vue sanitaire » de soixante-douze heures, quand le malade est hospitalisé sans son accord. Parfois, c’est le directeur de l’hôpital qui sera le responsable ; d’autres fois, un collège d’experts, voire le préfet. Et, en écho au drame de Grenoble, les sorties d’essai sont toutes supprimées.

Le texte part dans tous les sens, avec un arrière-fond sécuritaire manifeste. Il ne va, d’aucune façon, répondre aux défis actuels. Car aujourd’hui, la psychiatrie publique est profondément fragilisée. Dans les hôpitaux, les postes vacants se comptent par centaines. Plus de 10 000 lits ont été fermés. « Nous sommes confrontés à des patients de plus en plus désociabilisés », insiste Alain Mercuel, psychiatre et spécialiste de la précarité à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Toute la chaîne de prise en charge se fissure, avec des malades souvent abandonnés à eux-mêmes, des familles qui se noient dans leur malheur. « Répondre à cela par l’enfermement n’est en rien la solution, nous disait récemment le psychiatre Roger Ferreri, chef de service dans l’Essonne. On mélange tout, la contrainte n’est pas du soin, c’est une décision de la société. La société a le droit de se protéger, mais lorsque vous mettez quelqu’un dans une chambre d’isolement, vous n’avez pas le droit de penser que c’est pour son bien. »

Anonymes. Conçu à partir de cas exceptionnels, ce projet du gouvernement, perçu comme « liberticide », oublie l’incroyable mystère qui réside dans la folie. Comme si celle-ci n’était qu’une simple maladie qu’il fallait « traiter », de gré ou de force. D’où ces réactions en chaîne : quand on regarde les signataires de cet appel, il y a, en effet, quelque chose de surprenant. Ils viennent de tous les milieux. Il y a les noms connus : Stéphane Hessel, Edgar Morin, Rony Brauman. Il y a des grands noms de la planète psy, comme Jean Oury, Caroline Eliacheff, Catherine Dolto, Elisabeth Roudinesco. Des politiques aussi : cela va du PS à Jack Ralite, Pierre Laurent (PCF), les Verts. Des syndicalistes, des magistrats comme Serge Portelli. Des personnalités de la culture, comme Leslie Kaplan, Jean-Michel Gremillet, Yves Clot. Et une foule d’anonymes, comme Maryse, « malade bipolaire, résidant à Auxerre ». « Que pouvons-nous dire, en tant que malades, face à ce projet de loi ?, écrit un collectif d’associations de malades. Sommes-nous coupables de notre maladie ? » Une manifestation est prévue le 15 mars devant l’Assemblée, jour où les députés commenceront à débattre du projet.


Libération - 28/02/2011

69.000 personnes hospitalisées sans leur consentement

  • Hospitalisation d’office et à la demande d’un tiers : Jusqu’à présent, il existe deux types d’hospitalisation sous contrainte. Les hospitalisations d’office à la demande du préfet ou du maire, quand l’ordre public est menacé. Et l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT). Le texte élargit l’HDT au péril imminent. Et donne un cadre légal aux soins sous contrainte, hors les murs.
  • « Voilà une personne éminemment dangereuse qui bénéficiait pourtant de deux sorties d’essai par semaine ! », Nicolas Sarkozy à l’hôpital d’Antony, le 2 décembre 2008, à propos de l’auteur d’un meurtre à Grenoble, qui avait fugué d’un hôpital psychiatrique
  • 69 000 : Tel est le nombre, en 2008, de personnes hospitalisées sans leur consentement au moins une fois dans l’année : soit 23% de l’ensemble des personnes prises en charge en hospitalisation psychiatrique complète.
  • Un premier appel : Juste après le discours de Nicolas Sarkozy à Antony en décembre 2008, un collectif « contre la nuit sécuritaire », dit des 39, se constituait. Il publiait un premier appel dans Libération (15/12/2008). Depuis, ce petit groupe de psys de tous horizons plaide pour « une hospitalité à la folie ».

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