Des salariés de l’association Aide et Action mettent en cause la direction

Publié le 26 novembre 2010 sur OSIBouaké.org

LeMonde.fr pour Le Monde.fr | 25.11.10 | Brigitte Perucca

Hémorragie de cadres et licenciements brutaux, crise de confiance envers une direction accusée de "confisquer" le pouvoir, salaires élevés, frais de fonctionnement qui explosent, opacité et, pour couronner le tout, gestion hasardeuse… Lauréate, en 1990 et en 1995 du prix Cristal de la transparence, l’association Aide et Action, connue pour ses interventions en faveur de l’accès à l’éducation dans le monde, aurait perdu 300 000 euros, en quelques années, en raison de ces pratiques.

Active dans vingt et un pays et forte d’un budget de près de 30 millions d’euros, Aide et Action vit, depuis un peu plus d’un an, sous le coup d’accusations qui provoquent des soubresauts en son sein.

Jeudi 25 novembre, deux de ces anciens cadres dirigeants, Gilles Oddos et Martin Péricard, signataires d’une lettre ouverte adressée par près de 70 salariés à la direction, en mai 2009, seront devant les prud’hommes afin de contester leur licenciement pour "faute lourde". Il leur est reproché d’avoir, à travers cette lettre ouverte, divulgué des informations confidentielles.

Dans ce texte, ces cadres s’inquiétaient, entre autres, du "pilotage opaque du prestataire Philanthrôpia, notamment au regard de la détermination des objectifs affichés et du contrôle des réalisations effectives, du renouvellement du contrat malgré l’absence de résultats". La contestation a, depuis, gagné les bénévoles.

RECOURS À UNE SOCIÉTÉ DE FUNDRAISING

La vice-présidente d’Aide et Action, Françoise Alcocer, a ainsi décidé de ne pas se représenter aux suffrages de l’assemblée générale du 19 juin 2010, "après dix-sept ans de service bénévole". Plus récemment, une équipe de bénévoles du Puy-de-Dôme a envoyé un courrier à la direction pour exprimer sa défiance. Considérant que "les salaires des dirigeants sont déraisonnables", ces bénévoles demandent également que "l’association soit plus rigoureuse sur les dépenses générales".

Les ennuis commencent quand, lancée depuis le milieu des années 2000 dans une course à la taille et à l’internationalisation, Aide et Action décide de faire appel à une société de fundraising, Philanthrôpia. En 2006, l’association s’engage à verser 522 200 euros à Philanthrôpia si celle-ci réussit à décrocher des fonds supérieurs à 1 million d’euros. A première vue, le contrat est extrêmement favorable à l’association : elle ne déboursera pas un sou tant qu’au moins le double de la somme prévue pour les honoraires n’aura pas été encaissé.

Pourtant, alors qu’aucun grand don n’est encore effectif, Aide et Action, alléchée par une promesse de dons de 200 000 euros (qui se soldera finalement par 52 000 dollars), accepte de verser à Philanthrôpia 170 000 euros. Un montant "qui n’était pas dû contractuellement", note un comité d’audit mis en place par Aide et Action après la lettre ouverte pour tenter de mettre tout à plat.

Année après année, les contrats se suivent – Aide et Action signera jusqu’à cinq contrats avec cette société. Problème : les objectifs ne seront jamais atteints et aboutiront à ce que l’association verse, en l’espace de cinq ans, 1,3 million d’euros à Philanthrôpia quand celle-ci est supposée lui en avoir fait gagner 910 000. En comptant large, car la valeur même du travail et de l’apport de la société de fundraising sont mises en doute.

"NOUS AVONS FAIT DU TRÈS BON TRAVAIL"

Un don de Microsoft-Inde - qui s’élève à 595 500 dollars en espèces ( 444 917 euros) et à 711 960 dollars en nature (532 000 euros) (apport de licences et produits de formation) - "n’a pas été décroché par Philanthrôpia mais grâce à une jeune collègue, qui a fait tout le travail d’approche, puis par notre équipe, en Inde", accusent en chœur des administrateurs et d’anciens cadres.

La directrice générale d’Aide et Action, Claire Calosci, se défend d’avoir fait perdre de l’argent à l’association, distinguant ce qui relève, dans le travail de la société de fundraising de la recherche de dons d’autres "prestations", telle que la formation de salariés. Toutefois, l’ONG dispose d’une cellule "grands donateurs" apte elle aussi à récolter des fonds. En 2005, avant même l’intervention du spécialiste de fundraising, elle affichait un bilan de plus de 700 000 euros.

Dans le même registre, la directrice générale de Philantropia, Louise Giroux, plaide sa cause. "Nous avons fait du très bon travail", dit-elle, tout en regrettant que l’objectif initial (3 millions de dollars de dons) n’ait pas été atteint. La faute en incombe selon elle au refus des salariés d’Aide et Action de "travailler avec Areva, qui aurait pu nous aider sur le Niger".

Le fait même de faire appel à des sociétés qui se rémunèrent sur les dons récoltés pose-t-il problème ? Le comité de la Charte de déontologie des associations, qui examine l’accréditation des ONG, reconnaît que cette pratique est "très discutée" en son sein. La charte interdit précisément "toute rémunération de prestation sur les produits de la collecte", rappelle son président, Gérard de la Martinière.

Stricto sensu, la société Philanthrôpia n’a pas été rémunérée à la commission. Mais de fait, prévoir de ne percevoir des honoraires que si le client a perçu en dons au moins le double du montant des dits honoraires s’apparente bien à un contrat indexé sur les résultats.

imprimer

retour au site