Psychiatrie : « un projet de loi inique et injuste »

Intervention de Noël Mamère lors du colloque « Continuité des soins ou continuité de la contrainte ? »

Publié le 7 octobre 2010 sur OSIBouaké.org

Mediapart, 06 Octobre 2010

Mediapart publie l’intervention de Noël Mamère, député (Verts) et maire de Bègles, prononcée lors du colloque réuni le lundi 4 octobre 2010 à l’Assemblée nationale, sur le thème « Continuité des soins ou continuité de la contrainte ? » et organisé par le Collectif des 39 autour du projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge ». ------------------------------------

Chers amis, je veux d’abord dire clairement la position des écologistes dans ce débat. Nous sommes totalement solidaires de la démarche de l’appel des 39 et nous réclamons le retrait du projet de loi qui réforme les règles relatives aux soins psychiatriques. Ce projet de loi est inique, injuste et il transforme le patient en un prisonnier potentiel.

Ce projet de loi en introduisant notamment une garde-à-vue psychiatrique de 72 heures, sans avocat, au seul motif d’une menace à l’ordre public qui peut simplement résulter de la seule « notoriété publique » est un retour en arrière, une régression sociale sans précédent. Les dispositions qui imposent des soins contraints, aussi bien pour des personnes malades hospitalisées, que pour des personnes qui sont suivies dans le cadre de soins ambulatoires sont de nature à transformer profondément la nature des soins psychiatriques, à transformer les infirmiers en matons.

Si ce débat n’a pas été inscrit pour le moment à l’ordre du jour de l’Assemblée, il peut l’être à tout moment dans le tunnel législatif sécuritaire, imposé par un gouvernement qui, entre les lois anti-immigrés et la loi Loppsi 2 est saisi d’une frénésie sans précédent pour courir après les voix des électeurs du Front national. Nous devons donc redoubler de vigilance et exiger le retrait de projet de loi. Pour autant, le débat sur l’alternative n’est pas clos.

Je voudrais insister sur trois questions :

- Premièrement la proposition de loi, si elle apporte de mauvaises réponses qui doivent être combattues en tant que telles posent de réelles questions auxquelles sont confrontés à la fois les patients, les soignants, l’institution, et les citoyens. Il existe des hypothèses où une personne va tellement mal, qu’il faut impérativement mettre en place un système de soins sous contrainte, qui ne peut être articulé que sur la base de trois éléments,

  • d’une part, ces soins doivent impérativement être limités dans le temps ;
  • ensuite, ils doivent être ordonnés en raison d’une dangerosité immédiate ;
  • enfin, il doivent impérativement être ordonnés dans le cadre d’une présentation au juge judiciaire, qui est le gardien des libertés et est seul à même d’effectuer un contrôle de la mesure qui est demandée. Concernant le débat sur la judiciarisation, c’est-à-dire l’intervention du juge, s’il est légitime de se poser la question il convient d’abord de supprimer la mesure de sûreté et loi de police actuelles sous lʼautorité du préfet, pour une loi basée sur la protection de la personne. Cʼest dire que toute mesure de contrainte, tout soin sans consentement relève de l’autorisation préalable d’un juge judiciaire et de son contrôle ensuite. En revanche, la loi ne doit pas laisser faire ni penser que le soin sous contrainte serait une manière de soigner les patients d’une manière générale. C’est contre cette banalisation de l’enfermement qui constitue le cœur de ce projet de loi que nous nous battons. Ce projet de loi organise l’exception psychiatrique et c’est cela qui est inacceptable. C’est pourquoi nous appuyons la demande d’une remise à plat de la loi de 1990 qui détermine les conditions actuelles d’internement d’office notamment. Nous devons trouver un équilibre entre des intérêts qui peuvent apparaître comme étant contradictoires, à savoir l’intérêt du patient, de la famille, de la société, et des soignants. Mais ce n’est pas en procédant à un effacement du tiers ou en subsidiarisant le tiers que l’on règle des questions complexe comme celle du comportement d’une personne en crise importante, pouvant porter atteinte à elle-même ou être dangereuse pour son entourage au sens large.

- Deuxièmement, cette loi s’inscrit dans une stratégie de démantèlement du service public des soins psychiatriques et de la santé . Ainsi, 1985 marque la fin de l’internat en psychiatrie, ce qui a divisé par dix le nombre de psychiatres. Quelques années plus tard ce sont les études des infirmiers en psychiatrie qui ont été supprimés, ce qui signifie qu’aujourd’hui il y a une délégation des tâches vers les aides-soignants dont le bagage de formation n’est évidemment pas le même. Parallèlement, 2004 a marqué la fin de la carte sanitaire en psychiatrie, c’est-à-dire la fin des secteurs, ce qui a entraîné une disparité régionale et donc une absence d’égalité devant le service public de la santé psychiatrique. Le récent vote de la loi HPHT en 2010, parachève ce mouvement qui s’inscrit dans une conception managériale de l’hôpital, y compris en ce qui concerne l’hôpital psychiatrique. Ce démantèlement du service public de la psychiatrie doit être stoppé. Il faut inverser la tendance. La gauche si elle revient au pouvoir en 2012 devra proposer avec les professionnels du secteur un plan d’urgence dans ce domaine.

- Troisièmement, on assiste en réalité, au travers de l’examen de ce projet de loi, à une banalisation de l’enfermement qui s’accompagne en réalité d’une extension de l’enfermement. L’existence de ce projet de loi s’inscrit évidemment dans une perspective d’ensemble où d’un côté l’on voit apparaître nombre de lois pénales bureaucratiques et démagogiques, qui apparaissent dès lors qu’il y a un fait divers. Cette loi s’inscrit dans la construction d’un État pénal se substituant à un État social. L’État pénal a pour objet de punir les pauvres en produisant des exceptions à la norme. L’exception des prostitués, celle des Roms et des gens du voyage, celles des jeunes des quartiers sensibles, celle des délinquants récidivistes, celle des sans papiers, celle des drogués. Ceux que l’on appelle des fous n’échappent évidemment pas à la règle. Dans une société d’exception, ce sont toujours eux qui sont parmi les premiers à être mis à l’index. Or, le fou, faut-il le rappeler est d’abord une personne comme les autres qui a le droit à la dignité comme les autres et dont il faut respecter l’intégrité comme les autres. Ce projet de loi construit une psychiatrie sécuritaire, autoritaire et paternaliste qui au nom de la prévention sécuritaire autorise l’intrusion dans l’intimité et le corps du patient La loi proposée est donc complémentaire et exemplaire de ce phénomène de surveillance des classes dangereuses. Elle s’inscrit parfaitement dans la multiplication des lois sur les fichiers, la vidéo surveillance, la rétention de sûreté, la pénalisation des personnes les plus fragiles. Ce projet contient d’ailleurs la perspective d’un fichage national généralisé de toute personne bénéficiant de soins spécialisés. Une société qui traite correctement les maladies mentales est une société équitable. Celle qui les isole, les enferme, les nie dans leur personne est une société injuste. Le sarkozysme fait avec la psychiatrie ce qu’il fait en général le mieux : punir les pauvres, diviser les populations, stigmatiser et chercher des boucs émissaires. Il amalgame la folie avec la dangerosité, ce qu’ont toujours fait les régimes autoritaires. C’est pourquoi, nous devons prôner un débat public citoyen pour s’opposer aux lois sécuritaires et notamment à celle sur les soins psychiques. Nous devons œuvrer pour le développement d’une politique du soin psychique respectueuse de la personne et de ses droits fondamentaux.

Au moment où l’image de la France est salie par un gouvernement qui n’hésite pas à recourir aux méthodes les plus discriminatoires et répressives, l’appel des 39 nous rappelle que la convergence des luttes contre le nouvel ordre sécuritaire et la justice social ne font qu’un.

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