Psychiatrie : vers des soins chez soi et malgré soi

« Libération » s’est procuré un projet de loi qui prévoit la possibilité de forcer un patient à suivre un traitement, même hors de l’hôpital

Publié le 3 avril 2010 sur OSIBouaké.org

Libération - 02/04/2010 - Par Eric Favereau

C’est un changement profond touchant aux règles du placement en hôpital psychiatrique que le gouvernement s’apprête à proposer. Dans un projet de loi que Libération a pu se procurer (à télécharger en bas de cette page), il entend donner un cadre législatif aux soins obligatoires, y compris quand le patient n’est pas hospitalisé.

Loin d’être anodine, la question des soins forcés divise le milieu de la psychiatrie. Bon nombre d’associations de parents y sont plutôt favorables, les familles se plaignant souvent de l’abandon dans lequel elles sont laissées quand leur enfant refuse de se soigner ou de prendre son traitement. Ce projet de loi a tranché, en prenant le parti des soins sans consentement hors hôpital.

Vocabulaire. Comme souvent, c’est après un fait divers que Nicolas Sarkozy a lancé la machine législative. En l’occurrence après l’assassinat, le 12 novembre 2008, d’un jeune étudiant dans les rues de Grenoble par un malade qui avait fugué de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève. En décembre de la même année, le Président avait insisté sur l’urgence d’accroître la sécurité dans ces établissements, parlant de chambres d’isolement et de vidéosurveillance. Au passage, il demandait une réforme des règles de l’hospitalisation.

Long de 25 pages, le texte insiste d’abord sur le rôle accru du juge des libertés et de la détention. Celui-ci « peut être saisi à tout moment aux fins d’ordonner, après débat contradictoire, la levée immédiate de soins sans consentement ». Et toute personne « susceptible d’agir dans l’intérêt du malade » peut saisir le juge. Formellement, nul ne peut nier qu’il s’agit là d’une avancée. Il est aussi rappelé : « En toutes circonstances, la dignité de la personne faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement doit être respectée et sa réinsertion recherchée. »

Pour le reste, en revanche, le projet est problématique parce qu’il opère un glissement de vocabulaire. Il n’est plus question des trois types d’hospitalisation aujourd’hui en vigueur, l’hospitalisation libre, l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et enfin l’hospitalisation d’office (HO), une mesure d’ordre public prise par le préfet ou par le maire. Le texte parle désormais de soins avec ou sans consentement, « à la demande d’un tiers » ou du « préfet ». La question du consentement n’est donc plus limitée à la seule hospitalisation mais à l’ensemble des soins.

Les traitements contraints ne posent guère de problèmes lorsque l’état du patient est tel qu’il peut mettre en danger sa vie ou celle des autres : il est alors normalement hospitalisé. Mais la décision est beaucoup plus difficile à prendre pour toutes les autres situations. Or, selon le projet de loi, ces soins sans consentement pourront être délivrés à la demande d’un tiers, « sur simple certificat médical », et après une phase d’hospitalisation complète. Cette mesure est donc susceptible de s’appliquer à de très nombreux cas.

Question subsidiaire : que se passe-t-il si le patient ne prend pas son traitement ? Réponse : « L’établissement de santé engage immédiatement une procédure de convocation. […] Le directeur en informe le représentant de l’Etat. » Il « prend toutes mesures utiles » et « peut notamment ordonner la réhospitalisation du patient ». Bref, une procédure menaçante.

Convocation. Pour le docteur Alain Mercuel, président de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (Idepp), « cette loi demande à être épluchée, mais il y a de bonnes choses ».

A l’inverse, le docteur Hervé Bokobza, porte-parole du collectif Nuit sécuritaire, estime que « c’est une atteinte à la liberté individuelle. On se dirige vers un contrôle social généralisé. » Et de noter : « On va demander aux psychiatres de convoquer leurs patients pour voir si l’on poursuit ou pas les soins sans consentement. En fait, il s’agira de les expertiser, mais pas de les prendre en charge. » Le projet de loi a été transmis aux organisations syndicales.

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