Faut-il une loi pour interdire la fessée aux enfants ?

Face à face entre Claude Halmos, psychanalyste, et Edwige Antier, pédiatre et députée UMP

Publié le 25 novembre 2009 sur OSIBouaké.org

L’Humanité - 23 novembre 2009

Faut-il une loi pour interdire la fessée aux enfants ?

Par Claude Halmos, psychanalyste et écrivain, spécialiste de la maltraitance (1)

Que pensez-vous de cette proposition de loi ?

CH : Cela fait des années que je milite contre la maltraitance des enfants et, pourtant, je pense que cette loi ne servirait à rien. S’agissant des enfants maltraités, tout d’abord, des lois existent déjà pour punir les parents qui brutalisent leur progéniture. Celle-ci n’apporterait rien de plus. La protection des enfants ne bute pas sur l’absence de lois mais sur la façon dont on les applique. Ensuite, dans le cas où la fessée est occasionnelle, on sait que les parents l’administrent sous le coup de la colère. La plupart du temps, ils regrettent ce geste et se sentent coupables. Que pourrait une loi contre ça ? Empêcherait-elle ce passage à l’acte non prémédité ? Évidemment non. Cette menace fera que ces parents se sentiront encore moins légitimes à exercer une autorité. Plutôt que de les poursuivre en justice, travaillons donc avec eux sur l’éducation, aidons-les à mieux appréhender leur rôle. C’est un travail que l’on peut faire dans les maternités, à l’école, etc.

La fessée peut-elle être « éducative » ?

CH : La fessée n’est en aucun cas un outil éducatif. Le but de l’éducation est que l’enfant se soumette aux limites parce qu’il en a compris le sens. La fessée systématique ne lui fait rien comprendre. Au contraire. Puisqu’elle l’humilie et lui donne l’exemple de la loi du plus fort. Cela dit, les parents qui la donnent sous le coup de la colère ne sont pas, pour autant, des parents maltraitants. La fessée ne doit être ni diabolisée ni banalisée.

N’est-il pas nécessaire de poser un interdit « officiel » sur ces châtiments corporels ?

CH : Ce qui menace aujourd’hui les enfants dans les familles, ce n’est pas la fessée mais le manque d’éducation. L’enfant souffre d’une absence de repères éducatifs et les parents ont de réelles difficultés à poser leur autorité. Tout simplement parce que le statut de l’enfant a changé. Auparavant, l’éducation s’apparentait souvent à du dressage. L’enfant devait se plier et exécuter sans discuter. Pour les parents, c’était simple, pas besoin d’expliquer. Avec Françoise Dolto, le regard sur l’enfant a changé. On a compris qu’il était un être à part entière, à écouter et à comprendre, mais aussi – et cette seconde partie de son discours est souvent occultée – un être en construction qui a donc besoin, fondamentalement, qu’on lui pose des limites pour qu’il puisse vivre en société. C’est sur cette nécessité de poser des interdits – avec conviction mais sans violence – que l’on doit aider les parents, sans les stigmatiser. L’idée de cette loi est d’autant plus problématique que, au-delà du cercle familial, il y a actuellement d’autres menaces plus graves qui pèsent sur les enfants.

C’est-à-dire ?

CH : Ce qui est grave aujourd’hui, c’est que la pauvreté se répand dans les familles et qu’on ne se rend pas compte à quel point cela pèse sur la construction des enfants. Un enfant doit apprendre qu’il ne peut pas tout avoir, mais quand il ne peut rien avoir, il ne se construit pas dans la compréhension de cette limite, il se construit dans la soumission à la frustration. Tout est faussé. Ce qui est grave, encore, c’est le chômage, avec des parents qui ont une image dégradée d’eux-mêmes et des enfants – je le constate en consultation – chez qui cela génère beaucoup d’angoisse. Ce qui est grave, toujours, c’est de détruire la justice des mineurs en revenant peu à peu sur sa spécificité, en voulant punir les enfants comme s’ils étaient des adultes. Ce qui est grave, c’est que l’école ait de plus en plus de mal à compenser les inégalités sociales, que l’on veuille instaurer un fichage des enfants dès trois ans parce qu’on estime que certains ont un comportement prédictif de la délinquance ! Ce qui est grave, enfin, c’est que l’on propose cette loi sur la fessée sans dire un mot sur la disparition du poste de défenseure des enfants… Bref, à mon sens, cette proposition de loi n’est qu’un alibi, une manière de se donner bonne conscience et de détourner l’attention d’autres sujets plus fondamentaux en matière de lutte contre la violence faite aux enfants.

Entretien réalisé par LM

(1) Dernier ouvrage paru : Grandir, les étapes de la construction des enfants, le rôle des parents. Éditions Fayard. 2009.


Faut-il une loi pour interdire la fessée aux enfants ?

Par Edwige Antier, pédiatre et députée titulaire (UMP) depuis juillet 2009

En quoi consiste votre proposition de loi ?

EA : Elle comporte un seul et unique article : « L’enfant a droit à une éducation non violente. Aucun enfant ne peut être soumis à des châtiments corporels ou à toute forme de violence physique. » Cet article est destiné à être inscrit dans le Code civil et à être lu lors des mariages, moment privilégié où le maire envoie un message aux époux mais aussi à toutes les familles, parents et grands-parents, qui sont dans la salle.

Pourquoi cette démarche aujourd’hui ?

EA : Voilà des décennies que je suis pédiatre et j’ai toujours été consciente de l’effet nocif des châtiments corporels. Maintenant que j’ai la chance d’être députée, mon premier geste est de mettre dans la loi ce qui est ma conviction profonde, d’autant plus que nous fêtons le vingtième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant. Enfin, cela a l’avantage de souligner le retard de la France par rapport aux dix-huit pays européens qui ont déjà signé, comme le réclame le Conseil de l’Europe, l’abolition des châtiments corporels.

Comment l’enfant vit-il la fessée ?

EA : Quand vous tapez sur la main de votre enfant de dix-huit mois qui essaie, par exemple, d’attraper votre téléphone, il y a dans son regard de l’amusement. Il en fait un jeu et recommence. En grandissant, il vous dira : « Même pas mal ! » Plus vous lui imposez votre volonté par la douleur ou l’humiliation, plus vous l’endurcissez. De plus, vous le rendez sournois car il va prendre l’habitude de tricher pour éviter les coups. Enfin, vous lui donnez la notion que les adultes, et en particulier ses référents fondamentaux que sont les parents, sont incohérents. La plupart des parents avouent ainsi ne pas donner beaucoup de fessées mais d’en faire souvent la menace jusqu’au jour où ils craquent. Mais pourquoi aujourd’hui et pas hier ? Pour l’enfant, c’est incompréhensible. Il voit juste qu’il reçoit une fessée parce que ses parents sont énervés. Mais, en aucun cas, il a l’impression d’avoir fait quelque chose de plus transgressant aujourd’hui qu’hier. Bien souvent, d’ailleurs, il ne se souvient même pas de la bêtise qui lui a valu une fessée.

La fessée ne peut-elle être un moyen de donner des limites indispensables ?

EA : Il faut donner des limites aux enfants, mais certainement pas par la fessée. Tout le monde est d’accord pour dire que cela ne sert à rien puisque les enfants recommencent… Elle est à exclure en toute circonstance. Il s’agit du respect de l’enfant. Les pédiatres ne diront jamais qu’il manque de fessées dans une famille, mais il peut, en revanche, y manquer de limites. Les parents d’aujourd’hui sont souvent passifs, ils laissent tout passer et d’un seul coup – virage à 180° – ça frappe ! Mettre une limite, ce n’est pas ça. C’est d’abord occuper suffisamment l’enfant qui a un appétit de découverte fantastique, lui donner des livres, faire des activités avec lui… En cas de provocation ou de colères incontrôlées, jouez l’exclusion. C’est vrai qu’il est parfois difficile de concilier éducation et activité professionnelle. Mais quand on rentre à la maison et qu’on a de jeunes enfants, il faut se résoudre à leur consacrer tout notre temps jusqu’au coucher. Nos enfants ne doivent pas être victimes de notre fatigue et de nos rythmes de vie.

Mais une loi est-elle vraiment la solution pour résoudre ces questions ?

EA : Une loi est indispensable. Inscrire cette abolition dans les textes fera changer les mentalités. C’est un signal fort. Maintenant, il ne s’agit pas, non plus, d’entrer dans les foyers et faire de l’inquisition ! Cet article n’est pas inscrit dans le Code pénal. J’y vois, moi, surtout l’occasion de développer la prévention et d’apprendre aux parents la parentalité positive. Vos collègues UMP vous soutiennent-ils ? EDWIGE ANTIER. Certains sont d’accord pour cosigner ma loi, d’autres ne prennent pas le temps d’entendre mes arguments et ont la nostalgie d’une autorité factice. Quant à Nadine Morano, elle ne s’est pas encore prononcée pour une abolition des châtiments corporels. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

Entretien par Laurent Mouloud

imprimer

retour au site