IAS 2009 : Le sida éclipsé par la crise et la grippe A

Publié le 22 juillet 2009 sur OSIBouaké.org

Libération - 21/07/2009 à 06h51 - Par Eric favereau - Le Cap (Afique du sud), envoyé spécial

Des mots terribles. Et une angoisse massive qui surgit pour les années à venir. Dimanche, lors de l’ouverture du cinquième congrès sur le sida   (lire encadré), la crainte était là, palpable. Comme un sinistre retour en arrière. Comme si ce qui avait été construit depuis quelques années pour enrayer l’épidémie de VIH   dans le monde, en donnant l’accès aux traitements dans les pays du Sud, était ouvertement menacé. Pour cause de crise financière mondiale, mais aussi en raison de la pandémie de grippe A qui risque, à l’automne, de bousculer l’ordre des priorités.

« Honte ». Au Cap, tous les orateurs se sont donné le mot. Dans un congrès à tonalité normalement très scientifique, le professeur Julio Montaner, président de l’International Aids Society (IAS), a quitté ses habits de chercheur. Non sans colère, il a lâché lors de la séance d’ouverture : « Ce mois-ci, il y a eu le sommet du G8. Les huit plus grandes économies mondiales ont rejeté le sida   de leur calendrier. Elles n’ont pas réitéré leur engagement pour l’accès universel aux traitements et à la prévention pour 2010. Ceci est totalement inacceptable. » Puis il a ajouté : « Au sommet du G8 en 2005 à Gleneagles, elles avaient pourtant pris cet engagement. Quatre ans plus tard, les voix de nos dirigeants politiques se sont éteintes. C’est une honte. » Peu après, le professeur sud-africain Hoosen Coovadia, co-organisateur, a surenchéri avec émotion : « On a besoin d’aide, on a besoin de vos aides. Le fossé énorme, qui existait entre les scientifiques et la société, était en train de se réduire. Et c’est maintenant que l’on veut arrêter. Je suis en colère. Dans mon pays où le combat pour la vie est si rude, que va-t-on dire ? Que, comme toujours, les pays riches ne tiennent pas leurs promesses ! »

De fait, la situation n’a jamais été aussi décisive. Depuis quelques années, la communauté internationale s’est pourtant lancée dans une mobilisation sans précédent pour combattre « la plus grande catastrophe sanitaire de l’humanité », selon l’expression de l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ). L’urgence était, il est vrai, criante. Près de 30 millions de personnes sont mortes du sida   depuis le début des années 80. En 2007, dans le monde, ce sont 33 millions de personnes qui vivaient avec le VIH  , dont 22 millions en Afrique subsaharienne. Chaque année, plus de 2 millions de personnes en meurent. Depuis dix ans, on estime qu’il y a entre 2,5 et 4 millions de nouvelles contaminations par an.

Trithérapie. Devant ce cataclysme, la riposte mondiale s’est traduite, entre autres, par la création du Fonds mondial contre le sida  , la tuberculose et le paludisme. Et par une montée en puissance de l’Onusida  , nouvelle structure regroupant toutes les agences internationales. Les résultats ont été spectaculaires : les trithérapies sont massivement arrivées et, fin 2007, plus de 3 millions de personnes étaient soignées dans les pays en voie de développement. Fin 2008, selon les chiffres que va annoncer l’OMS  , on aurait approché les 4 millions. Certes, nous sommes encore loin de l’objectif d’un accès universel pour tous - on estime qu’un tiers des personnes qui ont besoin d’un traitement en dispose -, mais cela marche. Les malades du Sud vont mieux. Pour la première fois, en 2008, la courbe de l’épidémie mondiale s’est inversée. Dans certains pays d’Afrique, la courbe de l’espérance de vie commence à remonter.

« Et c’est à ce moment-là que l’on veut arrêter la dynamique, note le professeur Jean-Paul Moatti, économiste de la santé. C’est de la folie. D’autant plus qu’aujourd’hui on sait que plus les populations sont sous traitements, moins l’épidémie se propage. » Au congrès du Cap, le professeur Reuben Granich de l’OMS   a ainsi pu détailler une projection mathématique : « Si l’on poursuit la stratégie de traiter tous les patients, avec à côté une politique forte de dépistage et de prévention, entre 2008 et 2050 on pourrait éviter plus de 7 millions de morts. » Et ce chercheur de préciser : « On baisserait aussi de 95 % le nombre de nouveaux cas en dix ans. Certes les investissements augmenteraient, mais avec le ralentissement de l’épidémie, il y aurait des bénéfices induits énormes. »« C’est une course de vitesse. Il faut aller plus vite que l’épidémie, insiste Jean-Paul Moatti. Mais pour y parvenir, la mobilisation internationale nécessite, pendant quelques années, des financements en croissance. »

Or, de tous côtés, le climat est aux restrictions. Et le risque de stagnation des sommes engagées est patent (lire page 3). Au Cap, une étude a été présentée sur l’investissement dans la prévention contre le VIH   : « Pour la première fois, en 2008 les fonds sur la recherche pour un vaccin ont diminué de 10 % par rapport à 2007 », a noté le chercheur.

Choix. Plus inquiétant est ce qui se joue actuellement sur les traitements. Schématiquement, dans les pays du Sud, le patient reçoit au départ une trithérapie dite de première ligne : celle-ci est efficace, économique (moins de 200 dollars par an). Mais pour 10 % des patients, il faut au bout d’un certain temps en changer pour passer à une trithérapie dite de seconde ligne. Celle-là est beaucoup plus chère, « entre 6 et 40 fois plus », selon l’Onusida  .

Que va-t-il se passer en temps de rigueur financière ? « On va devoir faire des choix impossibles », s’alarme le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence française de lutte contre le sida  . « Faudra-t-il, dans les pays pauvres, choisir entre inclure de nouveaux patients ou bien changer de traitement pour certains patients qui en ont besoin ? » Au Cameroun, il n’y a pas un euro de disponible pour prendre en charge un nouveau patient sous traitement à partir du 1er janvier 2010.

Partout, cette crainte nouvelle de manquer de financements induit de nouveaux comportements. On commence à grignoter, pire, à s’adapter. Déjà, l’OMS   continue de préconiser dans les traitements de première ligne l’utilisation d’une molécule (la d4T) car elle est peu chère. Les associations de lutte contre le sida   dénoncent, pourtant, les effets secondaires de cette molécule. Dans au moins six pays africains, l’ONG Médecins sans frontières a pointé des ruptures d’approvisionnement de médicaments.

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