Côte d’Ivoire : Eviter les « élections à tout prix », selon les organisations pour les droits humains

Publié le 13 novembre 2008 sur OSIBouaké.org

Dakar, 3 novembre 2008 (Irin) - Tandis que les Ivoiriens se demandent combien de temps ils devront patienter avant les prochaines élections présidentielles, attendues de longue date, les organismes de défense des droits humains ont prévenu que si les élections n’étaient pas justes, le pays serait plongé dans le chaos.

Selon eux, trop d’étapes cruciales, notamment celles du désarmement et de la réunification du pays, n’ont pas encore été franchies et le climat d’incertitude actuel n’est pas propice à des élections dignes de ce nom.

« D’aucuns pensent que la simple tenue des élections rétablira automatiquement le calme et assurera la réconciliation », a expliqué à IRIN Ahui Camille, de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO). « Mais aller aux urnes sans une amélioration de la situation dans le pays serait futile. et dangereux ».

Si les Ivoiriens ne manquent pas de faire remarquer que ces élections présidentielles ne sont pas la panacée, le scrutin est tout de même perçu comme indispensable au rétablissement de la stabilité dans le pays.

Après plusieurs annulations, les élections ont été officiellement prévues pour le 30 novembre. Nombreux sont ceux qui s’attendent néanmoins à un nouveau report. Si le gouvernement n’a pas officiellement reporté le scrutin, le Premier ministre Guillaume Soro a en effet déclaré récemment à un organe de presse local qu’une nouvelle date serait sans doute annoncée bientôt.

Dans un rapport publié en octobre 2008, la LIDHO, la Fédération internationale des droits de l’Homme et le Mouvement ivoirien des droits de l’Homme ont indiqué que si les politiciens et les observateurs des Nations Unies en Côte d’Ivoire imputaient ces retards essentiellement à des « problèmes techniques », de nombreuses circonstances bien plus préoccupantes empêchaient le progrès et la réconciliation dans le pays.

Parmi ces circonstances figurent l’incapacité à rétablir l’autorité de l’Etat dans la région nord, aux mains des rebelles, l’aggravation des conditions de sécurité, l’interruption du processus d’inscription sur les listes électorales, l’absence d’une armée unifiée et un processus de désarmement/démobilisation au point mort.

Les organismes ont mené une mission d’évaluation en Côte d’Ivoire du 27 septembre au 6 octobre.

« Seule une vraie volonté politique permettra de surmonter toutes ces difficultés », pouvait-on lire dans leur rapport. « Le but n’est pas d’organiser des élections pour organiser des élections ».

Les organismes appellent la communauté internationale à ne pas soutenir la tenue « d’élections à tout prix ».

Les rebelles encore au pouvoir

« Organiser des élections sans une bonne préparation serait comme donner de l’eau empoisonnée à boire à un peuple assoiffé », a déclaré à IRIN Konin Aka, préfet de la ville de Bouaké, dans le centre du pays.

Bouaké est le bastion des rebelles qui ont pris le contrôle du nord ivoirien après la tentative de coup d’Etat de 2002. À Bouaké ainsi que dans d’autres grandes villes du nord, ce sont les chefs rebelles, et non les responsables réaffectés par les autorités publiques, qui sont encore au pouvoir, selon les habitants de la région nord.

Le redéploiement de l’administration dans le nord est un des piliers de l’accord de paix de Ouagadougou signé par les rebelles et le président Laurent Gbagbo en mars 2007. Dans son rapport du 13 octobre sur la Côte d’Ivoire, Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations Unies, a néanmoins indiqué que l’absence de l’autorité étatique dans le nord était préoccupante.

Les responsables des autorités publiques réaffectés dans le nord, notamment les préfets « ne sont toujours pas en mesure d’exercer une véritable autorité, les commandants de zone [rebelles] des Forces nouvelles étant réticents à renoncer à leur autorité administrative, sécuritaire et financière dans les régions sous leur contrôle ».

Les armes abondent

Le Secrétaire général a également déclaré que le désarmement stagnait. Selon son rapport, le 1er octobre, 7 598 anciens rebelles avaient choisi d’être démobilisés, sur les 34 678 déclarés par le mouvement. « Seules 10 armes et quelques munitions ont été restituées », d’après le rapport.

En ce qui concerne le désarmement des milices, M. Ki-moon a également déclaré : « Le gouvernement n’a pas encore pris de dispositions en vue du désarmement, du démantèlement et de la réinsertion des membres des milices ».

Les attaques armées sont fréquentes dans l’ensemble du pays, et compromettent gravement les moyens de subsistance des populations. Les camions de marchandises et les bus publics font presque chaque jour l’objet d’attaques menées par des individus armés de kalachnikovs, selon les habitants.

« Cette année, nous avons constaté une augmentation troublante de la violence et des crimes contre l’Ivoirien lambda, dont bon nombre sont commis par les membres des factions belligérantes qui ont refusé de s’engager véritablement en faveur du processus de désarmement », a expliqué à IRIN Corinne Dufka, chercheuse principale pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch.

L’organisme surveille attentivement le climat préélectoral en Côte d’Ivoire. « Les élections et les armes ne font tout simplement pas bon ménage », a-t-elle ajouté. « S’il y a le moindre espoir d’organiser les élections libres, justes et pacifiques que le peuple ivoirien mérite, le gouvernement et les rebelles doivent cesser d’invoquer des excuses et entamer immédiatement le processus de désarmement ».

Le président Gbagbo a été élu à l’issue du scrutin de 2000, qu’il avait remporté face à Robert Gueï, le premier leader du pays investi de ses fonctions à la suite d’un coup d’Etat. Le mandat du président Gbagbo, qui aurait dû s’achever en 2005, a été prorogé d’un an en vertu d’un plan de paix onusien.

Depuis lors, plusieurs accords de paix ont échoué et les élections ont été programmées et annulées à maintes reprises.

« Les Ivoiriens ont le droit de choisir leur dirigeants politiques », a estimé Mme Dufka. « En Côte d’Ivoire, ce droit fondamental aurait précisément dû être exercé il y a trois ans déjà. Il est temps d’engager véritablement ce processus ».

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