Cameroun : la transmission du VIH, une responsabilité à partager ?

« La personne infectée a l’obligation de protéger et d’amener son partenaire à se faire dépister, mais cela ne doit pas dédouaner le partenaire qui a la responsabilité de se protéger »

Publié le 3 novembre 2008 sur OSIBouaké.org

Douala, 30 octobre 2008 - PlusNews - Une proposition de loi réprimant la transmission volontaire du VIH   continue de susciter le débat entre ceux pour qui la responsabilité de la prévention du VIH   devrait être partagée entre les partenaires sexuels, et ceux qui y voient un moyen de limiter la propagation du virus, et même de protéger les personnes séropositives d’éventuels abus.

L’avant-projet de loi, proposé il y a six ans par le gouvernement camerounais, prévoyait entre autres « l’emprisonnement à vie [pour] celui qui se sachant porteur du VIH  /SIDA  , entretient des relations sexuelles non protégées et transmet l’infection par le VIH  /SIDA   à une autre personne ». Le texte précisait que si ces relations n’avaient pas occasionné l’infection, la peine serait de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à un million francs CFA (1 900 dollars).

Dès l’annonce de ce projet en 2002, certains acteurs de la lutte contre le sida   l’ont immédiatement condamné.

« Nous étions fermement opposés à l’idée de pénaliser la transmission volontaire du VIH  , à cause notamment des difficultés à prouver le caractère intentionnel ou volontaire de l’acte ; du renforcement du préjugé selon lequel les personnes vivant avec le VIH  /SIDA   sont des ‘méchants’ ; de la déresponsabilisation des personnes séronégatives et de la brutalité de la sanction pénale », a expliqué à IRIN/PlusNews Jean Marie Talom, juriste et coordonnateur du Réseau sur l’éthique, le droit et le sida   (REDS).

« Une telle loi ne pourrait avoir qu’un effet très limité et ne pourrait à elle seule contenir la dynamique actuelle de la pandémie du sida   dans notre pays », a-t-il ajouté.

Les détracteurs d’une loi sévère redoutent notamment qu’elle n’aggrave la stigmatisation des personnes séropositives, et craignent que cela n’anéantisse les efforts déployés par les acteurs de la lutte contre le sida   depuis des années pour amener les populations à considérer le VIH  /SIDA   comme n’importe quelle autre maladie chronique.

Criminaliser le VIH   « reviendrait à faire du sida   une maladie spéciale », a estimé le docteur Steave Nemande, médecin et militant des droits de l’homme, pour qui une telle loi risque de détourner les personnes des centres de dépistage.

« [Au Cameroun], la stigmatisation des personnes séropositives est encore très importante et on n’a pas besoin d’en rajouter en criminalisant la transmission du VIH   », a renchéri Emmanuelle Privat, chef de mission adjointe de l’organisation internationale Médecins Sans Frontières au Cameroun.

Partager la responsabilité

Les détracteurs de la loi estiment que cette dernière risque de « déresponsabiliser » les personnes séronégatives. « La protection contre le sida   est une question de responsabilité individuelle », a estimé Mme Privat.

Lucie Zambou, présidente du Réseau camerounais des associations de personnes vivant avec le VIH  /SIDA  , RECAP+, a également insisté sur le partage des responsabilités, dans le cadre de relations sexuelles consenties.

« La personne infectée à l’obligation de protéger et d’amener son partenaire à se faire dépister, mais cela ne doit pas dédouaner le partenaire qui a la responsabilité de se protéger », a-t-elle dit.

Mme Zambou a reconnu que dans la mesure où de nombreuses femmes n’avaient pas d’indépendance financière et ne disposaient pas du pouvoir de négociation de leurs relations sexuelles, « il est extrêmement difficile de parler de responsabilité partagée à partir du moment où ces femmes sont désarmées et sont obligées de subir ».

Tout en soutenant l’idée d’une meilleure protection des personnes vulnérables, Mme Zambou, en tant que présidente de Sunaids, une association d’accompagnement des personnes vivant avec le VIH  , a dit avoir souvent rencontré des cas où des messages appelant les femmes à plus de responsabilité et à la résistance auraient pu permettre de leur éviter l’infection.

Eviter les abus

Pour les autorités sanitaires, la pénalisation de la transmission volontaire constitue un outil de dissuasion qui permettrait de protéger les personnes séronégatives et de limiter la propagation de la maladie.

« On ne peut pas laisser impunis de tels actes qui vont à l’encontre des efforts consentis pour limiter la propagation du sida   », a estimé Carno Tchuani, chef de l’unité planification, suivi et évaluation de l’antenne du Comité national de lutte contre le sida   (CNLS) dans la Province du littoral, tout en reconnaissant qu’il est « très compliqué » de prouver l’infraction, « notamment en matière d’infection par voie sexuelle ».

Les autorités ne sont pas seules à défendre l’idée d’une loi. Lorsque le REDS s’est lancé dans son plaidoyer contre l’avant-projet de loi, a raconté M. Talom, « à notre grande surprise, la majorité des organisations de la société civile, dont les associations de personnes vivant avec le VIH  /SIDA  , ont soutenu l’idée de la pénalisation de la contamination volontaire du VIH  . Nous avons dû nous plier à [leur] volonté ».

Si loi il doit y avoir, il faut au moins qu’elle permette de protéger les personnes séropositives autant que les personnes non infectées : les acteurs de la société civile ont donc multiplié les concertations depuis 2002 pour trouver un consensus et aboutir à une contre-proposition.

« Nous avons suggéré entre autres la modération des peines, l’introduction de la notion de responsabilité partagée et le changement du titre de l’avant-projet de loi pour montrer qu’il s’agit des droits et obligations des personnes séropositives et séronégatives, et pas uniquement ceux des personnes vivant avec le VIH  /SIDA   », a expliqué M. Talom.

Une loi aurait le mérite de combler le vide juridique qui existe actuellement en matière de VIH  /SIDA   et favorise les abus, a-t-il reconnu.

Il a cité l’exemple d’une femme condamnée à mort en 2004 au Cameroun, pour transmission volontaire du VIH  . La décision avait été rendue par le tribunal de Nkongsamba, une localité située à une centaine de kilomètres de Douala, le grand port commercial camerounais.

« Le juge avait profité du vide juridique pour prononcer une sentence émotionnelle », a commenté M. Talom.

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