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Sarkozy l’Africain fait grincer des dents

Au Gabon, vendredi, le Président a assumé ses propos sur la colonisation.


Libération, par Thomas Hofnung (envoyé spécial), samedi 28 juillet 2007

Chanson composée spécialement pour lui, honneurs militaires, foule des grands jours agitant de petits drapeaux français : le président du Gabon Omar Bongo, qui avait tant désiré la visite de son homologue français, a réservé un accueil royal, vendredi à Libreville, à Nicolas Sarkozy. La chaleur des Gabonais, même orchestrée par le pouvoir, a dû lui mettre du baume au cœur. Au lendemain d’une étape ratée au Sénégal, la presse de Dakar n’a pas été tendre avec le chef de l’Etat français. Son adresse aux « jeunes d’Afrique », prononcée à l’université Cheikh Anta Diop, est mal passée auprès des principaux intéressés. Elle a été qualifiée d’ « injure » par le quotidien Sud. « Les jeunes Sénégalais attendaient tout autre chose qu’un cours magistral sur la colonisation et le malheur africain », déplore Fatou, une journaliste d’une radio dakaroise. Péremptoire. Dans un discours historico-philosophique, Nicolas Sarkozy s’est employé à reconnaître les « torts » de la colonisation pour mieux inviter les Africains à se tourner vers l’avenir. Sa réflexion, parsemée de jugements péremptoires sur « l’Africain » qui doit « entrer davantage dans l’histoire », autrement dit accepter le progrès, a autant surpris que heurté les sensibilités à Dakar. « Jamais [l’Africain] ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin », a dit le Président dans un discours rédigé par le conseiller spécial Henri Guaino. Un proche du président justifie la parole présidentielle : « Nicolas Sarkozy n’est pas venu dire aux Africains ce qu’ils ont envie d’entendre. Vous vouliez qu’il fasse un discours de sous-secrétaire d’Etat aux affaires africaines ? Il a livré sa vision du continent et indiqué ce que nous pouvions faire ensemble. » Mais aux yeux des Sénégalais, Nicolas Sarkozy, qui affirme rejeter un « paternalisme [.] qui a fait beaucoup de tort à la relation entre la France et l’Afrique », a donné l’impression inverse : celle du « grand chef blanc » venu asséner ses vérités aux « petits frères » africains. Interrogé à Libreville par la presse sur les critiques de la presse dakaroise, Sarkozy a assumé ses propos : « On ne peut pas tout mettre sur le compte de la colonisation. La corruption, les dictateurs, les génocides, ce n’est pas la colonisation. » Immigration concertée. Finalement, c’est à travers le prisme économique et financier que le président Sarkozy a été le plus à l’aise pour aborder un continent qu’il connaît peu. Outre la réaffirmation de sa conception de l’immigration « concertée », le chef de l’Etat a assuré que la France ne pouvait que se réjouir de l’arrivée de nouveaux concurrents, tel que la Chine, pour autant que « les règles soient les mêmes pour tous ». La dernière étape de son voyage, au Gabon, lui a donné l’occasion d’évoquer les questions de développement durable, lors de la visite d’une forêt à la périphérie de Libreville. Le président a annoncé que 50 millions d’euros de la dette gabonaise seraient convertis en investissements pour la gestion durable des forêts. Or noir. Au Gabon, le bois représente le deuxième secteur économique, derrière le pétrole. Un or noir qui, avec l’aide d’Elf, aurait dû propulser le pays d’Omar Bongo au rang d’émirat de l’Afrique. Mais il n’en a rien été. Pour se rendre dans la forêt de la Mondah, les présidents Sarkozy et Bongo ont pris l’hélicoptère afin de contourner une route truffée d’ornières. Nicolas Sarkozy n’aura passé que quelques heures au Gabon, au grand dam de Bongo, qui souhaitait le voir passer au moins une nuit sur place. Comme à Dakar. Visiblement, le président français ne voulait pas s’attarder chez son hôte qui incarne à lui seul une relation franco-africaine d’une autre époque.


« Place à la Sarkafrique ! »

Libération, vendredi 27 juillet 2007, http://www.liberation.fr/actualite/monde/269424.FR.php

Au lendemain de la visite de Nicolas Sarkozy au Sénégal, la plupart des quotidiens privés sénégalais sont indignés par le discours prononcé la veille par le Président français.

« En visite d’Etat au Sénégal, Sarkozy fait la leçon aux Africains », affiche vendredi en première page le quotidien sénégalais Walf Fadjri, au lendemain du discours du Président français à Dakar. Une « adresse aux Africains » muée en « leçon de français », ironise Le Quotidien. Pour l’Observateur, « Show à Dakar : Sarko sur scène ».

Le président français s’est cru en « mission civilisatrice », affirme Sud Quotidien, également à la une, tandis que Le Populaire, moins nuancé, titre : « Les vérités (résumées) de Sarkozy aux Africains : "Arrêtez de pleurnicher !" »

Ces points de vue sont largement partagés dans les autres journaux, à l’exception du quotidien pro-gouvernemental Le Soleil, qui parle, lui, de « hauteur républicaine » dans un éditorial consacré à la visite de Sarkozy.

« Quand je l’ai entendu parler aux étudiants, dans un amphithéâtre plein à craquer, j’ai pensé à ces missionnaires venus en Afrique "civiliser" nos arrière-grands-parents (...) Des clichés, encore des clichés, toujours des clichés. Quelle injure ! », s’offusque l’éditorialiste de Sud Quotidien.

Selon Walf Fadjri, Nicolas Sarkozy « n’a pas fait dans la dentelle pour dire ce qu’il pense de l’état actuel de l’Afrique » dans son discours prononcé à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, en présence de nombreux étudiants, et aussi d’universitaires et de personnalités politiques. « Sans ambages, il a tenu les Africains pour responsables de leurs malheurs », ajoute Walf Fadjri. « A défaut de la Françafrique qu’il honnit, place à la Sarkafrique ! », ironise Sud Quotidien.


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 4 août 2007

 

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