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Mozambique : Les orphelins, dépossédés de leurs biens


Catandica, 27 décembre 2007 (PLUSNEWS)

Dans une ferme du district de Bárue, dans la province centrale de Manica, Helena Ivan, 16 ans, se hâte de rentrer chez elle, un petit ballot sur la tête. Après plusieurs heures passées à emballer des pommes de terre, elle a le droit d’en prendre quelques-unes pour elle et ses deux frères, dont elle s’occupe depuis le décès de ses parents, emportés par des maladies opportunistes en 2005.

De tous les biens laissés par le père et la mère d’Helena - un kiosque, une maison, un minibus et quelques chèvres - les enfants n’ont reçu que la maison, et ce uniquement parce qu’elle avait été mise au nom du plus jeune d’entre eux, Januário, aujourd’hui âgé de 12 ans.

« Mes oncles ont pris le reste. Ils ont dit que nous n’étions pas assez âgés pour faire tourner la boutique, mais ils ne viennent jamais nous donner de l’argent pour vivre, et quand on va les voir pour leur demander des provisions, ils disent qu’ils n’ont pas d’argent », a raconté Helena.

Selon une étude publiée récemment par l’organisation internationale à but non-lucratif Save the Children et menée dans quatre districts du Mozambique, dont Bárue, les veuves et les orphelins sont souvent dépossédés de leurs biens par les membres de leurs familles. Et les biens accaparés sont rarement récupérés.

Au Mozambique, les cas de déshéritement sont répandus, conséquence du taux élevé de mortalité liée au sida  . Les statistiques officielles révèlent que 1,6 million des plus de 10 millions de Mozambicains âgés de moins de 18 ans sont orphelins. Sur ce total, 380 000 auraient perdu un ou leurs deux parents des suites du sida  .

L’étude montrait par ailleurs que l’explosion du nombre d’orphelins était à l’origine d’un effondrement des structures de soutien familial, qui servaient traditionnellement de filet de sécurité aux veuves et aux orphelins.

Une faible connaissance de la loi

Au Mozambique, le Code civil ainsi qu’un Code de la famille adopté en 2004 stipulent qu’en cas de décès, les enfants et le conjoint du défunt sont les premiers héritiers de tous ses biens et propriétés.

Néanmoins, il est rare que les héritiers légitimes portent plainte au pénal lorsque les membres de leur famille se saisissent de ces biens, par peur des représailles ou tout simplement parce qu’ils ignorent leurs droits et l’existence d’institutions susceptibles de leur venir en aide.

Selon l’étude, moins de la moitié des 376 personnes interrogées à Bárue connaissaient les lois sur l’héritage.

Toujours d’après l’étude, au Mozambique, comme dans presque toute l’Afrique, trois systèmes régissent l’héritage, simultanément et souvent de manière contradictoire : le droit écrit, le droit coutumier et la loi religieuse.

Selon le droit coutumier, dans une société patrilinéaire telle que celle de Bárue, la propriété et la filiation sont transmises par les hommes. L’on présume que les filles et les veuves vont sans doute se remarier, auquel cas les biens hérités n’appartiendront plus à la famille du défunt. Dès lors, les hommes héritent de la maison, des terres, du bétail et d’une majorité de l’argent laissé par le défunt ; les femmes reçoivent le matériel de cuisine, les vêtements et toutes autres terres et propriétés.

La polygamie, courante dans les quatre districts où l’étude a été menée, est une source de complications supplémentaire. Les hommes peuvent avoir trois épouses ou plus, et de nombreux enfants. Généralement, la première épouse a davantage de pouvoir et d’influence, et peut être la seule à connaître l’étendue totale des biens du mari.

Autre problème : il est rare que les défunts laissent des testaments écrits. A Bárue, huit personnes interrogées sur 10 trouvaient normal de ne désigner qu’à l’oral les bénéficiaires de leurs biens. Néanmoins, seul un document écrit a valeur au regard de la loi.

A Catandica, siège du district de Bárue, les jeunes de l’association Rukariro, une organisation non-gouvernementale (ONG) locale, se rendent auprès de patients atteints de maladies opportunistes pour les encourager à rédiger leurs testaments. Ils leur en présentent les avantages et leur expliquent comment les rédiger, mais la réaction a été lente.

« La rédaction d’un testament est un processus compliqué auprès des tribunaux, qui s’occupent [déjà] des affaires de crimes et de litiges », a expliqué Alberto Mapondera, le coordinateur du groupe. « Cela les oblige à retourner au tribunal à maintes reprises pour obtenir un testament ».

Forte prévalence, aide limitée

Selon les estimations, Bárue, qui compte environ 96 000 habitants, affiche une prévalence du VIH   de 19,3 pour cent, un taux supérieur à la moyenne nationale de 16,2 pour cent.

« Davantage d’adultes meurent du sida  , et les enfants se retrouvent sans protection familiale et vulnérables aux maltraitances, à l’exploitation sexuelle et à l’exploitation par le travail », explique Judas Massingue, assistant VIH   et sida   pour Save the Children-Norvège, à Manica.

Castigo Américo, 13 ans, et Frederico Manuel, 16 ans, ont été accueillis par des voisins au décès de leurs parents. En échange de nourriture, ils ont arrêté l’école et se sont mis à travailler dans des fermes et à vendre des pâtisseries au marché de Bárue.

« Je ne sais pas où sont passés les biens qui étaient dans notre maison. Tout ce que je sais, c’est que la maison a été louée. Mon oncle n’est jamais revenu me voir. C’est lui qui m’a demandé de rester chez les voisins », a raconté Frederico.

« J’ai arrêté l’école parce que la femme avec qui je vivais disait que je devais aider à entretenir le potager et vendre des marchandises au marché pour participer aux frais ménagers », a-t-il ajouté

Pour M. Massingue, « il est urgent de transmettre aux organisations qui aident les orphelins les connaissances juridiques nécessaires pour les défendre ».

Depuis 2004, Foro Mulher, une ONG locale, distribue des manuels en langues locales sur les droits à l’héritage et le code de la famille aux chefs des communautés, pour les guider sur la manière de protéger les veuves et les orphelins.

La bonne nouvelle, selon l’étude, c’est que dans certains villages, les pratiques traditionnelles évoluent, en s’adaptant à la loi et en prenant en compte l’impact de l’épidémie. « La culture est dynamique [.], et dans certains cas, les chefs traditionnels aident vraiment les enfants et les femmes », concluait l’enquête.


Publié sur OSI Bouaké le lundi 31 décembre 2007

 

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