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La santé des migrants séropositifs en panne au "pays des droits de l’homme"


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Paris, 9 novembre 2007 - « Durcissement » et « régression » font partie des mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche des associations travaillant avec les migrants en France, lorsqu’elles évoquent la situation des immigrés séropositifs en situation irrégulière au cours des dernières années dans l’hexagone.

En vertu de deux lois promulguées en 1997 et 1998, un immigré en situation irrégulière en France souffrant d’une maladie grave et n’ayant pas d’accès effectif aux soins dans son pays d’origine, ne peut être expulsé et a le droit de recevoir des soins à travers un mécanisme appelé Aide médicale d’Etat (AME  ), a rappelé l’Observatoire (français) du droit à la santé des étrangers (ODSE).

Mais avec le renforcement de la politique française en matière d’immigration, les expulsions d’étrangers en situation irrégulière en France se sont multipliées ces dernières années -conformément aux directives du gouvernement français dont l’objectif est de « reconduire aux frontières » 25 000 personnes en 2007- et ce mouvement n’a pas épargné des migrants infectés au VIH  .

En dépit d’une circulaire de 2005 qui recommande de ne pas expulser des personnes infectées au VIH  , selon les associations qui s’occupent des migrants en France, au moins trois étrangers dont la séropositivité était connue des médecins inspecteurs de santé publique ont été « éloignés » au cours du seul premier trimestre 2007.

Deux Africains en ont fait les frais. L’un d’entre eux a pu revenir, grâce à la mobilisation du milieu associatif, mais n’a pas souhaité s’exprimer, tandis que l’autre est « perdu de vue ». Fatma [1] , une ressortissante turque, divorcée et mère d’une fille, est la troisième.

En février 2007, elle reçoit l’ordre de quitter le pays. Le 15 mars, la police vient l’arrêter, en dépit du recours qu’elle a déposé contre cette décision, et elle est placée en rétention. « Ni repas, ni eau ne me sont proposés », a raconté Fatma. « Sans médicaments, je suis déjà en rupture de traitement [antirétroviral, ARV  ] ».

Fatma est alors expulsée par avion vers la Turquie. Accueillie par sa famille qui vit dans une petite localité, elle tente immédiatement de reprendre son traitement au centre sanitaire local, mais est rejetée par le personnel.

Sans ressources, Fatma n’a pas les moyens de se rendre à Ankara, la capitale, ou de s’offrir les services d’un centre privé. Le directeur des services de santé de la localité où elle réside lui déclare que « les médicaments sont trop chers, et de toute façon tu es debout, tu n’es pas mourante ! »

En août 2007, grâce à l’intervention d’activistes, les autorités françaises reconnaissent la validité du recours déposé par Fatma et autorisent cette dernière à revenir en France. Au total, elle aura connu une rupture de traitement de près de six mois -l’interruption d’un traitement ARV   met la vie du patient en danger et entraîne un risque de développement de résistance aux médicaments.

Etre informé de ses droits

Dans la majorité des cas, l’un des principaux obstacles auxquels sont confrontés les migrants séropositifs en France est l’information. Selon la dernière ‘Enquête européenne sur l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière’ menée par l’organisation Médecins du monde (MDM) et publiée en septembre 2007, « [près de 68] pour cent des étrangers ignorent qu’il est possible d’avoir des traitements gratuits contre le VIH   en France ».

C’est généralement par son entourage que le migrant est informé, a remarqué Guy Delbecchi, cadre infirmier au Comité médical pour les exilés (COMEDE), mais une fois que la barrière de l’information est franchie, les difficultés ne font que commencer.

D’après les statistiques de l’administration française, 192 000 personnes en France bénéficiaient en mai 2007 de l’AME  , qui permet à tout étranger sans papiers pouvant justifier d’une présence de plus de trois mois sur le territoire français et dont les revenus mensuels sont inférieurs à 600 euros (880 dollars) de bénéficier d’une couverture santé gratuite.

A la difficulté de prouver sa présence sur le territoire français s’ajoute la diversité des consignes internes aux administrations chargées de délivrer l’AME  , dont certaines réclament une « preuve de séjour irrégulier », a rapporté M. Delbecchi.

Même lorsqu’ils disposent de l’AME  , les migrants malades sont parfois confrontés à la discrimination exercée par certains professionnels de la santé.

« Il y a peu, un homme [migrant] m’a montré son attestation d’AME  ... pour me dire que cela ne marchait pas à la pharmacie. Il avait déjà fait trois ou quatre pharmacies », qui refusaient de lui délivrer ses médicaments, a raconté M. Delbecchi.

Une enquête menée en 2006 par MDM a révélé que 37 pour cent des médecins généralistes interrogés refusaient également de soigner des patients titulaires de l’AME   : un phénomène d’autant plus regrettable dans le cas du VIH   que les étrangers séropositifs en situation administrative précaire sont « sur-représentés » par rapport à la population générale en France, avec une fréquence 19 fois supérieure, selon MDM.

Régulariser sa situation

Pour régulariser son séjour, l’étranger en situation précaire doit obtenir une Carte de séjour temporaire, d’une durée d’un an, ou à défaut une Autorisation provisoire de séjour (APS) d’une durée de trois à six mois. Dans la pratique, c’est cette dermière qui est le plus souvent délivrée, parfois à répétition, entretenant ainsi le demandeur dans une précarité quasi-permanente.

Serge*, un Burkinabè séropositif d’une cinquantaine d’années, reconnaît que sur ce point, il a « eu beaucoup de chance ». « J’ai été accompagné très tôt par [l’organisation] Act Up », a-t-il expliqué.

Lorsqu’une deuxième APS lui a été proposée, après 18 mois de séjour en France, « le camarade d’Act Up qui était là est tout de suite monté au créneau... et [les responsables administratifs] ont accepté de me donner une carte de séjour d’un an. Seul, je n’aurais même pas eu le courage de discuter », a-t-il dit.

Car le problème des APS est qu’elles ne sont remises avec autorisation de travail que dans 60 pour cent des cas, selon le COMEDE, et que ce droit au travail est indiqué par une simple mention manuscrite sur le document, a noté Act Up, ce qui a pour effet de compliquer la recherche d’emploi des migrants -donc leur capacité à subvenir à leurs propres besoins et à s’insérer dans la société.

« Personne ne veut vous employer avec ça, vous ne pouvez même pas ouvrir un compte [bancaire] », a confirmé Serge.

Des mesures renforcées

D’autre part, début 2007, les associations ont découvert et dénoncé l’existence de « fiche-pays » officieuses, censées recenser « l’offre de soins et sa répartition géographique » dans les pays d’origine des migrants, selon l’ODSE, et diffusées sur les circuits internes des ministères de l’Intérieur et de la Santé.

Les médecins inspecteurs de la santé publique peuvent, à la lecture de ces fiches -dont les associations contestent l’exactitude- délivrer un avis favorable, ou non, au permis de séjour en France d’un migrant malade.

Ces « fiche-pays » ne prennent pas en compte le VIH   et la tuberculose, a précisé Adeline Toullier, de l’ONG française AIDES, en raison d’un « interdit fondamental à propos du VIH   », mais cela ne clarifie pas pour autant la situation, au contraire : l’appréciation du dossier du migrant infecté au VIH   « se fait donc au cas par cas », a-t-elle expliqué, aboutissant parfois à des situations comme celle de Fatma.

Interrogé sur le cas de Fatma, un officiel de l’administration a insisté sur le fait que l’erreur liée à la validité du recours déposé par Fatma avait été reconnue, et a souligné qu’en raison du secret médical, les services administratifs chargés de prononcer une expulsion n’avaient pas d’informations sur la pathologie dont souffrait le migrant concerné.

« Nous avons le rapport d’une personne compétente [le médecin inspecteur] qui nous dit si la maladie qui affecte cette personne peut ... être traitée dans son pays ou pas. En fonction de cette réponse, l’administration prend les décisions qui s’imposent », a dit cet homme, qui n’a pas souhaité être cité. « Si le médecin dit que [le migrant malade] peut se faire soigner dans son pays, il n’y a pas de raison de penser que cela met en péril la santé [ou] la vie de la personne en question ».

Un climat de peur

D’après les associations, le renforcement de la politique française en matière d’immigration est à l’origine des « dérives » constatées dans le traitement des dossiers des migrants malades -L’ODSE a recensé des cas de malades expulsés malgré l’avis défavorable émis par les médecins inspecteurs- et du climat de suspicion générale.

Les récentes arrestations d’étrangers dans des lieux auparavant épargnés, comme des écoles ou des lieux de distribution d’aide alimentaire, ont eu pour conséquence de créer un climat de peur chez ces migrants qui, même malades, se terrent et ne viennent plus chercher des soins, ont déploré les associations.

Alors que la demande de soins avait toujours été en hausse constante au cours des dernières années, en 2006, le nombre de consultations dans les dispensaires de MDM a diminué de 16 pour cent, s’est inquiété le dernier rapport de l’organisation médicale.

Au cours des dernières années, des circulaires successives -comme celle de février 2006 qui autorise la police à interpeller les migrants jusque dans les hôpitaux- et de fortes pressions politiques ont entraîné un changement de mentalité des fonctionnaires chargés de l’immigration, ont affirmé les associations, au détriment du droit à la santé des personnes malades.

Pour Nathalie Simonnot, de MDM, c’est comme si « le message [était] : vous pouvez faire n’importe quoi, vous devez faire tout et n’importe quoi, tout est ouvert, même les blocs opératoires, foncez ! ».


[1] Les noms ont été changés


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 9 novembre 2007

 

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