Les laboratoires, de la charité au partenariat
Article paru dans l’édition du Monde du 27.02.07
Longtemps, les laboratoires pharmaceutiques ont pratiqué la charité vis-à-vis des populations démunies d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine. Aventis Pasteur donnait des vaccins, Merck agissait contre l’onchocercose, Novartis contre la lèpre...
Mais la montée des préoccupations humanitaires dans les pays du Nord (développement durable, altermondialisme, commerce équitable...) et surtout le choc en retour du procès intenté par l’industrie pharmaceutique mondiale à l’Afrique du Sud en 2001 ont changé la donne. Oubliant les gestes charitables, les opinions publiques ont comparé d’un oeil sévère les surprofits de l’industrie pharmaceutique avec la persistance des problèmes de santé dans le tiers-monde.
Conscients qu’ils étaient perçus - à tort ou à raison - comme partiellement responsables du délabrement sanitaire de certaines régions du monde, les laboratoires ont repensé leur action. Tout d’abord, l’aide qu’ils apportent aux pays en développement s’est intensifiée. Novartis par exemple dépense en dons et aides diverses plus de 750 millions de dollars par an. Sanofi-Aventis a créé un département Accès aux médicaments, doté d’objectifs précis dans six domaines thérapeutiques. L’accroissement des opérations d’accès aux médicaments a amené l’industrie à monter des partenariats avec des organisations non gouvernementales (ONG). L’avantage est double : celles-ci ont les compétences pour organiser un réseau de soins ici, un dispensaire là, ou une distribution de médicaments à une population disséminée. Et ces mêmes ONG apprennent à connaître l’industrie et participent ainsi moins volontiers à des campagnes d’opinion contre les multinationales du médicament.
Au plan juridique, les laboratoires se sont résignés à accepter l’accord de Doha qui autorise un Etat à mettre entre parenthèses les règles relatives à la propriété intellectuelle en cas d’urgence humanitaire. Plus important, les laboratoires qui possèdent dans leurs portefeuilles ou développent des médicaments contre les grandes pandémies - sida , paludisme - ont renoncé à déposer des brevets dans les pays les moins avancés (PMA ). L’antisida Fuzeon du suisse Roche, par exemple, est libre de droit dans les PMA .
Enfin, l’apparition de fondations richement dotées, comme celle de Bill et Melinda Gates, a amplifié la capacité d’action des laboratoires dans les domaines qu’ils étaient accusés de délaisser. « L’argent est là, et la puissance de ces nouveaux acteurs change la donne », explique Robert Sebbag, vice-président de la division Accès aux médicaments de Sanofi-Aventis. Grâce à leur apport, les laboratoires ont mis en place des politiques de prix différenciés : les prix du marché pour les classes aisées des pays pauvres - ce qui élargit la clientèle au-delà des pays riches - et des prix coûtants pour les plus démunis. Et quand ces derniers n’ont pas de budget, les fondations vont jusqu’à financer l’achat de médicaments.
La recherche scientifique sur les maladies « sans marché » a été revitalisée grâce à ces partenariats. Le Wellcome Trust, qui dépense 450 millions de livres (670 millions d’euros) annuelles dans des programmes de recherche, a ainsi apporté son écot au centre de recherche que le suisse Novartis a monté en Asie sur le paludisme.
Mais la situation est loin d’être stabilisée pour les laboratoires : les pays du Sud ont cessé d’être seulement une terre d’accueil pour les médicaments conçus et fabriqués au Nord. En Inde surtout, mais aussi en Chine, au Brésil et en Afrique du Sud, des industriels émergent. La plupart ont acquis un savoir-faire en copiant des médicaments dont les brevets étaient dans le domaine public. Mais ils sont désormais nombreux à investir dans la recherche. Car au Nord comme au Sud, pour soigner le sida comme le cancer, c’est la propriété intellectuelle qui fait les bénéfices d’aujourd’hui, et finance la recherche comme l’aide humanitaire de demain.
Yves Mamou
Entretien avec Bernard Pécoul : « Vendre à prix coûtant un médicament non breveté est possible »
Article paru dans l’édition du 27.02.07
Comment l’Initiative Médicaments pour les maladies négligées (en anglais « DNDi » - « Drugs for Neglected Diseases »), qui vise à développer des médicaments pour les maladies oubliées, a-t-il germé ?
Le point de départ a été le constat que nous avons fait à Médecins sans frontières (MSF ), en 1999, de la panne que connaissait la recherche et le développement de médicaments, en particulier pour des maladies ne constituant pas un marché dans les pays riches. Nous avons donc décidé de créer un partenariat international pour y répondre.
A qui vous êtes-vous adressés ?
Nous avons voulu impliquer d’emblée les acteurs publics des pays directement concernés par ces maladies. La DNDi a été lancée en 2003 par six partenaires : MSF , la Fondation Oswaldo Cruz (Brésil), le Conseil indien de la recherche médicale, l’Institut Pasteur, le ministère de la santé de Malaisie et l’Institut de la recherche médicale du Kenya. MSF a doté la DNDi du budget nécessaire à ses cinq premières années. La DNDi collabore aussi avec les agences de l’ONU .
Sur quelles maladies avez-vous décidé de travailler ?
Nous avons choisi trois affections parasitaires : la maladie du sommeil, présente en Afrique centrale et mortelle à 100 %, la maladie de Chagas, qui tue 50 000 personnes par an en Amérique latine, et la leishmaniose, qui sévit en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et dont les 500 000 nouveaux cas annuels concernent avant tout le sous-continent indien, le Brésil et le Soudan.
Néanmoins, le premier médicament de DNDi est une combinaison contre le paludisme...
Nous sommes pragmatiques. Nous essayons d’abord d’améliorer l’existant, puis de trouver des nouveautés, qui requièrent plus de temps. Nous voulions démontrer la validité du modèle de partenariat relativement complexe que nous désirions construire, et prouver qu’un médicament non couvert par un brevet et fourni à prix coûtant était possible. Ce succès va en entraîner d’autres.
Quels partenariats ont été établis pour cette réalisation ?
La première phase de développement a impliqué une petite entreprise de biotechnologie française, l’université Bordeaux-II et deux partenaires industriels. Nous sommes ensuite passés à l’étape clinique avec un partenaire public brésilien. Les études cliniques ont été successivement accomplies avec une université de Malaisie, puis au Burkina-Faso avec le Centre de recherche sur le paludisme, ainsi que le programme de recherche sur les maladies tropicales de l’Organisation mondiale de la santé. C’est ainsi que nous sommes parvenus à disposer d’un comprimé stable chimiquement. En 2005, nous avons obtenu l’accord de Sanofi-Aventis, qui a fabriqué les comprimés dans son usine du Maroc.
Quels sont vos financeurs ?
En dehors de l’investissement de départ de MSF , ce sont les fonds publics gouvernementaux britanniques (10 millions d’euros), français (7,5 millions) et néerlandais (3 millions). A cela s’ajoutent des ressources reçues de l’Union européenne, de la Suisse et d’Italie. Notre règle est qu’aucun partenaire ne doit représenter plus de 20 % à 25% des ressources.
Le principe de ne pas couvrir les médicaments mis au point par la DNDi par un brevet a-t-il posé problème à certains partenaires ?
La ou les molécules que nous allons utiliser se trouvent généralement au départ dans le portefeuille d’un partenaire privé, qui renonce dès lors à tout brevet sur son utilisation future, de même que tous les autres partenaires à l’élaboration du médicament. Nous avons rencontré un peu d’incompréhension auprès de certaines universités américaines, dont le département de transfert de technologies demandait le versement de royalties.
Propos recueillis par Paul Benkimoun