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France : Des papiers pour se soigner, le calvaire des migrants séropositifs

Pour en finir avec le mythe européen de l’accueil pour soins


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Recevoir des soins appropriés quand on est infecté au VIH   et en situation illégale en Europe ne va pas de soi.

PARIS, 27 septembre 2006 (PLUSNEWS)

Tommy, un Camerounais de 25 ans, était en France depuis deux mois à peine quand il a appris sa séropositivité. Il a depuis demandé un titre de séjour pour raison médicale, un vrai parcours du combattant dont il ignore l’issue.

Comme la plupart des 20 000 personnes étrangères vivant avec le VIH  /SIDA   en France, la plupart d’origine africaine, le jeune homme ignorait qu’il était infecté au VIH   avant de passer un contrôle médical de routine.

« Je suis arrivé en France en février 2006 avec un visa touristique, pour me débrouiller financièrement. Au bout de deux mois, j’ai commencé à avoir des douleurs urinaires. On m’a dit de consulter un médecin. Et là, j’ai découvert que j’étais séropositif », a raconté Tommy, tête baissée.

Le médecin a rempli un certificat, indiquant les raisons pour lesquelles Tommy a souhaité obtenir une demande de séjour longue durée.

Ici, a-t-il expliqué, les gens sont plus ouverts. « En Afrique, on est facilement rejeté par la famille et les amis lorsque l’on est séropositif. Et puis j’ai ici un réseau d’amis, malades ou non, avec lesquels je m’entends bien ».

Après une attente de plus de cinq mois, la préfecture de police lui a accordé une autorisation provisoire de séjour de six mois.

Selon les associations qui luttent en faveur des personnes infectées par le VIH  /SIDA  , les personnes souffrant de pathologies graves ou de longue durée peuvent bénéficier, au regard d’une loi de 1998, du séjour pour raison médicale, une disposition particulièrement utile pour les personnes séropositives.

Or, le durcissement des conditions de séjour des immigrés en France rend l’application de cette loi beaucoup plus difficile, un constat que font également les ressortissants africains.

« Je suis restée sept mois sans papiers, avant d’obtenir deux autorisations provisoires de séjour (APS, de trois à six mois) », a expliqué Patricia, une jeune femme de 32 ans, originaire de République centrafricaine. Elle vient d’obtenir un titre de séjour d’un an.

L’APS, d’une durée de trois à six mois, est accordée aux étrangers qui n’ont pas droit au titre de séjour parce qu’ayant résidé moins d’un an en France. Elle est rarement assortie de droits sociaux et de permis de travail, ce qui prive la personne migrante de toute ressource.

D’après les associations, la surenchère politique contre l’immigration pousse les patients à vivre dans la clandestinité, l’isolement et la précarité juridique, sanitaire et économique.

« Les sans-papiers ont tellement de difficultés que, même s’ils le veulent, prendre soin de leur santé est souvent relégué au second plan. Ils ont le moral miné car tout est polarisé sur le titre de séjour », a raconté le docteur Christine Etchepare, conseillère médicale auprès des migrants de l’Association de recherche, de communication et d’action pour l’accès aux traitements, (Arcat).

« Or, il faut avoir l’esprit libre et vivre dans un environnement adéquat pour suivre correctement un traitement lourd [le traitement antirétroviral pour les personnes vivant avec le VIH   se prend durant toute la vie du patient] », a-t-elle ajouté.

Le mythe de l’asile pour raisons médicales

Pourtant, il est difficile de justifier le durcissement des conditions d’obtention de titres de séjours pour raison médicale, selon l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE).

Pour l’ODSE en effet, ce genre de requête ne fait l’objet ni d’une demande exponentielle ni de détournement de la part des demandeurs de titres.

« Il y a ce fantasme d’une invasion de malades », a expliqué Arnaud Veïsse, directeur du Comité médical pour les exilés (Comede).

Selon lui, 16 000 étrangers étaient titulaires d’une carte de séjour pour raison médicale en 2004, soit 0,5 pour cent des étrangers résidant en France ; 95 pour cent des patients atteints d’une infection virale chronique comme le VIH   ou les hépatites l’apprennent en France, lors de leur bilan de santé.

Même si ’l’asile thérapeutique’ est un mythe, l’interprétation et l’application de la loi sont de plus en plus restrictives, au détriment de la santé de l’étranger, a estimé Elodie Redouani, conseillère juridique d’Arcat.

« Depuis un ou deux ans, les gens s’entendent dire qu’ils ne peuvent pas demander une carte de résident, même s’ils remplissent les critères : on leur explique qu’ils sont ici pour se soigner et qu’ils finiront par rentrer chez eux. Ce qui est discriminatoire, la réglementation ne prévoyant pas de distinction quant à la nature du titre de séjour ! », a-t-elle expliqué.

Pour Arcat, les préfectures et les médecins inspecteurs de santé publique qui décident de l’attribution des titres de séjour pour raison médicale, sont ‘sous pression’.

« Ils savent qu’il ne faut pas trop faire de régularisations dans ce cadre. Le fonctionnement est donc quantitatif, et non dans une logique de santé publique ou de l’intérêt des patients », a ajouté Mme Redouani.

Noël Ahebla, le président de l’African Positive Association (Apa) qui s’occupe de ressortissants africains séropositifs, a ainsi mentionné le cas d’une dame, dont la situation a été régularisée trois fois. « La quatrième fois, les autorités ont refusé, en expliquant qu’elle n’était plus malade... alors qu’elle avait le sida   ! »

Or en France, les étrangers en situation irrégulière et résidant sur le territoire français depuis plus de trois mois bénéficient, sous condition de très faibles ressources, d’une aide médicale d’Etat (AME  ) qui leur permet d’être pris en charge gratuitement pour les pathologies dont ils souffrent, a expliqué à PlusNews Antonin Sopena, militant de l’association Act Up.

Pourtant, selon une étude réalisée dans le Val-de-Marne, près de Paris, 41 pour cent des médecins spécialisés refusent de délivrer des soins aux patients possédant une AME  .

« C’est parfaitement illégal, mais ils le font quand même », a prévenu Arnaud Veïsse.

A Paris, des permanences d’accès aux soins de santé permettent néanmoins de faire face aux situations les plus précaires et des mécanismes d’entraide sont proposés par certaines ONG et des associations de soutien aux personnes infectées au VIH  .

Or, la crainte de sortir est parfois la plus forte : une circulaire du 21 février 2006 stipule ainsi que les forces de l’ordre peuvent contrôler, et dans certains cas interpeller, toute personne se trouvant dans les foyers de travailleurs migrants, les centres d’hébergement et de réinsertion sociale ou encore les centres d’accueil des demandeurs d’asile.

Bien que le ministre français de l’Intérieur Nicolas Sarkozy ait expliqué que les contrôles n’auraient pas lieu dans les centres hospitaliers, la rumeur a circulé.

« Des Africains ont peur d’aller à l’hôpital se faire dépister à cause des contrôles qui se multiplient », a constaté Ibrahim Fofana, dont la structure offre une prise en charge psychologique traditionnelle aux séropositifs.

Du coup, ce qu’Antonin Sopena appelle ’la chasse aux sans-papiers’, entraîne une prise en charge tardive des malades, « car ils se rendent à l’hôpital quand les premiers symptômes et douleurs apparaissent. Certains iront de façon anonyme se soigner de temps en temps, et sans se faire rembourser », a-t-il regretté.

Quant aux enfants malades, dont les parents sont en situation irrégulière, ils souffrent psychologiquement de la situation que supportent leurs parents, susceptibles d’être arrêtés et expulsés à tout moment.

Et en dépit de l’existence d’un cadre légal précis, les personnes séropositives peuvent être reconduites dans leur pays d’origine faute de papiers, pour avoir omis d’annoncer leur statut ou par excès de procédure de la part des préfectures chargées de l’octroi des titres de séjour.

Une précarité qui menace la santé des populations hôtes

Afin d’éviter les situations tragiques, pour rassurer et mettre en confiance, certaines associations accompagnent les malades dans leurs démarches administratives et sanitaires et leur prodiguent des conseils pour éviter l’expulsion.

« Nous leur conseillons de conserver sur eux une attestation médicale rendant compte de leur séropositivité, ce qui doit les protéger le temps de réaliser les démarches », a expliqué Noël Ahebla.

Tommy, qui est membre de son association, suit fidèlement ces recommandations. « Je me déplace toujours avec le récépissé prouvant que mon dossier est à la préfecture », a-t-il dit.

Pour les associations, si la précarisation des sans-papiers séropositifs affecte leur santé, elle peut aussi avoir des répercussions sur celle des populations d’accueil.

Ainsi, « les obstacles à l’accès aux soins et à la régularisation ont pour conséquence des retards de soins qui entraînent l’aggravation de la maladie et l’augmentation des dépenses de santé », a estimé Arnaud Veïsse, du Comede.

En situation de précarité, les comportements à risque se multiplient, a également prévenu Noël Ahebla, qui a constaté que des femmes tombent enceintes juste pour pouvoir rester, tandis que d’autres se prostituent pour survivre.

« On leur demande : ’Tu es séropositive et tu ne t’es pas protégée ?’ Et là elles nous disent qu’elles ont eu des relations sexuelles avec des hommes prêts à payer plus pour ne pas porter de préservatif. Nous tentons de leur expliquer que la loi les protège, mais beaucoup cachent leur maladie et mettent leur vie en danger ainsi que celle des autres », s’est désolé M. Ahebla.

Tous les migrants n’aspirent pourtant pas à de longs séjours en France ou à l’étranger. Certains, découragés, malades, souhaitent rentrer dans leur pays, surtout lorsque le système de prise en charge local leur permet de se soigner.

« Quand ils viennent de pays stabilisés où le traitement est accessible, certains espèrent repartir un jour », a confié le docteur Christine Etchepare. « Même si ce n’est pas dit comme ça, c’est un espoir, un nouveau projet qui s’ouvre de revoir leur famille tout en pouvant se soigner. »

Or, seulement 17 pour cent des 26 millions de personnes vivant avec le VIH  /SIDA   en Afrique ont accès à un traitement antirétroviral, selon les Nations unies.

« Souvent, il faut que quelqu’un meure pour pouvoir entrer dans le programme de soins. Au Togo et au Cameroun, il faut appartenir à une association de malades pour être soigné », a expliqué M. Ahebla.

Son association sensibilise les migrants dans les lieux publics, les bars, les salons de coiffure du quartier parisien de Château Rouge, où vivent beaucoup de ressortissants africains.

En République centrafricaine, le « traitement est cher, il y a toujours des ruptures de stock et les bilans biologiques ne sont pas possibles », a conclu Patricia. « S’il y avait une prise en charge globale chez moi, je serais la première à partir. »

Privée de soins dans son pays, la République centrafricaine, Patricia s’est exilée ‘la mort dans l’âme’

PARIS, 27 septembre 2006 (PLUSNEWS) - Environ 20 000 ressortissants étrangers vivent avec le VIH  /SIDA   en France, des migrants venus en majorité d’Afrique qui, pour la plupart, ont découvert leur statut une fois sur place.

Ces personnes, parce qu’elles souffrent de pathologies graves ou de longue durée, peuvent bénéficier, au regard d’une loi datant de 1998, d’un titre de séjour pour raison médicale, une disposition utile pour les personnes séropositives.

Après deux ans de présence sur le territoire français, Patricia a enfin pu en profiter : elle vient d’obtenir un titre de séjour d’une année, après deux autorisations provisoires et plusieurs mois vécus dans l’illégalité.

Pourtant, cette jeune femme de 32 ans est une exception, selon les associations de défense des droits des étrangers. Séropositive depuis plus de dix ans, Patricia est venue en France afin de recevoir des soins qu’elle ne pouvait s’offrir dans son pays, la République centrafricaine.

A l’époque, un traitement antirétroviral (ARV  ), qui prolonge l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH  , coûtait 23 000 francs CFA (45 dollars) par mois à Bangui, la capitale.

En France, les consultations médicales, les examens et les traitements sont gratuits pour les patients en cours de régularisation ou en situation irrégulière — à condition de prouver que l’on vit en France depuis plus de trois mois et que l’on est dépourvu de ressources.

Patricia est arrivée à Paris en mai 2004, à l’invitation des organisateurs d’une conférence sur le VIH  /SIDA  . Son visa n’est que de courte durée. Elle n’aura de cesse de le faire prolonger. Cette activiste de la lutte contre le sida   dans son pays raconte son parcours à PlusNews.

« Lorsque j’ai appris en 1995 que mon mari m’avait transmis le virus du sida  , j’ai d’abord voulu me suicider », raconte Patricia, alors âgée de 21 ans. « Et puis un médecin m’a conseillée et orientée vers des associations. J’ai mis deux ans pour prendre conscience de ma maladie, pour l’accepter et vivre avec ».

La jeune femme reste neuf ans sans soins « parce que le traitement était cher, qu’il y avait toujours pénurie et que les bilans biologiques n’étaient pas possibles, il fallait aller au Cameroun », le pays voisin. « Alors j’ai fini par vivre comme ça, sans rien. »

Consciente de la détresse des personnes vivant avec le sida   dans son pays, elle fonde, en août 2001, le Congrès national des jeunes femmes séropositives.

« L’idée était de se regrouper, d’échanger des expériences, d’expliquer aux jeunes que tout n’est pas fini à cause du VIH  , de monter des activités génératrices de revenu et de lutter contre la stigmatisation ».

Alors que sa santé se dégrade dangereusement, l’association lui ouvre la porte de l’Europe.

« En 2003, j’ai fait un bilan parce que j’avais eu la tuberculose et que je voulais savoir où j’en étais : mes défenses immunitaires étaient très basses. Ce sont ces analyses qui m’ont poussée à partir. »

Patricia apprend alors qu’une conférence sur le sida   est organisée à Toulon, dans le sud de la France. Les organisateurs l’invitent à venir présenter la situation épidémiologique de la République centrafricaine à ses frais.

« Comme j’avais fait quelques économies, j’ai décidé de partir en laissant derrière moi mon fils, la mort dans l’âme. »

Patricia arrive en France le 31 mai 2004. Elle n’en est plus jamais repartie.

« Après la conférence, je suis allée directement dans un hôpital à Paris. Je suis tombée sur une femme médecin très compréhensive », raconte-t-elle.

Une assistante sociale lui conseille pourtant de rentrer chez elle, et de revenir tous les six mois pour prendre le traitement.

« Je lui ai dit que le visa était difficile à obtenir, que le billet d’avion coûtait très cher et que le traitement en soi ne servait à rien s’il n’y a pas une prise en charge globale : il faut bien manger et faire des bilans sanguins régulièrement. S’il y avait tout ça chez moi, j’aurais été la première à partir ! »

Patricia décide alors de rester à Paris et s’installe chez sa cousine. Dix jours avant l’expiration de son visa, elle doit quitter l’appartement.

Elle contacte alors l’African Positive Association (Apa) qui s’occupe des ressortissants africains séropositifs. On lui trouve un hôtel pour deux nuits, puis différents centres d’hébergement pour les sans-abri, qu’elle doit quitter à six heures du matin et ne retrouve qu’à sept heures du soir.

« Mon seul refuge était alors l’Apa, qui m’a aidée à ne pas me retrouver à la rue, où je restais de peur de me faire arrêter par la police. Ca m’est arrivé une fois, dans le métro : j’avais fraudé parce que je n’avais pas d’argent pour acheter mon ticket. Depuis, je fuyais la police. »

Noël Ahebla, le président de l’Apa, lui conseille de garder sur elle l’attestation du dépôt de dossier à la préfecture, pour éviter d’être expulsée.

« Ca a été une période très difficile parce que, sans papiers, c’est dur de trouver un hébergement. Je devais me rendre à l’hôpital avec une fiche de liaison que m’avait donnée l’action sociale pour pouvoir obtenir des médicaments. C’était compliqué pour me soigner, mais aussi pour garder le moral quand je ne savais pas où dormir. Certains médicaments doivent être conservés au frigidaire, je devais les laisser à l’Apa. »

En décembre 2004, la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) lui accorde une autorisation provisoire de séjour de six mois, puis d’un an. Après un nouveau récépissé de trois mois, elle a reçu le 14 septembre dernier un titre de séjour d’un an.

« Ca me rassure de pouvoir chercher du travail. Jusqu’à présent, j’ai fait des petits boulots, je faisais des heures de ménage, je m’occupais des personnes âgées. Mais j’ai arrêté parce qu’on ne me payait pas bien : je travaillais du lundi au dimanche et je gagnais entre 400 et 500 euros (entre 500 et 635 dollars). »

Aujourd’hui, Patricia vit dans un logement ‘thérapeutique’ et suit un stage de formation à l’Apa, afin de devenir animatrice de prévention.

L’association sensibilise les migrants dans les lieux publics, les bars, les salons de coiffure du quartier parisien de Château Rouge, où vivent beaucoup de ressortissants africains.

« J’aimerai avoir la force de m’occuper d’autres séropositifs, surtout en Afrique. Et j’espère, si j’ai une maison à moi, pouvoir faire venir mon fils que je n’ai pas vu depuis bientôt trois ans. C’est pour lui que je tiens. J’ai envie d’avoir un foyer, un ami et de faire un deuxième enfant. »


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Publié sur OSI Bouaké le dimanche 1er octobre 2006

 

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