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« En Afrique, les homosexuels sont des boucs émissaires »


Libération - 11/05/2011 - Propos recueillis par Quentin Girard

Charles Gueboguo est un sociologue camerounais, auteur de plusieurs ouvrages sur la question de l’homosexualité en Afrique. Actuellement à l’université du Michigan aux Etats-Unis, il analyse les répressions actuelles qui touchent la communauté gay.

Projet de loi en Ouganda, viols correctifs des lesbiennes en Afrique du Sud, la situation des homosexuels en Afrique ne semble pas s’améliorer. D’où viennent ces difficultés ?

Il est très difficile de savoir si la situation va de mal en pis ou, au contraire, s’améliore. Pour l’Ouganda, prendre en compte le contexte est vital. Il y a eu des élections très importantes récemment et des efforts sont faits par certains politiques pour détourner l’attention des Ougandais des vrais problèmes qui minent la société, comme le prix des produits alimentaires. On se sert de l’homosexualité comme bouc émissaire pour réorienter la population vers des données plus émotives.

Pour ce qui est de la violence, en Afrique du Sud, deux lesbiennes ont été récemment assassinées. D’autres sont régulièrement violées. Le viol « correctif » est certes vieux comme le monde, mais on a l’impression qu’il est paradoxalement en augmentation depuis la légalisation de l’homosexualité, peu après l’élection de Nelson Mandela et la fin de l’Apartheid. En Afrique du Sud, comme elles n’avaient plus besoin de se cacher, les lesbiennes sont devenues plus visibles et la cible de tous les maux. C’est le signe d’une société toujours phallocratique, qui veut que la femme reste l’objet exclusif du désir et de l’appétence de l’homme. Dans les imaginaires, une lesbienne c’est une femme qui n’est pas satisfaite sexuellement, pas épanouie dans ses rapports sexuels. Elle n’a pas le droit de choisir son désir et de jouir par elle-même, elle ne peut qu’être réceptacle du désir de l’homme.

Et dans les autres pays africains ?

Au Cameroun, mon pays, ou au Sénégal, des arrestations d’homosexuels ou de personnes soupçonnées telles ont lieu très régulièrement. Le profil des individus interpellés est presque toujours le même : ce sont toujours des personnes pauvres, d’un niveau d’éducation faible, souvent sans emploi. Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a pas d’homosexuels chez les riches ? Évidemment non. Cela signifie surtout que les pauvres sont instrumentalisés à des fins politiques. Si les gens protestent contre la famine, la mauvaise gouvernance, les abus, on leur livre des homosexuels.

En règle générale, c’est compliqué dans le monde entier d’être homosexuel. En Amérique du Nord, en Europe c’est peut-être plus fluide qu’en Afrique, mais partout les individus doivent trouver le moyen de composer, de « bricoler », avec le milieu délétère qui les entoure.

D’où vient cette homophobie ?

Dans les discours que tiennent certains politiques et l’homme de la rue, il est souvent dit que l’homosexualité est une importation de l’Occident. C’est évidemment faux. Pour certains chercheurs, c’est plutôt en fait l’homophobie qui aurait été importée de l’Occident, via la religion notamment. Je partage cette analyse avec modération. Car, si l’on pose que l’homosexualité est une forme d’expression d’un sentiment humain, il reste tout aussi humain que son pendant opposé. Le sentiment anti-homosexuel est de toutes les ères et de toutes les cultures. Ce que l’on peut dire c’est que via la colonisation, c’est la codification de l’homophobie dans un système légal qui a été importée.

Après, en Afrique, on ne peut pas comprendre l’homosexualité, l’homophobie, et partant toute la réalité sociale, si on ne tient pas compte de tous ses contingents : misère, chômage, maladies, guerres, crises, paupérisation. On devrait même remonter plus loin en signalant aussi l’histoire coloniale et l’esclavage. Ils ont été le siège de l’idée et de la matérialisation de la déshumanisation du Noir.

Aussi, quand les politiques sur le continent (qui ne sont pas du tout idiots, ne nous y trompons jamais) disent que l’homosexualité est non-africaine, c’est qu’ils sont dans une logique de lutte, de position et de reconquête de cette humanité perdue. C’est une manière de se positionner idéologiquement dans le cours de la mondialisation où tout se passe comme si l’Afrique n’y aurait pas son mot à dire. Alors, ils disent à l’Occident : « Ok, vous nous avez tout pris, mais nous avons encore nos valeurs ». Quelles sont-elles ? Là est un autre débat.

Dans vos différents travaux de recherche, vous avez montré que de nombreux rites traditionnels pourraient être considérés aujourd’hui comme des scènes homosexuelles. Pourquoi cet oubli de l’héritage culturel historique ?

Au moment de l’esclavage et ensuite de la colonisation, dans une logique « d’humaniser » le Noir, beaucoup de rites ont été bannis. Quand les politiciens africains font référence au passé, ils ne sont pas idiots, j’insiste. Dans cette logique de lutte dont je parlais, ils choisissent ce qui les arrange et ils « oublient » les rites sexuels, mais aussi les pratiques sexuelles tout court, entre personnes du même genre.

Pour revenir à l’histoire, la plupart du temps, on a constaté des pratiques homosexuelles au cours des rites de passage, de circoncision, de guérison, que ce soit en Angola, au Cameroun, au Togo, au Bénin ou en Côte-d’Ivoire. Mais aussi des pratiques homosexuelles élevées au rang de distinction. Aussi les rois Mossi du Burkina Faso par exemple entretenaient des rapports sexuels avec de jeunes pages appelés « soroné ».

Il y en avait également chez les femmes. Dans un groupe ethnique du Cameroun, les Beti, les femmes se retrouvaient nues autour d’un feu et se masturbaient mutuellement lors d’un rituel particulier : le « mevungu ». Au centre, il y avait la matrone, d’un âge mur, connue pour sa fertilité, dont le clitoris devait être allongé par les autres participantes, pour qu’il devienne le plus long possible, aussi long qu’une verge. Mais, attention, la symbolique du rite est importante : il avait pour but de faire pression sur les instances ancestrales pour retrouver abondance, fertilité et richesse auprès de mère-nature.

Donc, typiquement, pour le « mevungu », il faut aller au-delà du caractère purement sexuel. Dans leurs représentations, ce rite n’appartenait pas à l’homosexualité. D’ailleurs, l’homosexualité n’était pas elle-même un fait socialement modélisé, bien qu’une pratique existante. La sexualité, comme partout ailleurs, était liée à la reproduction. Toutes les pratiques autour n’étaient pas forcément nommées parce que pas considérées comme sexuelles.


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Publié sur OSI Bouaké le vendredi 13 mai 2011

 

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