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Centrafrique : Effondrement d’un pays

Plus d’Etat, une situation humanitaire alarmante... Cette ex-colonie française, désormais dirigée par des rebelles, est en train de s’effondrer


Rue 89 - 7 aout 2013 - Sabine Cessou

La Centrafrique, Etat en faillite et angle mort des médias occidentaux, n’intéresse personne. Plus d’Etat, un climat de violences... elle fait penser au suicide national qui s’est déjà produit en Somalie ou au Liberia dans les années 90.

1) A Bangui, « on tue, on viole, on vole »

Il n’y a plus que Bangui, la capitale, qui reste plus ou moins gouvernée. Et encore… Il a fallu un sursaut du nouveau Président, l’ex-chef rebelle Michel Djotodia, en juin, pour qu’un semblant de sécurité revienne dans les rues de la ville. Il a ordonné que des patrouilles mixtes de l’armée centrafricaine et les 1 300 hommes d’une trop petite force sous-régionale, la Force multinationale d’Afrique centrale (Fomac), fassent fuir les bandits et pillards qui écumaient la capitale.

Une Centrafricaine exilée en France raconte le calvaire de ses compatriotes :

« Il y a toujours des agressions à Bangui. On tue, on viole, on vole. J’ai appris récemment qu’une balle perdue a atteint à la jambe une dame au quartier Bruxelles, à Bangui. Les gens sont obligés de sortir, mais ils rentrent tôt parce qu’ils ont peur. Il y a les membres de la Seleka qui agressent, mais aussi des militaires qui en profitent, de même que les godobé, les voyous ordinaires. »

2) La Seleka, une rébellion divisée

La rébellion Seleka (« coalition »), dont Michel Djotodia est issu, représente un front hétéroclite de cinq groupes armés, qui a fait tomber le 22 mars le président François Bozizé, au pouvoir depuis 2003.

Depuis, la Seleka est divisée et le pays est à l’arrêt : suspendu des instances de l’Union africaine (UA), il se trouve au ban de la communauté internationale. Ses fonctionnaires, impayés, ne reprennent pas le travail. Seules les écoles privées assurent encore des cours, dans ce qui promet d’être une année blanche pour les élèves.

En principe, des élections doivent être organisées d’ici 2016. En pratique, ce pays grand comme trois fois la Grande-Bretagne mais peuplé de seulement 4,5 millions d’habitants est livré à lui-même – c’est-à-dire à des chefs de guerre de tout poil, dont certains sont des ressortissants tchadiens ou soudanais, qui se livrent aux viols, pillages, meurtres, enlèvements d’enfants pour les enrôler dans leurs rangs.

Ces hommes ont été recrutés par la Seleka, et agissent aujourd’hui hors de tout contrôle, en électrons libres. La pagaille est telle que certains évoquent la nécessité de pourparlers « inter-Seleka ».

Témoignage de notre exilée centrafricaine :

« On attend que ça s’arrange. On attend, on attend, on attend. Mais à Bangui, les gens qui ont de l’argent sont presque tous partis, certains en France, d’autres au Congo, au Cameroun, un peu partout. »

3) Une situation humanitaire alarmante

Le pays était classé 180e sur une liste de 187 pays, dans l’Indice de développement humain (IDH) publié chaque année par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).

Il affiche la deuxième espérance de vie la plus faible au monde : 49 ans ; en 2011 déjà, 30% de la population vivait dans l’insécurité alimentaire, et 16% des enfants de moins de cinq ans souffraient de malnutrition ; selon le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), 206 000 personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, et 50 000 réfugiées à l’extérieur ;

Médecins sans frontières (MSF  ) s’alarme avec d’autres ONG de la progression du paludisme et de l’absence cruelle de médicaments. L’ONU   a promis une aide d’urgence de 7 millions d’euros en juin, et l’UE   une rallonge de 8 millions en juillet (soit 20 millions d’euros en 2013). En attendant que ces sommes tombent, la situation ne fait que s’aggraver.

4) Un cycle incessant de coups d’Etat

Comment en est-on arrivé là ? La chute du président François Bozizé, en mars dernier, n’est qu’un rebondissement de la longue tragédie centrafricaine. Depuis son indépendance, en 1960, ce petit pays enclavé va de crise en crise.

  • L’un de ses premiers présidents, David Dacko, a été renversé en 1965 par le fantasque Jean-Bedel Bokassa, qui se proclame « empereur » en 1977 avant d’être renversé par David Dacko en 1979 avec le concours de l’armée française.

  • David Dacko est ensuite chassé du pouvoir en 1981 par le général André Kolingba, qui y reste jusqu’en 1993.
  • Cette année-là, Ange-Félix Patassé est élu Président, au terme du processus de démocratisation alors en vogue en Afrique francophone.
  • Mais les vieux démons reprennent le dessus dix ans plus tard : Patassé est renversé en 2003 par le général François Bozizé, qui organise des élections en 2005 et scelle des accords de paix et la démobilisation de tous les groupes armés.

  • Une trêve de courte durée : le climat se crispe après la présidentielle de 2011, remportée par Bozizé, malgré des résultats contestés. L’opposition refuse alors de participer à un gouvernement d’union nationale, et la rébellion se rallume.

5) Des voisins déstabilisants

La carte de la Centrafrique (Wikim&eacute ; dia Commons/CC)

La situation géographique de ce pays enclavé, coincé entre le Tchad au nord, le Soudan à l’est, le Cameroun à l’ouest, la République démocratique du Congo (RDC) et le Congo au sud, ne l’aide pas.

Le Tchad est un pays fragile du point de vue politique, en raison de sa proximité avec la Libye et le Soudan. Quant à la RDC, il s’agit ni plus ni moins d’une vaste zone de « non-droit », comme le résume bien la commissaire européenne à l’aide humanitaire, Kristalina Georgieva, alarmée par la situation en Centrafrique.

L’instabilité du pays n’a été que renforcée par les troubles de ses voisins, la Centrafrique ayant servi de base arrière à différentes rébellions : l’Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), un groupe armé venu de l’Ouganda, redouté pour ses atrocités contre les civils, y a exporté ses méthodes ultra-violentes en 2009.

Une autre milice, levée en 1999 par Jean-Pierre Bemba, un homme politique congolais, a aussi commis des atrocités en volant au secours d’Ange-Félix Patassé, menacé par un coup d’Etat en 2001. Jean-Pierre Bemba, arrêté et inculpé, doit répondre depuis juillet 2010 de ses agissements en Centrafrique devant la Cour pénale internationale (CPI  ).

5) Une ex-colonie française au parfum de scandale

Le fait que la Centrafrique soit une ancienne colonie française la pénalise peut-être aujourd’hui. Ce pays, qui rappelle encore le fameux scandale des diamants offerts par l’empereur Bokassa à Valéry Giscard d’Estaing, concentre tout ce qui a pu se faire de pire dans la Françafrique  .

Il n’intéresse plus Paris, qui y garde cependant une présence militaire permanente de 250 soldats depuis 2002, en raison de sa situation stratégique et de la présence d’expatriés français. Le tout, sous couvert de servir de renfort à une Mission de consolidation de la paix en République centrafricaine (Micopax) qui a été relayée le 1er août par une autre Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), une force d’interposition lancée en juillet par l’UA pour six mois, qui sera forte de 3 500 hommes, mais qui ne suscite pas de grands espoirs.

Pas question pour la France de voler au secours de Bozizé, qui a trouvé refuge au Cameroun. Quelque 300 militaires français présents au Gabon ont été envoyés en renfort à Bangui lors des troubles de la fin mars, mais ils ne seraient plus que 400 militaires français à Bangui, surtout là pour évacuer les ressortissants français, si la situation l’exige.

  • Titre original de l’article de Rue89 : "Dans l’indifférence, la Centrafrique se suicide". OSI Bouaké a republié cet article en modifiant le titre car la notion de suicide appliquée à un pays dépolitise trop de problème. On se situe presque au niveau de l’image d’une combustion spontanée, alors que ce qui se passe en Centrafrique est le fruit d’une histoire et de choix politiques.

VOIR EN LIGNE : Rue89
Publié sur OSI Bouaké le vendredi 9 août 2013

 

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