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Après les abus, l’adoption française reprend au Cambodge

La France bannit désormais les démarches individuelles, mais ne se donne pas les moyens d’aider les familles sur place.


Mots-Clés / Adoption

Par Zineb Dryef | Rue89 | 02/10/2008 | 16H08

(De Phnom Penh) Au bruit de la porte qui s’ouvre, le directeur de l’orphelinat se réveille lentement puis, avec empressement, reboutonne sa chemise. Il tend sa carte de visite, puis se redresse : « L’adoption... mais vous venez d’où ? » “De France”. Dans cet orphelinat de la périphérie de Phnom Penh, comme ailleurs, les responsables affichent le même air embarrassé lorsqu’un Français évoque les questions d’adoption.

La France expérimente en effet une politique nouvelle en la matière au Cambodge. Après une décennie d’abus et de scandales, Paris a suspendu toute adoption dans le pays en 2003. Plusieurs enfants, dont les parents étaient encore vivants, avaient été adoptés par des étrangers. Les nourrissons, principalement des filles, étaient abandonnés contre de l’argent ou plus simplement kidnappés.

Le 8 juin 2006, un protocole de coopération sur l’adoption a donc été signé entre la France et le Cambodge, lequel a permis une réouverture « progressive et sécurisée des adoptions », selon le Quai d’Orsay. Cet accord a notamment mis fin aux procédures individuelles, en imposant aux candidats à l’adoption de passer par l’Agence française de l’adoption (AFA) créée en 2006 ou auprès du seul OAA (organisme autorisé pour l’adoption) impliqué au Cambodge, « les Amis des Enfants du Monde ».

Un protocole pour limiter les abus

Par ailleurs, depuis le mois d’août, la première volontaire de l’adoption internationale s’est installée à Phnom Penh pour deux ans. Ces « Peace Corps à la française » voulus par Rama Yade, secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme, ont pour mission de favoriser l’adoption et de venir en aide aux ONG spécialisées dans la protection de l’enfance. Une réforme annoncée en grande pompe l’été dernier dans la foulée de l’annonce de résultats catastrophiques pour l’AFA : en 2007, avec 3 162 enfants adoptés, les adoptions françaises dans le monde ont chuté de 20,6%.

« Ah, les Français ! Avant 2003, ils étaient partout, c’était le temps des combines », se souvient M. Toui, gérant de Guesthouse : « Ils s’installaient dans les hôtels, parlaient d’adoption tout le temps et, surtout, ils voulaient aller trop vite. » L’homme sourit en racontant les histoires de couples faisant le tour des orphelinats pour “choisir leur bébé ou de ceux qui déboursaient jusqu’à 10 000 dollars pour tenter de concurrencer les Américains.”C’est fini maintenant. Les adoptants français viennent quand c’est leur tour.

Avec les nouvelles procédures, la famille doit désormais attendre -parfois plusieurs années - que les agences et les autorités cambodgiennes procèdent à un apparentement - proposition d’enfant. Elle peut alors se rendre sur place pour boucler l’adoption (passeport et visa) et récupérer l’enfant. Trop de candidats, peu d’enfants

Ça, c’est pour la théorie. En pratique, la France doit faire face à deux gros problèmes : les demandes affluent pour une offre restreinte et le Cambodge n’a pas tout à fait assaini son système d’adoption.

De 1999 à 2003, le nombre d’adoptions a varié entre 31 et 228 par an, selon le Quai d’Orsay. En dépit de l’absence de cadre légal, en 2006 - le protocole signé n’a été appliqué qu’à partir de mai 2007 - 28 visas ont été accordés à des enfants à titre exceptionnel. Un caractère exceptionnel que l’association Enfance et Familles d’adoption (EFA) qui regroupe 11 000 familles adoptives, juge inacceptable :

Les adoptions réalisées ces trois dernières années au Cambodge l’ont été en violation des règles établies tant par la France que par le Cambodge.

Mais pour Julie, candidate à l’adoption depuis près de cinq ans et dont l’agrément arrive à terme :

Il n’y a personne pour nous soutenir, nous aider ou nous donner des explications. Quand on est le millième sur une liste d’attente, on ne sait plus quoi faire. On essaye de se débrouiller par nous-mêmes. Je me demande parfois si les démarches individuelles ne sont pas plus efficaces. J’ai toujours respecté les procédures mais là je sature.

La concurrence étrangère

Au Cambodge, en 2007, 26 visas ont été accordés pour des enfants adoptés par des familles françaises. Depuis le début de l’année 2008, ce sont 12 visas qui ont été accordés. A titre de comparaison, 163 enfants ont été adoptés par des familles italiennes en 2007 et 147 en 2006. Contre 26 adoptions françaises en 2006. Comment expliquer cette différence ?

L’une des six agences italiennes dédiées à l’adoption au Cambodge, le Centro Italiano Aiuti all’Infanzia (CIAI), passe pour être l’une des plus sérieuses. Antonio Piccoli, responsable de l’organisation, précise d’emblée que la première mission du CIAI est de protéger les enfants cambodgiens. Deux personnes s’occupent des affaires d’adoption et le CIAI en finalise moins de dix par an. L’agence ne travaille qu’avec un seul orphelinat public par mesure de précaution :

On sait d’où ils viennent ce qui n’est pas le cas dans tous les orphelinats cambodgiens. On respecte les lois italiennes et cambodgiennes. Elles sont plutôt strictes et c’est mieux comme ça. Les adoptions individuelles sont interdites, il faut passer par une des agences italiennes.

Reste que, pour l’heure, l’adoption au Cambodge est suffisamment opaque pour dissuader les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la Suède. Rien n’a changé, accuse de son côté Naly Pilorge, la directrice de la LICADHO, l’une des plus importantes organisations de défense des droits de l’Homme du pays. Plaintes à l’appui, elle dénonce le trafic d’enfants dont le Cambodge souffre toujours :

Le problème de l’adoption au Cambodge, c’est que le système est fondé sur la demande. Les familles et les agences réclament des enfants ; les orphelinats se mettent à leur recherche. Depuis les années 2000, le gouvernement dit que ça va changer mais il ne suffit pas de légiférer. Tout le système est à revoir : il faut des bases de données, du personnel formé, une autorité centrale. Aujourd’hui, on ne sait même pas combien d’enfants sont adoptés !

Depuis le début de l’année, la Licadho a enregistré 4 cas de trafic d’enfants en vue d’une adoption. A titre de comparaison, 2 cas de trafic sexuel et 3 de trafic d’enfants pour le travail ont été notés. Naly Pilorge précise que les chiffres sont très en-deça de la réalité puisque les gens ne se précipitent pas pour se plaindre à la Licadho. Ce sont des cas isolés.

Malgré plusieurs coups de fil passés au ministères des Affaires sociales, aucune réponse chiffrée ne nous a été transmise. Il y aurait en fait environ 250 adoptions internationales par an. Les principaux pays d’accueil sont l’Italie, l’Autriche et la France. Dans les années 2000, plus de 2000 adoptions étaient finalisées chaque année. En tête, les Américains. Une époque dont un diplomate européen estime qu’elle a été catastrophique pour le pays :

Il y avait des milliers de nourrissons dans les orphelinats. On ne sait pas d’où ils venaient. L’adoption américaine déséquilibre tout. La pression est telle qu’elle développe les trafics. La faible implication des OAA français au Cambodge

Le problème majeur de l’adoption au Cambodge reste son prix. Plus le pays se fait strict, plus le prix des bébés augmente car, dans les faits, législation ou pas, tout se monnaye. Pour accélérer une adoption, les familles déboursent de 1000 à 7000 euros. Selon le mode de procédure choisi. On peut croiser la route d’ »intermédiaires qui mettent directement les familles adoptives et biologiques en contact ou verser une somme conséquente à un orphelinat pour « réserver un enfant. Ces sommes sont pudiquement qualifiées d’ »aides » ou de « dons ».

Les familles sont d’ailleurs obligées de verser à l’orphelinat un « don », qui lui permet de s’en sortir. Les aides publiques sont en effet insuffisantes ; le gouvernement ne verse que 5 euros par mois à chacun des 8000 orphelins du royaume. Les ONG étrangères financent également des orphelinats publics ou gèrent leurs propres établissements. A ce petit jeu, la France, qui n’est représentée que par un seul OAA, l’AFA n’ayant pas de représentant dans le pays, ne sort pas gagnante. Isabelle, sur liste d’attente au Cambodge, parle d’hypocrisie :

« On se demande à quoi sert l’AFA... C’est à se demander si la France prend la peine de se renseigner sur un pays avant d’y envoyer des adoptants. Ça ne sert à rien d’être moralisateur ici. Peut-être qu’en théorie, on a raison de ne pas vouloir ’acheter’ des enfants mais en attendant, des gamins crèvent de faim dans les orphelinats ici. Il faut les aider, mettre de l’argent pour permettre leur adoption. Ce n’est pas du trafic, c’est de l’humanitaire. »


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Publié sur OSI Bouaké le samedi 4 octobre 2008

 

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