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Pour les handicapés de la prison de Fresnes, la double peine



Rue89 / Par Laure Heinich-Luijer | Avocate | 03/01/2011

A la demande de plusieurs personnes handicapées détenues à la maison d’arrêt de Fresnes dans la région parisienne, le tribunal administratif a désigné un expert-architecte pour rendre compte de leurs conditions de détention. Lors de l’expertise, nous sommes plusieurs avocats.

Nous exerçons depuis plus de dix ans. Si nous additionnons les peines de nos clients, nous avons accumulé plus de mille ans de prison ; nous ne comptons plus les heures passées dans les parloirs et pourtant, nous ne savons pas à quoi ressemble une cellule. Je pense aux magistrats qui enferment à tour de bras et qui, eux non plus, ne savent pas.

La rampe d’accès, pas réglementaire

On est d’abord dans les effets de style : il ne faut pas dire « handicapé », on dit « personne à mobilité réduite ». Puis, en visitant la prison, on se rend vite compte, devant ces cellules à humanité réduite, qu’on ne traite pas les gens comme on les appelle.

Aucun de ces détenus n’aurait dû pouvoir entrer dans cette maison d’arrêt puisque « la rampe d’accès ne présente pas les caractéristiques règlementaires requises ».

Je n’ai pas le droit de leur parler

Nous visitons les cellules, les unes après les autres, les cellules « arrivants », les cellules « normalisées » et les « cellules médicalisées ». Le directeur de la deuxième division et l’un des surveillants nous accompagnent. Nous pénétrons dans les cellules sans frapper, sans prévenir, sans dire qui nous sommes.

Je risque un « bonjour monsieur » et me fait rabrouer. Je ne suis pas dans un parloir-avocat, je n’ai pas le droit de leur parler. J’aurais pourtant bien du mal à le faire à l’endroit indiqué puisque, selon le rapport :

« Les parloirs-avocats sont inaccessibles aux personnes à mobilité réduite. »

Un troupeau d’humiliation

A Fresnes, il faut marcher droit. Les détenus avancent tous en colonne, les mains hors des poches, ils doivent raser les murs, on dirait un troupeau d’humiliation qui avance. Un détenu sur notre gauche a la maladie de Gilles de la Tourette, un autre, au fond à droite a près de 80 ans, le troisième dans l’horizon se débat contre des bêtes imaginaires qui l’assaillent.

Mon confrère Thierry Lévy dit que quand on ne peut pas crier, on a envie de frapper et comme on ne peut pas le faire, on est réduit à parler, qu’avant la parole il y a toujours les coups et au-dessus des coups, le cri. Devant le spectacle de cet enfermement, comme on ne peut ni hurler, ni frapper et qu’on nous interdit même de parler, il ne reste qu’à pleurer.

Si l’un veut circuler, l’autre doit sortir de la cellule

Vétusté est un trop petit mot. Insalubrité aussi. Indignité, peut-être, et encore, le mot est trop galvaudé.

Un poste de surveillance, maison d’arrêt de Fresnes, mai 2009 (Audrey Cerdan/Rue89).Ceux pour qui nous sommes là, plus précisément, sont handicapés moteurs, ils se déplacent en fauteuils roulants.

Ils sont deux par cellule. Celles-ci font 2,5 m de largeur, 4 m de longueur et 3 m de hauteur, une superficie de 10 m2. Les cellules comportent deux lits médicalisés et le mobilier.

Il n’existe aucune ventilation mécanique. L’aération pourrait être suffisante si seulement les poignées de manœuvres des châssis permettant l’ouverture étaient accessibles, ce qui n’est pas le cas.

L’espace résiduel est insuffisant pour le croisement des fauteuils, si l’un veut circuler, l’autre doit sortir de la cellule. En même temps, pourquoi circuleraient-ils ? Certainement pas pour prendre un livre sur l’étagère, elle est inaccessible. La bibliothèque aussi d’ailleurs.

La salle de sport… accessible

Ils ont le luxe d’avoir une pièce d’eau pour huit détenus seulement. Chance assez relative car, selon l’expert, « l’installation électrique constitue un risque grave pour la sécurité ». On peut voir, effectivement, des prises et des appliques dans les périmètres de protection des installations des points d’eau.

Ces gens ne sortent pas de leur fauteuil, c’est la vie, mais quand ils sortent de leur cellule, où vont-ils ? Constat de l’expert :

  • les bureaux d’encadrement : inaccessibles ;
  • les locaux de soins psychiatriques et médico-psychologiques : inaccessibles ;
  • la salle de spectacle : inaccessible ;
  • les lieux de culte : inaccessibles ;
  • la bibliothèque : inaccessible ;
  • la cabine de fouille : inaccessible.

Heureusement, la salle de sport est accessible, des fois qu’ils veuillent courir sur le tapis roulant.

La « promenade » dans une cellule sans toit

Ils peuvent aller en « promenade ». A la vue de cet endroit, dont aucun mot ne me vient pour le qualifier, j’ai eu le souffle coupé. « Promenade », le mot est choisi comme celui de « personne à mobilité réduite ». En réalité, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une cellule à laquelle on a enlevé le toit.

L’article D.189 du code de procédure pénale postule :

« Le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale. »

Nous faisons régulièrement condamner l’Etat mais quand l’établissement qui enferme ceux qui ont enfreint la loi est lui-même en infraction, la formule de Thierry Lévy me revient : la première envie, c’est le cri.


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Publié sur OSI Bouaké le mardi 4 janvier 2011



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