OSI Bouaké - Ntaganda, « Terminator » au Congo Accueil >>  Et en Afrique, on dit quoi ?

Ntaganda, « Terminator » au Congo



Libération - 22 mars 2013 - Par Maria Malagardis -

Cet ancien rebelle rwandais, responsable de nombreux crimes perpétrés en république démocratique du Congo, a rejoint la prison de la Cour pénale internationale, à La Haye.

En s’envolant vendredi pour la prison de Scheveningen, à La Haye, Bosco Ntaganda a-t-il pu apercevoir une dernière fois par un hublot les vertes collines de l’est de la république démocratique du Congo (RDC), comme celles, si semblables, du petit Rwanda voisin, d’où son avion a décollé ? Cet ancien chef rebelle de 39 ans ne reverra pas de sitôt ces paysages paradisiaques. Lui qui a contribué à transformer en enfer la région du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda, devra désormais répondre de ses crimes devant la Cour pénale internationale (CPI  ) à La Haye, qui le réclame depuis 2006.

En 2012, bien qu’absent, Bosco Ntaganda était coaccusé dans le procès de Thomas Lubanga, autre seigneur de guerre de la région, devenu le premier homme condamné par la CPI  . Un deuxième mandat d’arrêt avait donc été délivré contre Ntaganda. Un an après le verdict concernant son ancien camarade, le voici donc à son tour entre les mains de la justice.

Play-boy. Un dénouement qui commence par un coup de théâtre : lundi, Ntaganda se présente à l’ambassade des Etats-Unis à Kigali, la capitale du Rwanda. En fuite et caché depuis plusieurs mois, il aurait alors demandé à être envoyé à la CPI  . Sa reddition est peut-être moins « spontanée » qu’elle ne le paraît : selon une source très informée, le fugitif le plus recherché de la région a d’abord franchi en cachette dimanche soir la frontière entre le Congo et le Rwanda, en traversant la zone des volcans qu’il connaît depuis l’enfance. Une heure et demie de route a ensuite suffi pour rejoindre Kigali, où il aurait retrouvé de vieux « amis » parmi les militaires rwandais. Peu enthousiastes, ces derniers lui auraient vite conseillé de se réfugier dans l’ambassade d’un pays qui n’a pas signé le Statut de Rome (qui définit les règles de la CPI  ) et donc, a priori, peu susceptible de le livrer à la CPI  . Comme celle des Etats-Unis.

Si cette version, encore confidentielle, se confirme, cette stratégie était en fait condamnée d’avance : plus personne ne pouvait sauver ou protéger ce militaire aux allures de play-boy, surnommé « Terminator ». Son destin, dominé par la fureur des armes, s’identifie tellement aux deux dernières décennies de violences et d’exactions dans la région qu’il était devenu un symbole et même un enjeu dans l’interminable conflit qui déchire le Kivu depuis près de vingt ans.

Né au Rwanda, dans la région des volcans, en 1973, le jeune Bosco franchit la frontière à l’adolescence pour aller vivre chez sa grand-mère. Comme beaucoup de rwandophones, il a en effet des liens familiaux dans les deux pays. Issu de la minorité tutsie, il rejoint dès 1990 les rangs du Front patriotique rwandais (FPR), mouvement rebelle composé d’exilés rwandais ayant fui leur pays après les pogroms anti-Tutsis orchestrés au Rwanda depuis l’indépendance. En 1994, le FPR prend le pouvoir à Kigali au lendemain du génocide contre les Tutsis.

Bosco retourne ensuite au Kivu et sera de toutes les guerres qui vont se succéder dans cette région. Il va rejoindre successivement deux mouvements rebelles, où il s’illustre autant par sa bravoure que par sa cruauté, et sa cupidité. Son CV le place très vite dans le collimateur de la CPI   alors que, sur place, il devient une sorte de parrain mafieux, à la fois tueur et protecteur. La CPI   a déjà délivré un premier mandat d’arrêt contre lui, lorsqu’il intègre l’armée congolaise et devient général en 2009.

C’est une période de trêve, le Kivu respire enfin. Et longtemps, le président congolais, Joseph Kabila, refusera de le livrer à la justice au nom de cette stabilité retrouvée. Pendant trois ans, Bosco Ntaganda, installé à Goma, la capitale du Nord-Kivu, mène alors la vie d’un grand seigneur, en toute impunité, partageant même à l’occasion des bières avec les Casques bleus. Mais Kabila, mal élu fin 2011, a de plus en plus de mal à résister aux pressions de la CPI  . Quand, le 11 avril 2012, il annonce que Bosco sera arrêté et jugé, ce dernier est déjà en fuite hors de Goma avec plus de 600 hommes.

Animosité. Le malaise dépasse en réalité le cas Ntaganda : au même moment, des centaines de rebelles (mal) intégrés dans l’armée, désertent. Ils vont créer le M23, un mouvement hétéroclite qui réclame l’application d’accords qui, en 2009, avaient ramené la paix dans la région. Ntaganda est soupçonné d’en être le chef. La réalité est plus compliquée : grâce à ses richesses et à ses appuis, il influence certains membres du M23. Mais une forte animosité l’oppose dès le départ au chef militaire du mouvement, le général Sultani Makenga. « Bosco est un traître et un homme cupide. Si je tombe sur lui, je le livre à la justice », déclarait ce dernier à Libération en décembre. Fin février, Bosco tente une OPA ouverte sur le mouvement. Elle débouche sur un conflit sanglant entre les deux factions au sein du M23. La victoire de Makenga contraint « Terminator » à fuir vers les volcans, puis à Kigali. Dernière étape avant La Haye.

  • Photo illustrant la brève : Bosco Ntaganda à Kigali en 2009. Tutsi, il a été membre du Front patriotique rwandais de Paul Kagame, actuel président du pays. (Photo AFP)

- Repères : Ex-rebelle puis général, Bosco Ntaganda est accusé de crimes de guerre, dont l’enrôlement d’enfants soldats, et de crimes contre l’humanité. Trois chefs d’accusation, qualifiés de crimes contre l’humanité, ont été retenus : meurtre, viol et esclavage sexuel, et persécutions.

- La CPI   en Afrique : Les enquêtes de la Cour pénale internationale concernent toute l’Afrique. Laurent Gbagbo, ancien chef d’Etat ivoirien, est ainsi écroué à La Haye. Le président kényan, Uhuru Kenyatta, attend, libre, son procès pour les violences de 2007-2008.


VOIR EN LIGNE : Libération
Publié sur OSI Bouaké le dimanche 24 mars 2013



LES BREVES
DE CETTE RUBRIQUE


vendredi 23 novembre