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« Le Crime invisible », un aveuglement ivoirien



Libération - par Isabelle Hanne - 18 mai 2011

Le crime invisible, documentaire d’Etelle Higonnet, Planète, ce soir à 20h40.

Aline, Marianne, Aminata, Hélène et Rose ont toutes, comme une femme sur dix en Côte-d’Ivoire, été victimes d’un crime invisible : le viol. Invisible parce qu’impuni, invisible parce que tu, invisible parce que commis par les deux parties qui s’opposaient pendant la guerre civile ivoirienne, entre 2002 et 2006. Parce qu’on leur refuse justice et soins, enfermées dans leur traumatisme, ces femmes sont, elles aussi, invisibles. Comme dans la plupart des conflits, les femmes ont été les premières victimes de cette guerre civile qui opposa les troupes pro-Gbagbo à des groupes rebelles. Dans les deux camps, le viol massif et systématique a été utilisé comme arme de guerre.

Juriste franco-américaine, spécialiste des droits de la femme, Etelle Higonnet, auteur du Crime invisible, est la principale rédactrice de la première étude sur les violences sexuelles commises en Côte-d’Ivoire, réalisée en 2007 pour Human Rights Watch. Quatre ans plus tard, alors que de nouvelles violences ont suivi la dernière élection présidentielle, elle est partie retrouver, pour ce documentaire, quelques-unes des femmes rencontrées pour l’étude. Des bidonvilles aux camps de réfugiés, du Liberia au Burkina-Faso, elle a interrogé ces femmes exilées, qui acceptent de montrer leur visage, et dont la parole se libère peu à peu. En Côte-d’Ivoire, les victimes de viol se taisent, par peur des représailles.

Le documentaire propose en introduction une excellente synthèse de la complexe situation ivoirienne. Depuis la mort, en 1993, d’Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance, et de la crise qui a suivi. Puis l’éclosion de l’ivoirité, cette idéologie xénophobe qui a divisé la population. Et enfin, le basculement dans la guerre civile, et ses fractures ethniques, géographiques et religieuses. Le commentaire, lu par douze femmes journalistes — Pascale Clark, Laurence Ferrari, Carole Gaessler, Maïtena Biraben, Anne-Sophie Lapix… — dénonce l’absence de poursuites judiciaires, ralenties, voire entravées par manque de volonté politique.

« Dommage collatéral d’une guerre », dit la voix off, ces femmes racontent la peur, l’horreur, la douleur et l’humiliation. Le crime invisible repose sur des témoignages déchirants : Aline, réfugiée au Liberia, violée sous les yeux de ses parents par les rebelles. Marianne, esclave sexuelle de ses tortionnaires qui a perdu toute sa famille. Mariam, qui redoutait dêtre séropositive après les viols. « On n’a pas une bonne vie », dit une autre. Cruelle litote : car après le viol et la douleur, viennent la solitude, un enfant né du viol, un mari qui renie. La violence d’une société qui punit deux fois. Au-delà du cri d’alarme, ce docu parle du tabou et de l’indicible. C’est aussi un formidable travail sur la résistance, la survie, et la solidarité.


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Publié sur OSI Bouaké le jeudi 19 mai 2011

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